Blackstar de David Bowie : Gimme danger, little stranger

Revenu de tout pour avoir beaucoup anticipé et créé un max, Bowie surprend encore à soixante-neuf ans, avec son nouveau disque vraiment neuf (tous les nouveaux disques ne le sont pas, loin de là). Quel autre enjeu que se mettre en danger, quand on n'a plus rien à prouver ? On en parlait il y a quelques jours à propos d'Elza Soares, certains artistes, mais une poignée seulement, ont vaincu de leur vivant la mort de la création. Ce sont les plus grands. 

Après avoir inventé le rock des 70's en important en Angleterre Lou Reed et Iggy Pop, puis en comprenant avant les autres le krautrock pour définir une certaine techno avec Eno et se glisser d'une ambiance à une autre, au fil des années 80 et 90, passant du rock à la jungle, de la disco au funk, pour mieux égarer les repères qu'on aurait voulu lui coller, David Bowie a survolé ses pairs, avec toujours un son d'avance, sur le mode explicite Ashes to Ashes, Dust to Dust. De deuil en deuil, de dépassement en dépassement.

Après The Next Day de 2013, comme retour charmeur en haut de l'affiche, le Blackstar des premiers jours de 2016 retrouve le Thin White Duke au top de la forme et en verve. La trilogie berlinoise donnait le ton de toutes les années 80, de Low à Heroes en passant par Lodger et on la retrouvait en point d'orgue sur Where are we Now en 2013, comme Pin Ups, revisitait en 1973 les années et les héros du passé pour mieux les dépasser.

Et Blackstar repart dans d'autres directions, avec d'autres musiciens, de jazz et new-yorkais; aussi aptes à jouer le groove que la techno ou dernières nouveautés de production du hip hop, un peu à la manière délurée de Kip Hanrahan.

Impossible de ne pas noter les références au How to Pimp a Butterfly de Kendrick Lamar pour le magma musical envisagé sur certains titres, comme ses références multiples à des images symboliques, dont il s'est servi pour écrire sa comédie musicale Lazarus ( présent évidemment ici ). On le retrouve aussi en version cabaret sur Dommage qu'elle soit une putain (Tis a Pity She Was a Whore) ou encore à défourailler nerveux façon kraftwerk doo-woop sur Girls Loves Me, voire à retrouver certains accents de Diamond Dogs ou de Young Americans sur Dollar Days, avec un petit côté Sinatra. Comme si l'alien de The Man who fell to Earth revenait et donnait ses premières/dernières impressions. A en croire un des musiciens, l'actualité à beaucoup compté dans la conception de l'album et on y trouve même une référence aux attentats de l'EL sur le morceau-titre à la vidéo éblouissante ( à voir ci-dessous)  

On peut penser à des riffs de Fripp ou au saxo des premiers Roxy Music dans l'ensemble, mais le ton général est plus touffu, plus centré, plus ailleurs. Ce n'est pas du rock, ce n'est pas du jazz, ce n'est pas du hip-hop, ni de la techno, mais c'est un grand album. Le premier de l'année et il sort le jour du soixante-neuvième anniversaire du sieur Jones.

Un album noir, dense, foutraque mais tenu. Le vrai retour de Bowie, encore une fois , là où on ne l'attendait pas. Et il chante divinement bien, faut-il ajouter…  

David Bowie Blackstar ( RCA)