David Mangin / Penser une ville qui s'affranchirait de la franchise

Les enfants jouent avec des Lego, les adultes jouent avec des logos. Nos banlieues sont déjà des zones franchisées. Le centre des villes suit le mouvement, avec un peu plus de subtilité. Il n'y a qu'à voir une rue commerçante. L'architecte David Mangin essaie d'imaginer une ville qui s'affranchirait de la franchise.

IMAGINAIRE

C'est une image tirée de "Logorama", un trépidant court métrage d'animation français réalisé par le studio H5 (François Alaux, Hervé de Crécy et Ludovic Houplain) en 2009. Le film détourne près de 3 000 logos, utilisés pour constituer à la fois les personnages et le décor dans lequel ils évoluent. Le récit met notamment en scène une course-poursuite entre des policiers à l'effigie de Bibendum, figure historique de la marque Michelin et, dans le rôle du gangster, Ronald McDonald, mascotte des restaurants McDonald's. 

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RÉEL

C'est la photo banale d'une banlieue banale de Toulouse, qu'on appelait la ville rose.  Savons-nous encore construire des villes ? Et d'ailleurs, voulons-nous encore construire des villes ?

 
 

Avez-vous déjà eu l’impression en vous promenant dans les rues des villes que tout était fait pour attirer le chaland ? Que tout y était organisé pour consommer, et pas pour la simple déambulation du promeneur ? A tel point que les SDF y font naturellement tache, comme des pièces rapportées ? Arrêtez d’y voir quelque chose de fortuit, c’est programmé et voulu, conçu et réalisé de telle sorte que tout vous ramène à la consommation, pas au simple plaisir de l’urbanité. Mais un autre urbanisme est possible qui privilégie un espace public continu et de qualité. 

Explications par un urbaniste hexagonal, David Mangin, qui en a tiré un ouvrage de référence : La Ville Franchisée, que nous vous présentons ici. 

Quel modèle urbanistique dominant ? 

 
 

La Ville Franchisée est issu d'une recherche ayant pour objet de décrire et analyser les formes de l'urbanisation de ces dernières décennies marquées par l'étalement urbain. Son originalité est d’adopter une approche morphologique de la "ville ordinaire périphérique" appuyée par de nombreux schémas, cartes et photos.  

Au-delà des "franchises commerciales" de plus en plus présentes ("On ne se donne plus rendez-vous au carrefour, mais à Carrefour"), la "ville franchisée",  c'est d'abord les "franchises territoriales" faisant l'objet d'une exception en terme de contrôle juridique et politique, avec notamment une domination du public par le privé.  

L'ambition du livre est d'offrir "une grille de lecture" des mécanismes à l'œuvre permettant "d'affiner les politiques publiques". David Mangin commence par décrire l'émergence de "l'urbanisme de secteurs", notamment lié au découpage des territoires par les infrastructures routières et à l'urbanisme de zonage qui a spécialisé les territoires Puis à partir du cas de la France, sont étudiés la mise en place de la sectorisation des territoires, les mécanismes de la « franchisation » des villes, au sens commercial et domanial du terme et l'impact des lotissements.

  Par la suite, à travers différents exemples aux Etats-Unis, en Europe, en Asie et en Afrique, il montre qu'au-delà des particularités des uns et des autres, il existe de grandes dynamiques liées à la globalisation de l'économie qui contribuent à généraliser un urbanisme de secteurs.

 
 
 

Des pistes de réflexions

1/ "L'urbanisme du réel" serait l'urbanisme de masse actuel marqué par : - une prédominance de la voiture qui favorise l'étalement urbain, - la diffusion (mondialisation aidant) de modèles qui accélèrent et généralisent la ville sectorisée, franchisée, individuée, - un transfert des responsabilités du public vers le privé et une marchandisation des villes qui met en crise les représentations intermédiaires politiques et physiques des territoires. Continuer dans une telle dynamique ne lui semble donc pas du tout souhaitable.

2/ A l'inverse, "l'urbanisme du fantasme" serait un urbanisme vertueux et écologique qui favoriserait les transports en commun et les modes doux, une urbanisation linéaire en fonction et la préservation de corridors verts. Mais ce modèle semble de l'ordre du fantasme pour David Mangin tant lui apparaît peu probable une ville sans voitures.

3/ C'est pourquoi David Mangin suggère un "urbanisme du possible" qui consisterait à optimiser les contraintes de déplacements et à inventer des formes urbaines moins productrices de dépendances automobiles et d'enclavements. Privilégier "l'urbanisme de tracés" qui prend en compte la géographie et conçoit des projets territoriaux aux différentes échelles (de la lisibilité de la grande ville aux alternatives aux extensions urbaines non maîtrisées).

Quatre grands chantiers

Privilégier "l'urbanisme de tracés" qui prend en compte la géographie et conçoit des projets territoriaux aux différentes échelles (de la lisibilité de la grande ville aux alternatives aux extensions urbaines non maîtrisées).

Favoriser "la ville passante" pour mettre en oeuvre des objectifs de proximité et de densification grâce à un réseau maillé de voies qui relient les espaces publics structurants d'une ville, d'un territoire ou d'un paysage.
Il estime que celle-ci assurerait une plus grande sécurité routière et sécurité des biens et des personnes que la juxtaposition d'environnements "sécurisés".

Travailler la densité à partir de l'optimisation de contraintes vécues positivements (moindre dépendance à l'automobile, proximité des transports en commun, des services quotidients, des zones vertes, etc.) et promouvoir l'idée d'une densification progressive au fil du temps.
David Mangin s'interroge aussi sur le bon usage de la nature afin que cela n'entérine pas une ville éparse et notre incapacité à susciter des établissements humains à la mesure des paysages.

Permettre "une ville métisse" qui ne soit pas seulement un ensemble homogène issu d'un nombre réduit de modes de production et d'acteurs. Il suggère d'offrir des marges de liberté, d'imprévu et d'aléatoire. Un des enjeux majeurs lui paraît consister à maintenir la diversité des acteurs et leur capacité de coproduction à l'intérieur de règles simples du moment qu'est préservé un espace public continu et de qualité.

La Ville franchisée, Formes et structures de la ville contemporaine de David Mangin, Éditions de La Villette