Entre Guernica et Alep, par Yacov Ben Efrat
Il n'y aura pas de gagnants ici. Avec une Syrie presque totalement détruite, la moitié de ses habitants ayant fui le pays, des centaines de milliers de torturés et d'affamés dans les prisons, et des centaines de milliers d'autres massacrés par le régime, personne ne peut parler de victoire. Mais les perdants sont nombreux. Ce qui se passe en Syrie est une défaite pour l'humanité, et ceux qui font une équation entre Alep et Guernica n'ont pas tort.
Guernica, une ville du Pays basque d'Espagne, fut rasée par la Luftwaffe de l'Allemagne nazie. Les Allemands étaient venus pour sauver le général fasciste Francisco Franco dans la guerre civile espagnole (1937). L'Occident, craignant "la terreur communiste," a permis a Franco de gagner la guerre civile aidée avec l'aide de l'aviation d'Hitler (les civils ont été délibérément pris pour cible à Guernica). Le résultat est bien connu: la victoire de Franco annonçait la Seconde Guerre mondiale, qui a fait 50 millions de victimes, et Franco est resté le dictateur de l'Espagne jusqu'à sa mort en 1975, 30 ans après la défaite d'Hitler.
Dans son discours devant le Conseil de sécurité de l'ONU, l'ambassadrice US à l'ONU, Samantha Power, a qualifié les actions russes à Alep de barbares, de crime contre l'humanité. Ses paroles étaient en totale contradiction avec la position de son patron. John Kerry a mené de fastidieuses négociations avec son homologue russe, Sergueï Lavrov, pendant huit mois, après quoi les deux parties ont convenu d'un cessez-le feu qui devait mettre fin à cinq ans d'effusion de sang. Mais il y a eu un hic: l'accord est resté confidentiel parce que les USAméricains, contrairement aux Russes, ne voulaient pas le rendre public. L'opposition syrienne, qui était censée agir en conformité avec le cessez-le-feu, n'a pas reçu le texte de l'accord et est donc restée sceptique sur les intentions US. Ce qui est curieux dans cet accord jamais entré en vigueur, c'est que John Kerry avait entrepris de coopérer avec les Russes dans la guerre contre Jabhat al-Nusra contre, abandonnant ainsi sa demande initiale d'éviction d'Assad.
Cet accord a été considéré comme une défaite écrasante pour les USA par Poutine, vu que ceux-ci ont accepté la position russe. Cette position, bien sûr, est que le problème syrien ne vient pas du régime meurtrier d'Assad, mais de l'opposition, qui est définie comme terroriste par les Russes. En tentant de se différencier de l'administration Bush, l'administration Obama est tombée amoureuse de la diplomatie comme si celle-ci était une baguette magique apte à résoudre tous les problèmes internationaux, et l'accord sur le nucléaire avec l'Iran est devenu le Saint Graal de la politique étrangère US. La Syrie, l'Irak et l'Ukraine ont été sacrifiés sur cet autel.
Obama dit que la guerre en Syrie ne peut être résolue militairement, mais seulement sur le plan politique. Il pense que Poutine finira par se rendre compte que l'implication militaire russe en Syrie ne fait que compliquer la situation générale, et qu'il adoptera finalement l'approche "intellectuelle" d'Obama. Poutine n'a pas été éduqué à Harvard, mais au KGB, et sa tâche principale est de rétablir le statut de superpuissance de la Russie au Moyen-Orient. La Syrie est un test de sa stratégie.
Le cessez-le-feu a échoué non pas en raison de la nature brutale du régime Assad ou du refus d'Al-Nusra de le respecter mais en raison de malentendus entre les USAméricains et les Russes. En contrepartie d'un cessez-le-feu et d'une reprise de l'aide humanitaire à la ville assiégée d'Alep, les Russes exigeaient la mise en place d'un quartier général militaire conjoint avec les USAméricains pour lutter contre ce qu'ils appellent «terrorisme». Cette condition bizarre a été acceptée par Kerry, mais le Département US de la défense est monté sur ses grands chevaux et a refusé de coopérer avec l'armée russe. De là à l'effondrement du cessez-le feu, il n'y avait qu'un pas, vite franchi.
Il est vite devenu clair que les Russes voyaient le cessez-le-feu comme un moyen d'infliger une défaite complète à l'opposition syrienne et d'imposer Assad à la Syrie et au monde. Il s'avère que les Russes, contrairement à Obama, croient vraiment que le conflit syrien a une solution militaire. En outre, ils ont déclaré ouvertement qu'il n'y a pas de solution politique. Donc, pendant les huit mois de négociations, Lavrov a tenté de convaincre Kerry que ce n'était pas Assad le problème, mais l'opposition syrienne. Kerry était presque convaincu jusqu'à ce que les Russes bombardent un convoi de l'ONU qui acheminait l'aide humanitaire à Alep et, deux jours plus tard, les bombardements meurtriers d'Assad sur Alep avaient repris.
Comme Guernica, Alep est devenu un symbole non seulement de la barbarie meurtrière et aveugle, mais aussi de l'effondrement complet de l'ordre international, avec les institutions de l'ONU et le Conseil de sécurité. Depuis l'accord sur le nucléaire avec l'Iran, les USA ont perdu leur boussole en ce qui concerne la politique étrangère: après une année de vains efforts, ils se sont désengagés du conflit israélo-palestinien; ils ont fermé les yeux sur la Syrie et laissé la Crimée aux Russes. Ils ont laissé le monde livré aux caprices de dirigeants débridés comme Poutine, Assad, Khamenei, Kim Jong Il, et notre propre Benjamin Netanyahou. Dans un sens, Alep est un test pour l'humanité et un prologue aux futurs conflits internationaux. Alep a éclipsé la dévastation du quartier de Shujaiyah à Gaza infligée par l'armée israélienne lors de l'opération Bordure de protection. C'est un test des nations pour mettre fin aux horreurs et aux crimes de guerre commis au grand jour.
Le massacre d'Alep est la marque de Caïn sur le front d'Obama. Son inaction et le refus de déclarer une zone d'exclusion aérienne pour l'aviation d'Assad, sa résistance à doter l'opposition de missiles anti-aériens, son partenariat avec les Iraniens en Irak sous le prétexte de combattre l'ISIS, ses déclarations répétées que les USA n'ont aucun intérêt en Syrie, son insistance sur la lutte contre l'ISIS tout en abandonnant la lutte contre Assad, et son soutien aux Kurdes au détriment des Turcs : tout cela a préparé le terrain à la participation russe. Les bombardements aveugles par la Russie de civils et d'hôpitaux ne l'a pas empêchée de devenir un partenaire légitime des USA, comme si les Russes étaient une partie «neutre» dans la guerre civile syrienne.
Donald Trump, admirateur de Poutine, est considéré comme un choix réaliste pour la présidence. Trump menace d'effacer «l'héritage» d'Obama de la face de la terre. Poutine utilise l'étroite fenêtre d'opportunité qui existe jusqu'à la nouvelle administration US pour déterminer le sort d'Alep. Le sort d'Alep décidera du sort de la région. Le monde après Alep ne sera pas le même que ce qu'il était avant que la Russie utilise toute sa puissance militaire pour imposer le régime sanglant d'Assad au peuple syrien, en écrasant son désir de démocratie. Dire que les efforts russes sont voués à l'échec revient à dire qu'Hitler a échoué. Historiquement, c'est le cas, mais à la fin de la Seconde Guerre mondiale, Hitler avait laissé derrière lui des fleuves de sang et de destruction qui auraient pu être empêchés si l'humanité s'était mobilisée en temps utile. La leçon historique n'a pas été apprise, et ainsi l'humanité est condamnée à payer encore une fois un prix inimaginable.
Yacov Ben Efrat יעקב בן-אפרת يعقوب بن افرات
Traduit par Eve Harguindey
Merci à Tlaxcala
Source: http://bit.ly/2dkT1jE
Date de parution de l'article original: 30/09/2016
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