Le "food porn" remplace l'appétit pour le corps
Pour le photographe Juergen Teller, le "food porn" qui érotise la nourriture est l'image même du déplacement du désir contemporain. L'envie de bonnes choses est devenue plus forte que celle des corps humains, qu'on a déjà trop consommés.
Invité avec le sculpteur chinois Xiang Jing à participer à une exposition chez Lehmann Maupin, Hong Kong, Juergen Teller eut l'idée étrange et absolument géniale d'une confrontation entre les statues de nus la tête un peu dans les nuages de Xiang Jing et les photos beaucoup plus terre à terre qu'il avait prises au célèbre Tuscan Hotel II Pellicano, le restaurant toscan cinq étoiles du chef italien Antonio Guida. Venu de la photo de mode la plus hype qui soit (I-D, The Face, Dazed and Confused) et passé sans tracas au monde de la publicité grand genre (Louis Vuitton, Comme des garçons, Marc Jacobs, Yves Saint Laurent...), Juergen Teller a certainement l'oeil pour ce qui se fait et qui a de l'importance pour la suite. C'est pourquoi son choix de mettre en avant dans le milieu de l'art sa passion toute neuve pour ce qu'il appelle lui-même (comme tout le monde maintenant) le "food porn" nous a paru digne d'être signalé. C'est comme un nouveau monde qui naît sous nos yeux. Rien de banal à ça. Qui aurait pu imaginer, dans les années 80 ou 90, l'importance que la mise en scène de la nourriture prendrait à nos yeux ? Quelqu'un qui photographiait des mannequins est maintenant ravi de photographier des salades et un bout de framboise écrasée ? Est-ce possible ? Oui. Un nouvel univers de sensations s'ouvre. C'est comme si on avait à inventer à nouveau l'imaginaire de la mode. Tout reste à faire. Quant à ce que que cela dit de notre époque, c'est une autre affaire. On y pensera plus tard.
Eating at Hotel Il Pellicano
Juergen Teller, Antonio Guida, Will Self. Violette Editions