Ai Wei Wei rend gratuit le Bon Marché (enfin, presque)
Alors qu'il vient juste de récupérer son passeport, l'artiste dissident chinois contemporain le plus célèbre expose à Paris. On l'attendait, au moins, investissant le Grand Palais, mais il s'offre le Bon Marché, pour ne pas hérisser les autorités.
Le contre-emploi d'une exposition gigantesque de Ai Wei Wei dans le lieu de la consommation branchée parisienne, au Bon Marché, semble en fait une excellente idée. Et si l'on se souvient du merveilleux emploi du Grand Palais par Anish Kapoor pour son Léviathan, l'occupation de la quasi totalité de l'espace offert par le Bon Marché au dissident chinois se sert du contre-emploi comme d'un trait de pinceau pour souligner son engagement et sa délivrance de mythologies dans ce lieu.
A ne pas vouloir froisser les autorités de son pays qui voudraient, plus que tout, le faire taire, le moyen terme trouvé a été de le faire exposer dans un lieu qui ne soit pas une des grandes chapelles artistiques de la Ville Lumière, mais un lieu à mi-chemin entre art et consommation- lieu qui tendrait vers l'art, par son style et sa clientèle, mais le vendrait fort cher, pour rassurer les oligarques chinois qui ne voient en Paris que ce pour quoi les cars de touristes déversent leurs bétaillères avenue de l'Opéra ou à Sèvres-Babylone… l'industrie du luxe.
Gageure immense au vu du retentissement de son œuvre à l'échelle mondiale, le moyen terme trouvé à de quoi séduire. Ce faisant. Et l'artiste d'affirmer :
" Je suis très heureux d’avoir ma première exposition en France au Bon Marché Rive Gauche : c’est le genre de lieu où j’adore avoir mon travail exposé ; un lieu directement lié à la ville, aux citoyens. Ce n’est pas vraiment un lieu d’art, mais il est associé aux tendances, au style de vie… Cela représente un véritable défi pour moi de réaliser des œuvres spécifiquement pour un grand magasin, ce qui m’intéresse d’autant plus."
En fait, créer des œuvres à Paris lui rappelle son père, Ai Qing, grand poète du siècle dernier qui y a vécu dans les années 30 quand il était étudiant en art, et qui lui parlait de cette ville en lui donnant ses propres impressions et ses émotions. Ce qu'il tente de restituer en 2016 à Paris. Et de continuer ainsi : "La ville de Paris est comme une mythologie pour moi, c’est-à-dire que Paris est pour moi un autre monde. La mythologie symbolise un monde parallèle au nôtre qui correspond à notre imagination, nos rêves, nos peurs, notre histoire ; elle est comme un miroir qui reflète notre société et notre personnalité. La mythologie représente un moyen de comprendre notre monde notamment par une approche poétique. Pour moi, les significations et traits de caractère qu’incarnent les créatures mythologiques du Shanhai jing, dont je réalise des sculptures pour « Er Xi, Air de jeux », trouvent leurs correspondances au sein du Bon Marché Rive Gauche, reflétant les sentiments et les motivations qui nous dirigent dans notre vie quotidienne."
Investissant le lieu, de son centre à la périphérie et aux vitrines extérieures du grand magasin, AI Wei Wei propose un parcours tout empreint de surprises et de merveilles, entre murs photographiques et installations relatives aux créatures du Shanhai jing, il transforme l'espace d'aire de jeu en air (nouveau) de jeux multiples. A voir absolument. Cela va sans dire. Et sans être tout à fait dupe de son discours. Cela va sans dire aussi.
Ai Wei Wei Er Xi, Air de jeux -> 20/02/16 au Bon Marché Rive Gauche 75006 Paris