Quand La Poste monnaie le sourire du facteur
Vous avez de l’argent mais pas le temps de rendre visite à votre vieille mère au fin fond de sa province ? La Poste a pensé à vous. Contre espèces sonnantes et trébuchantes, le facteur lui rendra visite chaque semaine. Des visites en partie défiscalisées, sur fonds de malaise social au sein du groupe postal, de compression de personnels et de suppression de bureaux de poste.
C’est arrivé un matin dans la boîte aux lettres. : une plaquette couleurs estampillée du logo La Poste, avec ce slogan sur papier glacé : « pour votre tranquillité, nous veillons sur celle de vos parents ». On a donc ouvert le dépliant et découvert cette offre, exceptionnelle, bien sûr : 2 visites du facteur par semaine pour 54,90 € TTC, prix de lancement (59,90 € plein tarif), 4 visites pour 94,90 € TTC et 6 pour 134,90 € ! Pour ce prix-là, vous pourrez également équiper votre parent âgé d’un dispositif de télésurveillance, connecté à un centre de veille et d’écoute disponible 24h/24 et sept jours/sept. Le service s’appelle « Veiller sur mes parents », il capitalise sur notre culpabilité. Celle que nous éprouvons lorsque nous pensons à la solitude de nos aînés. Mais qu’à cela ne tienne, La Poste est là.
Contacté par téléphone, le service clients qui commercialise « Veiller sur mes parents » explique que les visites aux seniors sont assurées par des facteurs volontaires, ce que dément la direction : « tous les facteurs ont vocation à prendre en charge ces visites aux personnes âgées, en fonction des contrats signés par les clients, sur les tournées correspondantes ». Autre information donnée par la plateforme téléphonique, les visites du facteur seraient d’une durée de 5 à 10 minutes. Alors que la direction annonce 6 minutes en interne à ses postiers. Mais, comme l’explique le blog des postiers Sud PTT du Rhône, comment expliquer à une personne seule, qui ne verra que le facteur dans sa journée, « Désolée de vous couper, mais votre temps de parole est écoulé, je vous laisse à votre solitude […] » ? Le différentiel entre les 5 à 10 minutes promises aux clients et les 6 minutes maximum décomptées en temps forfaitaire pour les facteurs devrait donc générer une marge plutôt juteuse.
Un service financé en partie par un crédit d’impôt de l’Etat
Là où le bât blesse, s’agissant du service à vocation lucrative « Veiller sur mes parents », c’est qu’il est en partie financé par de l’argent public. En effet, comme La Poste nous en informe via son dépliant, le crédit d’impôt prévu pour les services à domicile, permet aux actifs de déduire 50% du prix payé de leurs impôts ou de recevoir cette somme par chèque, lorsqu’ils ne sont pas imposables. Et en 2017, le crédit d’impôts sera étendu aux retraités, qui pour l’instant n’en bénéficient pas. Sauf que ce crédit d’impôt, créé par le plan Borloo en 2005, avait, entre autres, pour raisons d’être, de développer l’emploi dans le secteur des services à la personne. Mais pour ce nouveau service, la poste ne crée aucun emploi. Ce sont les 73 000 facteurs de la branche « services-courrier-colis », qui effectueront les visites, dans le cadre de leur tournée de distribution, après une e-formation d’une journée en gérontologie. Et ce n’est pas tout concernant les fonds publics dont bénéficie La Poste. L’entreprise est en effet championne du Crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE), avec environ un milliard perçu sur trois ans, alors que dans le même temps elle a supprimé des milliers de postes : 7000 emplois en moins rien qu’en 2015... Mais qui se souvient encore que le CICE avait pour objectif de favoriser la croissance et l’emploi ?
Des facteurs qui n’ont parfois plus le temps de dire bonjour
Officiellement, la direction de la poste explique que les nouveaux services visent à compenser la baisse du courrier. Soit 22% de baisse entre 2009 et 2014, ce qui occasionne un manque à gagner de 500 millions d’euros par an, selon la Cour des comptes. D’où l’idée de capitaliser sur le point fort de La Poste, à savoir son formidable réseau de proximité (plus de 17 000 points de contact). Et qui est le mieux placé pour la proximité que votre facteur ? Traditionnellement, les facteurs assumaient un rôle social important, particulièrement en milieu rural : ils prenaient gratuitement des nouvelles des personnes âgées lors de leur tournée, quitte à « appeler les secours lorsqu’elles ne répondaient pas », comme le rappelle Laurent Pisani de Sud Ptt. Sauf, que, de réorganisation en suppressions de postes et non-remplacement des départs à la retraite, les facteurs n’ont parfois même plus le temps de dire « bonjour ». Un bonjour qui, du coup, est maintenant facturé par le groupe La Poste dans le cadre du développement de « services de proximité » totalement lucratifs. On est ici dans une tendance à la marchandisation généralisée, qui appauvrit le service public et l'espace des relations sociales, mais qui, en revanche, enrichit les entreprises privées qui commercialisent ces services. En l'occurrence, "Veiller sur mes parents" est une filiale de La Poste.
Promener le chien et livrer les croquettes
Comme l’expliquait en juin dernier Philippe Wahl, le PDG du groupe public, à Ouest-France : « il faut tout essayer », parce que « qui sait ce qui va marcher très bien dans cinq ans ? ». De fait, la poste expérimente tous azimuts : livraison de courses, de médicaments, de repas, de fleurs, mais aussi diagnostics thermiques, récupération du papier recyclé, relevé de compteurs Erdf/Gdf, prise de photos d’un sinistre pour les assurances, pressing, etc. La Poste a même tenté de facturer la promenade du chien par ses facteurs, assortie de la livraison des croquettes ! Avant de faire rapidement marche arrière, selon Eddy Talbot, facteur et membre du bureau fédéral de Sud-Ptt. De fait, comme le reconnaît la Courd des comptes, « malgré le foisonnement des expérimentations, le chiffre d’affaires des nouveaux services (1,7 M€ en 2013, 6 M€ en 2014) reste à ce jour marginal.
Un syndrome France Télécom à La Poste
Les nouveaux services ne représentent encore pour l’instant qu’une part infime du chiffre d’affaires et « une à deux prestations par semaine pour chaque facteur », selon la direction. A mettre en parallèle avec les bénéfices de la banche « Services-courrier-colis », soit 56% du chiffre d’affaires total de La Poste en 2015, en progression de plus de 8 points par rapport à l’année précédente… Et un résultat net de 635 millions d’euros (+ 23% en 2015) pour l’ensemble du groupe. Mais ces bons résultats s’accompagnent d’un climat social délétère, qu’ont mis en évidence tous les rapports d’expertise qui se succèdent depuis 2007. Au point que huit cabinets d’experts travaillant pour le Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) ont envoyé une lettre à Philippe Wahl, le PDG, le 13 octobre dernier. Ils y dénoncent le mépris du dialogue social et la « dégradation de l’état de santé des agents », qu’ils comparent à celle des années noires de France Télécom. D’ailleurs, selon une enquête de RTL, au moins neuf facteurs se sont suicidés ces trois dernières années et cinq ont été sauvés in extremis après avoir tenté de mettre fin à leurs jours. En cause, les plans de réorganisation qui se succèdent, avec la baisse des effectifs-7600 emplois de moins en 2015, soit quatre emplois supprimés toutes les heures, selon Sud Ptt- qui soumet les agents qui restent à des cadences infernales. Dans une entreprise dont la culture est une culture du service public, la chasse aux « gains de productivité » passe mal.
Des tournées intenables
Car si le nombre de lettres baissent, ce n’est pas le cas des petits colis, dont le nombre a fortement augmenté avec le développement du commerce électronique. Ce sont les facteurs qui assument leur livraison, dans le cadre de leur tournée, tout comme les recommandés et autres courriers suivis. Or, le calcul du temps forfaitaire à flux tendu pour chaque opération (1,30 mn pour un recommandé) aboutit, pour les postiers qui sont en bout de chaîne, à des tournées intenables (ce serait le cas de 20 à 40% d’entre elles selon les experts). Les syndicats sont d’ailleurs engagés dans un bras de fer avec la direction -une grève nationale est prévue le 8 décembre-, qui a accepté de suspendre le plan de réorganisation des métiers de la distribution jusqu’à la fin de la fin de l’année, mais refuse d’étendre la négociation à l’ensemble des branches.
Véronique Valentino