L'incroyable vérité sur l'affaire du prix Dylan de littérature attribué à Bob Nobel (sic), par Claro
L'attribution du prix Nobel de littérature à Bob Dylan a provoqué pas mal de remous hou hou. Un peu partout, dans la presse et sur les réseaux, chacun y est allé de son admiration ou de son indignation. Les éditeurs font la gueule: rien à vendre, ou si peu. Les journalistes se réjouissent: rien à lire mais une putain de polémique. Ça et là, des questionnements incroyables: qu'est-ce que la littérature? L'oral, l'écrit, des paroles des paroles. Certaines pensées, quasi nécrologiques, vont aux autres favoris, qui, moins doués en guitare, ont pourtant une œuvre-papier conséquente à leur actif. Plusieurs se réjouissent de ce choix, qui hissent la chanson au rang d'œuvre et rappellent que Homère était bassiste. On nous dit que Brassens l'aurait mérité. Que Dylan est Rimbaud.2.0. D'aucuns, moins posthumes, ont une pensée émue pour Leonard Cohen. Et puis, de toute façon, Pynchon ne serait pas venu le chercher, ce prix de 800 000 euros et des poussières de lauriers. Rushdie, bon prince, se réjouit du résultat des courses. Joyce Carol Oates aussi, à sa façon. Coup de com? Nostalgie? Peu importe. On en parle.
L'important, c'est que, Dylan or not Dylan, un lecteur, un jour, se réveille, regarde autour de lui et se dise, en se frottant les yeux, que les honneurs, aussi dotés, aussi éclairés, aussi embrumés, aussi manipulés, aussi lucides, aussi provocateurs, aussi surprenants, aussi décalés, aussi révolutionnaires, aussi saucissons soient-ils, ne sont que des couronnes mortuaires collées à coup de bienveillant merlin sur les fronts conséquemment bovins des humbles prétendants à la vanité tarifée. "Les honneurs déshonorent", écrivait Flaubert. Qui brigue la couronne lèche le trône. Ô lévrier, tu as battu le lapin.
Bien sûr, on aurait été content (pour eux, leur famille, leur compte en banque) que Oates ou Rushdie ou De Lillo, puisque les rumeurs butinaient du côté américain, l'aient, cette récompense. Mais qu'apporte-t-elle, au final, cette douteuse doudoune d'or, hormis du grain-grain d'encre à moudre par la prudente presse ou de quoi rassurer les hiniques héritiers?
(Nota bene; Dylan a été plus entendu (écouté? diffusé?) par la terre entière que tous les écrivains réunis dans la liste d'attente de ce fumeux Nobel – il est apparemment plus populaire qu'un de ses prédécesseurs, Tomas Tranströmer – "Un beuglement toutes les deux minutes. Les yeux lisaient droit dans l’invisible." Ce Nobel ne lui vaudra guère de nouveaux lecteurs/auditeurs, on s'en doute. Claude Simon, du fond de sa terre, le suppute aisément.)
De grâce, n'usez pas vos crocs inutilement sur le Dylanobel. La saison des prix littéraires ne fait que commencer en France. Vous n'êtes pas au bout de vos surprises-Kinder. Sachez juste que les plus beaux livres qui paraissent actuellement en France, la presse n'en parlera pas, presque pas. Ils sont publiés par des discrets éditeurs, des ninjas, des poètes. Vous ne verrez que l'iceberg à paillettes qu'ont concocté pour vous les éditeurs les plus en vue, les attachés de presse les plus pugnaces, les journalistes les plus au fait des enjeux, les diffuseurs les plus efficaces, les présentateurs télé les mieux coiffés. Hormis votre menacé libraire ou un proche audacieux, personne ne vous indiquera où les dés sont vraiment lancés. Il vous faudra errer dans les rayons, renifler, tâter, compulser, hésiter, hésiter encore, hésiter mieux – fuir les bandeaux rouges.
On vous aura prévenu: l'inestimable n'a pas de prix.
Cannibale Claro
Claro est écrivain, traducteur et éditeur. Son dernier livre : "Comment rester immobile quand on est en feu" vient de sortir aux Editions de l'Ogre. Vous pouvez le retrouver sur son blog : Le Clavier cannibale.