Regina José Galindo - Body Art & Soul

Images du monde | Regina José Galindo 

BIEN PLUS QUE LA SOUFFRANCE

Il y a toujours quelque chose d'effrayant dans le body art, depuis les vertiges de l'actionnisme viennois à certaines performances de Marina Abramovic, qui ont failli mal tourner à cause de la violence de spectateurs. Des artistes comme la guatémaltèque Regina José Galindo donnent littéralement leur corps à leurs convictions sociales et politiques. Il est leur arme. Leur seul moyen d'expression. Souvent mis à nu. On peut toujours venir dire qu'elle en fait trop quand elle se fait pisser dessus, enterrer, certes c'est beaucoup, mais il faut aussi dire d'où elle vient, ce qu'elle exprime, au nom de qui et de quoi elle parle. Parce qu'à la différence de beaucoup d'artistes européens, elle s'expose à, et expose donc, une violence bien réelle, ancrée dans l'histoire atroce de son pays d'Amérique centrale, ravagé par des décennies de répression et de crimes, encore aujourd'hui, en temps de paix, un des pays les plus dangereux du monde, avec le Honduras. C'est toute une société indigène persécutée qu'elle exprime. C'est l'histoire des femmes méprisées et violées qu'elle raconte. Donc, non, tout ça n'est pas pour rien, pas du spectacle, pas du voyeurisme. Une chose nous a touché particulièrement : sa performance en pleine rue, pas du tout dans une galerie, entourée d'Indiens comme elle, devant une cathédrale, au Chiapas, Mexique, là où bat le coeur de Zapata.

 
 

Pierre.
Je suis une pierre
Je ne sens pas les coups
L'humiliation
les regards lascifs
les corps sur le mien
la haine.
Je suis une pierre
en moi
l'histoire du monde.

Mon corps reste immobile, couvert de charbon, comme une pierre. Deux volontaires et quelqu'un du public urinent sur le corps-pierre.

8° Encuentro Hemisférico del Centro de Estudios de Arte y Política. São Paulo, Brasil. 2013

 
 

INTERVIEW D'UNE FEMME REMARQUABLE

(espagnol sous-titré en italien)

((en français, il n'y a rien. Rien.))

 
 

"Il faut remonter en arrière le fil du temps pour trouver la raison de tant de morts et ainsi trouver la vie.

Mon corps reste caché dans un sac-linceul comme on en utilise pour les cadavres. Le public est libre de détricoter le sac jusqu'à laisser le corps à découvert."

Commissionné et produit par le Centro Hemisférico de Performance y Política en Chiapas et EDELO, maison d'art en mouvement et résidence interculturelle.(San Cristóbal de las Casas, Chiapas, México. 2012)

 
 

– Comment tuaient-ils les gens ? – demanda le juge.
– D'abord ils ordonnaient à celui qui maniait l'excavatrice, García, de creuser une fosse. Ensuite, ils parquaient des camions pleins de gens devant El Pino, et un par un, ils y passaient. Ils ne tiraient pas dessus. Le plus souvent, ils les embrochaient avec des baïonnettes. Ils les embrochaient par la poitrine, et les tiraient dans la fosse. Quand la fosse était pleine, ils laissaient tomber à grands coups la pelleteuse sur les corps. 

Le Guatemala a vécu pendant 36 ans une des guerres les plus sanglantes. Un génocide, qui a laissé 200,000 morts. L'armée qui combattait l'insurrection a décidé que les indigènes étaient des ennemis internes qui sympathisaient avec la guérilla et qu'il convenait de les supprimer. Avec l'intention de s'emparer de leurs terres (sous le regard complaisant de l'oligarchie nationale) et la justification que les indigènes étaient des ennemis de la patrie, l'Etat a mis en pratique la tactique de la terre brûlée. Ce fut une pratique très commune et caractéristique du conflit armé au Guatemala. Des troupes de soldats et les patrouilles de la défense civile arrivaient dans les communautés indigènes et détruisaient tout ce qui pouvait servir à survivre : nourriture, habits, récoltes, maisons, animaux, outils. Ils brûlaient tout. Assassinaient. Violaient. Torturaient. Beaucoup des corps ont été jetés dans des fosses communes, qui sont aujourd'hui la preuve de ces crimes.

Le témoin qui décrivait la manière dont l'armée creusait les fosses avant d'y jeter les corps a fait sa déposition au procès pour génocide contre Ríos Montt et Sánchez Rodríguez. Guatemala 2013.