Ryan Gattis, opéra d'émeute en six actes

A la suite des émeutes de Watts en 1965, Frank Zappa écrivait "Trouble Everyday" sur le racisme ambiant, comme N.W.A. offrit la bande son idéale de celles de 1992 avec "Fuck Da Police." Et c'est justement à cela que s'attache "Six Jours", le premier roman, traduit en français par Nicolas Richard, de Ryan Gittis, un Angeleno proche des artistes de rue qui a lui aussi connu la violence, et trouvé les moyens de s'en extraire par l'écriture.

29 avril / ­4 mai 1992. Pendant six jours, l’acquittement des policiers coupables d’avoir passé à tabac Rodney King met Los Angeles à feu et à sang. Pendant six jours, dix­-sept personnes sont prises dans le chaos. Pendant six jours, Los Angeles a montré au monde ce qui se passe quand les lois n’ont plus cours.

Le premier jour des émeutes, en plein territoire revendiqué par un gang, le massacre d’un innocent, Ernesto Vera, déclenche une succession d’événements qui vont traverser la ville.

Dans les rues de Lynwood, un quartier éloigné du foyer central des émeutes, qui attirent toutes les forces de police et les caméras de télévision, les tensions s’exacerbent. Les membres de gangs chicanos profitent de la désertion des représentants de l’ordre pour piller, vandaliser et régler leurs comptes.

Au cœur de ce théâtre de guerre urbaine se croisent sapeurs pompiers, infirmières, ambulanciers et graffeurs, autant de personnages dont la vie est bouleversée par ces journées de chaos.

Peut­-être s’agit­-il de cela : il y a une Amérique cachée à l’intérieur de celle que nous montrons au monde entier, et seul un petit groupe de gens la voit véritablement.
— Ryan Gattis

Et le plus beau de l'histoire est que ce roman polyphonique en immersion nous en apprend beaucoup du fonctionnement des gangs et des minorités. L'implacable machine montée par Ryan Gattis enchaîne à un rythme soutenu six chapitres racontant les six jours d'émeutes, vus chacun par trois personnes différentes. Des personnages qui parlent à la première personne en langage de rue nous collent dans le décor, comme si nous étions à leurs côtés pour comprendre leurs actions.

Par ailleurs, le fait de donner la parole à divers narrateurs permet à l'auteur de décrire les gangs mexicains sans jugement, excuses ou compassion. Ryan Gattis est d'ailleurs allé interviewer des membres de gangs pour donner de la véracité à son récit.

Alors que depuis deux ans, la violence contre les Afro­-américains redevient une valeur en hausse au sein de la police américaine, le point de vue des Chicanos qui subissent les mêmes violences décale un peu le propos, mais l'éclaire d'une lumière toute aussi blafarde. Un roman qui tape au plexus via une écriture ciselée et le pari réussi de faire parler les minorités de Los Angeles de leur quotidien pourri.

Jean­Pierre Simard

"6 Jours" de Ryan Gattis (Fayard)

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