Ambrose Akinmusire fait son miel de synthèse avec ses compositions d'hiver

A quoi s’attendre cette fois-ci ? Contemporain, hip hop , jazz précurseur à la façon d’Harvest Origami (2018) ? De tout cela, mais un peu plus avec une synthèse équilibrée intitulée Honey from a Winter Stone; Akinmusire s'y appuyant sur sa relation avec Mivos (pour qui il a composé "May Our Centers Hold" en 2023), tout en faisant appel aux talents de la chanteuse Kokayi et du synthétiseur de Chiquitamagic, aux côtés de ses collaborateurs habituels Sam Harris au piano et Justin Brown à la batterie.

Ce disque marque la maturation de ce son : honey est bien plus cohérent et facile à naviguer que son prédécesseur. Sur Origami, les juxtapositions de synthés, de rimes et de cordes pouvaient parfois être dérangeantes, bien qu'enthousiasmantes ; ici, ces éléments sont mieux intégrés sans rien perdre de leur côté contemporain. On n'a jamais l'impression d'écouter un groupe de jazz accompagné de cordes : Les Mivos sont des membres à part entière de l'ensemble, se lançant dans les passages improvisés avec aplomb. Les paroles, basées sur des conversations avec le compositeur, explorent les problèmes rencontrés par Akinmusire et de nombreux hommes noirs - "le colorisme, l'effacement et la question de savoir qui peut parler au nom de ma communauté et pourquoi" - ce qui donne à l'album son poids émotionnel. Enfin, la batterie de Brown fournit le moteur et canalise la science extatique du beat de Flying Lotus et la tension de la trap, groovant et se débattant avec la basse synthétisée de Chiquitamagic.

D'une durée de 15 minutes, l'ouverture "muffled screams" se déroule lentement, avec Akinmusire et Harris qui créent l'ambiance. La trompette est douce et vulnérable, et les accords tremblants de Harris font monter la tension. Brown entre au bout d'une minute avec un déluge de cymbales et de toms, suscitant une réponse urgente d'Akinmusire, dont les sonorités étincelantes s'élèvent au-dessus de tout cela dans une évocation soutenue des cris étouffés du titre. L'arrangement est réduit à la pulsation de la grosse caisse et aux synthés ambiants, laissant l'espace libre aux accords de piano de Harris et aux cordes déchiquetées de Mivos, et Kokayi arrive, relatant une expérience de mort imminente où Akinmusire s'est retrouvé baigné dans une lumière jaune. Travaillant sur des phrases comme le maître improvisateur qu'il est, le vocaliste fait ressortir l'extrémité de la situation. "I might I just/ Float away, float away", chante-t-il, avant de reconnaître la nécessité de retrouver son corps et de s'occuper de son fils. C'est une performance profondément émouvante, à l'image du dernier solo d'Akinmusire, où sa vulnérabilité transparaît dans les sonorités granuleuses et les hauteurs de voix hésitantes.

L'album s'achève sur les 29 minutes de "s-/Kinfolks", dont la partition ouverte permet de longs passages d'improvisation. La dérive ambiante des premières minutes permet à Akinmusire d'explorer des sons abstraits, ses croches froncées et ses grognements rauques trouvant réponse dans les synthés ondulants de Chiquitamagic. Le piano et les cordes mettent lentement les trompettes en évidence ; dans le dernier tiers, Akinmusire nous tue doucement avec des techniques de trompette étouffées et hésitantes, avant de se reprendre et de servir de médiateur à l'échange vibrant entre Harris et Brown. Une coda aux cordes apporte une résolution paisible, le concept de tension et de relâchement d'Akinmusire guidant la musique jusqu'à la toute fin. C'est une conclusion magnifique pour cet album qui, par son ampleur musicale et son honnêteté lyrique, place la barre très haut pour la nouvelle musique en 2025.

Jean-Pierre Simard avec Bandcamp, le 3/02/2025
Ambrose Akinmusire - honey from a winter stone - Nonesuch