Le faible gagne toujours, par Sébastien Doubinsky

Il est des moments où l'écrivain regarde le roman qu'il est en train d’écrire péniblement avec suspicion, voire dégoût. Lorsque la violence et l'horreur frappent le monde qui l'entoure et le nourrit, l'acte d'écrire et ses tourments paraissent soudain bien ridicules. Un luxe obscène, même.

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Ses premières réactions sont de ne pas pouvoir continuer, de ne plus vouloir continuer, de ne plus jamais continuer. Que peut la fiction contre la mort? Rien. Il est impossible de nier la matérialité du monde. Les murs existent, et l’on se fait mal si l’on se cogne contre eux. Il en est de même pour la violence politique. Elle est indéniable et aussi puissante que la mort qui l'accompagne. Que peuvent les mots contre les balles? A priori, rien. Comme disait mon prof de philo en khâgne: "La violence est un problème pour la philosophie, mais la philosophie n'est pas un problème pour la violence". A chaque guerre, à chaque attentat, l'impuissance des intellectuels et des artistes est relevée et moquée. Et c'est vrai, nous sommes faibles.

Faiblissimes, pour tout dire. Nos écrits, notre art, nos films n'ont jamais arrêté un tank ou tué des terroristes. Sur ce plan-là, notre inefficacité est sans faille. Si la violence, le fanatisme sont des monstres surpuissants, nous sommes effectivement super faibles. Pas de super-héros écrivain ou artiste pour casser la figure aux super-vilains. Mais il y a un proverbe taoïste qui dit : "Le faible gagne toujours." C'est une métaphore de l'eau qui apparemment sans rien faire peut creuser le lit des rivières et faire tomber des montagnes. L'écriture, les arts sont comme cette eau. Ils ne travaillent pas, comme le feu, dans l'instant, mais sur la durée.

Chaque livre, chaque œuvre est comme une petite vaguelette qui va s'attaquer à l'ignorance et à la violence. Le pouvoir secret de cette vaguelette? Elle est immortelle. Elle a le temps pour elle. Elle a tout le temps pour elle. Et elle n'est pas seule, alors que les foyers qui brûlent un peu partout sont en réalité isolés. De ces vaguelettes,  il y en a des dizaines, des centaines, des milliers, qui heure après heure, jour après jour, année après année, cernent et éteignent ces feux de haine. Alors oui, nous sommes faibles, nous, les intellectuels, mais c’est aussi notre plus grande force. Et il nous faut reprendre l’écriture, la création et la réflexion pour nourrir cet océan immense que l’on appelle culture, et qui est la rouille du fanatisme et de la violence.

Sébastien Doubinsky