Sylvain Lamy, designer de livres

Sylvain Lamy fait partie de ces graphistes dont on connaît le travail pour l’avoir sans arrêt entre les mains. Sans pour autant connaître son nom. Rencontre avec celui à qui l’on doit les couvertures des éditions Cambourakis ou du Nouvel Attila. L'Autre Quotidien collabore, sur les thèmes de l'édition et du graphisme, qui nous sont très chers, avec le collectif Carré Cousu Collé, auteur de cet entretien.

Sylvain Lamy fait partie de ces graphistes dont on connaît le travail pour l’avoir sans arrêt entre les mains. Sans pour autant connaître son nom. Rencontre avec celui à qui l’on doit les couvertures des éditions Cambourakis ou du Nouvel Attila.

Peux-tu te présenter en quelques lignes. Ton parcours, ta formation ? Pourquoi cet intérêt spécifique pour le design éditorial ?


Je suis un amateur de chocolatines de 32 ans qui vit à Paris depuis 7 ans et, ce qui m’y a amené, c’est le livre.  Après un parcours scolaire assez chaotique, j’ai décidé de suivre un double cursus en psychologie et aux Beaux-Arts. Deux ans plus tard, l’ennui a pointé le bout de son nez et, après une année sabbatique, j’ai trouvé une place dans une librairie spécialisée en bande dessinée. C’était passionnant et mes salaires passaient presque entièrement dans l’achat de BD. C’était lors d’une période où la BD dite d’ « indés » – terme qui n’a d’ailleurs plus aucun sens aujourd’hui – était en pleine explosion. Découvrir tous ces auteurs, éditeurs et les opportunités qu’ils pouvaient offrir m’ont donné envie de passer de l’autre côté. Je voulais participer à la conception des livres qui seraient déposés sur les tables des libraires. J’ai repris mes études en me dirigeant vers une Licence des métiers du livre et édition numérique suivi d’un Master édition à Cergy. C’est à la fin d’année de Licence que j’ai effectué un stage aux éditions Cambourakis. Il s’est très bien passé et on a décidé de poursuivre l’aventure. C’était une jeune maison d’édition qui avait encore peu de titres à son catalogue et j’étais juste là pour aider au quotidien sur diverses tâches. À mesure que je me sentais plus à l’aise, j’ai élargi mon champ d’action, a commencer par la maquette. J’ai appris tout seul dans mon coin à me servir d’InDesign et Photoshop. J’ai ensuite pris en main la création de typographies basées sur l’écriture manuscrite des auteurs et, finalement, la création de couvertures. Être créatif me manquait cruellement mais c’est venu doucement, à force de prise de risques et d’assurance.

Tu as travaillé quatre ans avec les éditions Cambourakis… Peux-tu décrire le travail chez eux ? Les contraintes, les limites de ne bosser que – principalement – pour une maison ? 


J’ai travaillé 7 ans pour les éditions Cambourakis, qui ont beaucoup évoluées depuis leur création en 2006. Alors que c’était une maison d’édition qui publiait peu de titres, elle a maintenant un programme annuel de 60 publications. Les débuts étaient passionnants car on travaillait comme des forcenés sur chacun d’entre eux, avec l’exigence de la perfection. L’augmentation progressive du nombre de titres a restreint peu à peu le temps passé sur chaque livre mais il fallait toujours travailler avec cette même exigence. C’était un vrai défi que l’on a réussi (il me semble) à relever jusqu’à ce que le nombre de titres deviennent trop important pour pouvoir travailler dans de bonnes conditions. 

En ce qui concerne la création des couvertures, je recueillais dans un premier temps quelques mots clés, une ambiance, des couleurs et lisais ensuite le plus souvent les livres pour y trouver quelque chose qui résonnait en moi. Le problème de ne travailler que pour une seule maison est peut-être la répétition, l’habitude et un trop grand confort qui empêche d’expérimenter de nouvelles choses. D’ailleurs, pour parer à la routine j’ai multiplié les pistes et notamment créé tout une série d’illustrations pour les couvertures. Certaines frustrations restent cependant, comme celle de ne pas pouvoir réaliser certaines fabrications car trop coûteuses ou trop éloignées de la charte graphique de la maison. 

Cette contrainte – dont je ne suis pas à l’origine – qui oblige à utiliser inlassablement la même typographie, placer les éléments au même endroit alors que parfois, on aimerait s’en affranchir pour servir au mieux le propos d’un livre en particulier. Heureusement, elle a été largement assouplie au fur et à mesure des années, par souci d’évolution et un peu aussi par lassitude, mais il reste encore un cadre très fort.

Et comment es-tu arrivé à travailler pour Le Nouvel Attila ?


Ce sont probablement les raisons que je viens d’évoquer qui m’ont amené à travailler avec Benoît du Nouvel Attila, qui a une approche radicalement opposée. Il travaille souvent avec des graphistes aux univers différents et souhaite faire des livres singuliers. J’ai eu de la chance car les deux éditeurs se connaissent très bien et, lors d’un Salon du Livre de Paris, j’ai timidement franchi le pas en lui demandant s’il n’aurait pas envie que l’on travaille ensemble sur un livre. Quelques mois plus tard, il est revenu vers moi avec Les Cobayes..

Peux-tu décrire les choix qui se sont opérés, tes influences pour ces couvertures ?


Les livres de Tom Drury chez Cambourakis


Le premier livre de Tom Drury, « La fin du vandalisme », est une sorte de roman choral dont tous les personnages habitent un même lieu, le comté de grouse. L’auteur a lui-même dessiné une carte de cet endroit et l’idée m’a semblé vraiment intéressante. Cela permettait aussi d’exploiter au passage tout le déroulé de la couverture. Dans le second roman, « Les fantômes voyageurs », l’histoire se resserre sur des personnages qui occupaient une place secondaire dans le précédent opus. J’ai donc décidé, pour rester sur la ligne établie pour La fin du vandalisme, de garder la même atmosphère et de simplement « zoomer » dans la carte pour se concentrer sur un lieu plus spécifique.

« Passage » de Karel Pecka chez Cambourakis


Cette couverture labyrinthique sort tout droit de l’errance du personnage principal. J’ai tenté de reproduire un parcours absurde à l’aide d’un motif afin qu’une personne tombant sur cette couverture se perde elle aussi à son tour dans les méandres de ces chemins tortueux. Au côté de 3œil, le collectif dont je fais maintenant partie, je travaille aujourd’hui à reprendre l’idée de cette couverture pour une affiche sérigraphiée en y incluant un axe typographique qui s’inscrira dans un trio d’affiche (une par membre de l’atelier) déjà amorcé par Raphaëlle avec « CHERCHER CHERCHER ».

« Low Down » de A. J. Albany au Nouvel Attila


Pour « Low Down », je suis passé par plusieurs étapes. J’ai d’abord été influencé par le graphisme de certaines pochettes de jazz de maisons de disques comme Blue Note ou Impulse, et par de nombreuses images et typographies de cette époque. J’avais aussi envie de mettre en avant différentes thématiques traitées dans le roman, le jazz, la drogue, la relation père/fille… En définitive, c’est le piano qui s’est imposé à moi comme étant presque le personnage principal et j’ai alors décidé de le mettre en avant. J’ai souhaité recréer ces formes très graphiques que sont les touches de piano et leur donner vie avec le papier. La couverture a trois niveaux, les demi-tons sont gaufrés et l’interstice des touches est foulé. Le titre étant court et très fort il était important de le mettre en avant et, surtout, de le relier directement au piano. Il y a un sentiment de mouvement dans « Low Down », je voulais accentuer cet aspect en me dirigeant vers la rondeur, des courbes douces. Je voulais rappeler l’aspect humain à travers la couleur, c’est pour cela que les touches ont cette teinte presque épidermique. Pour les demi-tons je voulais sortir d’un noir trop évident et ce bleu profond est une des couleurs qui est restée dans un coin de ma tête en refermant le livre.

 

Certains de tes projets s’inscrivent clairement dans de « l’événementiel », je pense notamment à « Napoléon is not dead ». Comment travailles-tu sur ce type de scénographie ? Cette exposition tournait autour du livre « Le Secret de Sainte-Hélène » d’Henning Wagenbreth qui est aussi designer de couvertures de livres, tu aimes son travail ? Pas simple d’illustrer la couverture d’un livre qui est un recueil d’illustrations autour d’un autre livre ?

C’est une des forces du Nouvel Attila, ils ne manquent pas de bonnes idées pour promouvoir les livres. Benoît (fondateur) et Lorane (responsable événementiel) sont venus me voir avec le projet d’un collectif d’illustrateurs à petit tirage pour accompagner la sortie du livre d’Henning Wagenbreth et une exposition au Point Éphémère à la clef. C’était vraiment un projet à part, donc pas de pression vis-à-vis d’Henning mais beaucoup vis-à-vis de tous les auteurs ayant participé au livre. Ils ont tous contribué gracieusement, selon moi la moindre des choses était de faire honneur à leur travail à travers un bel ouvrage.  On a fait appel à quelques amis pour nous aider à rassembler des auteurs afin de constituer ce collectif et on a réfléchi tous ensemble à la scénographie. J’avais créé pour la couverture une typographie qui reprend la ligne d’un rythme cardiaque et qui s’est avéré parfaite pour exploiter et habiller l’espace d’exposition du Point Éphémère.

En ce qui concerne Henning, j’aime beaucoup son travail qui est puissant et intelligent. J’ai eu la chance de le rencontrer plusieurs fois et, lors d’un séjour à Berlin, j’avais repéré un album jeunesse adapté de Robert Louis Stevenson dont il était l’auteur. Je lui en ai parlé par la suite pour voir si je ne pouvais pas le faire publier par les éditions Cambourakis mais c’était malheureusement trop tard. Les droits venaient d’être achetés.

Je lisais dans ta biographie que as travaillé sur des typographies basées sur l’écriture manuscrite d’auteurs anglo-saxons ? Peux-tu en dire plus ? C’est un peu fou – et plus qu’une niche – ce concept de typo BD ?

C’est une pratique qui est née de la traduction et de l’adaptation de bande dessinée étrangères. Dans le cadre de la bande dessinée, les auteurs écrivent souvent leur texte à la main. Il faut donc, concernant les œuvres étrangères, changer le texte d’origine par la version française. Remplacer l’écriture manuscrite d’un auteur par une typographie quelconque qui n’a rien à voir avec son geste, son style, serait une grave erreur. L’écriture fait elle aussi partie de l’ambiance graphique. Un « relettrage » manuel est possible, mais très coûteux. Mon travail intervient ici, à l’aide d’un logiciel classique de création de fonte, j’isole chaque lettre qui me semble être les plus représentatives du style d’écriture de l’auteur afin de constituer deux voire trois alphabets complets et ainsi créer plusieurs typographies que je mélange aléatoirement en maquette à l’aide d’un script. L’idée étant de se calquer le plus possible sur l’écriture de l’auteur.

Et tes liens avec The Hoochie Coochie ?


Je n’ai aucune implication au sein de l’association mais, à force de se croiser sur les salons, certains des membres sont devenus des amis. Ça m’a amené par la suite à leur donner un coup de main sur une ou deux typographies et à travailler sur la revue DMPP.

Donc aujourd’hui tu oeuvres dans un collectif du nom de 3œil. Tu peux nous en dire plus, qui sont les deux autres ? Votre point comment commun étant semble-t-il l’édition (notamment de leur côté avec MeMo, éditeur jeunesse), comment envisagez-vous de travailler ensemble à l’avenir ? Comment sont répartis les rôles, les clients ?


C’est justement à travers The Hoochie Coochie que j’ai eu la chance de croiser Raphaële Enjary et Olivier Philipponneau. La maison d’édition organisait une soirée dans ses bureaux, au sein de leur atelier. Je savais qu’ils étaient graphistes et j’aimais/j’aime leur réalisations. J’ai timidement abordé (a priori, c’est une habitude chez moi) Olivier pour discuter un peu de leur travail et leur dire tout le bien que j’en pensais. Puis on a parlé d’un projet en cours pour lequel ils devaient trouver un imprimeur capable de faire de la sérigraphie en très peu de temps. Je les ai aidé, ça a bien marché. Ensuite j’ai collaboré à deux projets de Raphaële et Olivier. Ça s’est très bien passé à tous les niveaux. Quelques mois après ils me proposaient de fonder un atelier ensemble. J’ai évidemment dis « OUI » tout de suite. Le début d’une belle histoire d’amour en somme et j’ai donc profité de l’occasion pour me lancer en temps que graphiste freelance à plein temps.

Raphaële et Olivier sont illustrateurs et graphistes depuis environ dix ans. Pour l’illustration ils utilisent principalement la gravure sur bois qui associe simplicité des lignes et épure des couleurs. Ils ont publié quatre livres aux éditions MeMo. Membres actifs chez The Hoochie Coochie depuis la création de la maison d’édition en 2000, Raphaële et Olivier en ont créé la charte graphique et font partie du comité éditorial. Olivier a également publié plusieurs livres au sein de la maison d’édition. 

Nous avons en commun une véritable envie de travailler autour du livre et tout ce qu’il implique. L’impression, artisanale ou industrielle, la fabrication, le livre en tant qu’objet qui vient charmer nos sens à travers le papier, l’encre, les formes et contre-formes, l’image, le dessin, les couleurs… J’aime par-dessus tout toucher, regarder, sentir, manipuler. Nos rôles ne sont pas prédéterminés. En revanche, nous discutons ensemble de chaque projet. L’idée est de croiser les regards et les compétences, que chacun amène son univers. La répartition se fait alors de façon naturelle selon les envies et les dispositions mais il n’y a rien de statique dans notre mode de fonctionnement. On échange, on découvre, on participe au travail de chacun.

Pourquoi ne pas, un jour, créer votre propre maison d’édition ?

Eh bien, cette question tombe bien car c’est en discussion en ce moment. Les envies sont très présentes chez chacun de nous mais il reste à les définir, les préciser. Il faut prendre le temps d’en parler. J’aimerai que ce soit ouvert à l’image, la bande dessinée, la jeunesse, des objets hybrides et la littérature, sans pour autant nous lancer dans un nombre trop important de publication car notre occupation principale restera, je pense, le graphisme et l’illustration. Mais il est clair que j’ai du mal à envisager l’avenir sans la découverte et la publication d’auteurs et de livres. Ça reste ma passion première.


LE SITE DE 3OEIL
www.3oeil.fr

 

Benjamin Reverdy

Membre fondateur du collectif Carré Cousu Collé, je travaille dans le secteur musical mais ne peux m’empêcher de lire des livres en écoutant de la musique. Je passe beaucoup de temps dans les librairies où l’on me déroule le tapis rouge. J’aime les livres, les toucher, les sentir. Et par dessus tout j’aime leurs couvertures (enfin ça dépend des fois). Il m’arrive accessoirement de photographier les gens qui lisent.

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