Gilets jaunes, marcheurs pour le climat, prétendues minorités, racisés et jeunes des quartiers : ils ont en commun d'avoir retrouvé le goût d'écrire leur vie

Démocratie directe, blocages, occupations, autonomie par rapport aux anciennes structures politiques et syndicales, souterrainement, ce sont les luttes de ces trois dernières années, trop vite analysées comme des échecs, qui ont nourri et inspiré le mouvement des Gilets jaunes. Ils ont en commun d'avoir retrouvé le goût d'écrire leur vie. De se dérober à la dictée de l'époque et des autorités. De penser que leur destin n'est pas déjà décidé. De sortir du scénario.

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  1. Si l'on parle tant de convergence des luttes, c'est bien qu'elle ne va pas de soi, comme l'avait démontré le Comité Vérité et justice pour Adama en s’emparant de la tête du cortège de la manifestation contre Macron du 26 mai 2017 pour rappeler aux organisateurs qu'ils n'avaient jamais pris en compte dans leurs revendications l'existence des quartiers populaires, du racisme et des violences policières. Il faut admettre cette évidence : beaucoup des combats politiques et sociaux d'aujourd'hui désorientent une gauche traditionnelle pour qui toute revendication propre est un obstacle potentiel à la poursuite du grand objectif commun, pour les uns une victoire électorale (#tapezFI), pour d'autres la révolution prolétarienne (#tapezLO). Or poursuivre ces deux licornes, de plus en plus mythiques, presque oubliées, ne suffit plus à convaincre des gens contraints par l'urgence et résolus à agir de la nécessité de mettre sous le tapis leurs revendications propres. Ce qui ne signifie pas qu'elles s'opposent nécessairement entre elles - souvent elles se croisent, se recroisent, s'appuient les unes les autres - mais qu'on ne peut plus les ignorer en tant que telles. Dans leur singularité. Avec leurs méthodes d'action et leurs objectifs.
     

  2. Mauvaise nouvelle pour les leaders : il y aura de moins en moins de subordonnés. Mais il peut y avoir des alliés. A condition qu'on en accepte l'idée. La question de l'alliance est aujourd'hui centrale. Non plus au niveau des partis, mais des mouvements sociaux. Cela passe par la construction d'une entente, d'une écoute réciproque, du respect de la parole des uns et des autres, de l'admission franche et entière de son droit à être et à s'organiser comme il l'entend, et naturellement par des affrontements, des rapprochements et des éloignements. L'Autre Quotidien se fait l'écho de ces débats, dont l'issue est essentielle pour que la société change dans le bon sens. Comme dans toutes les intersections, la possibilité de collision existe. Il y aura donc des froissements, des coups de klaxon, des accidents, des énervements. Mais il faut qu'il y ait circulation, et que la circulation l'emporte. 
     

  3. En remplissant l'espace, laissé vide des années par les syndicats et les partis, de la constellation des paroles singulières, l'existence d'un cortège de tête dans toutes les manifestations importantes s'est imposée ces trois dernières années comme une nécessité, et donc comme quelque chose que les organisateurs ne rêvent même plus de voir disparaître. Ce premier mai 2019, cortège syndical à part, en queue de manif, ne fut d’ailleurs qu’un immense cortège de tête réunissant des dizaines de milliers de gens. L’affaire est donc réglée. Toute manifestation de masse, et donc de joie et de force retrouvées, au sens propre manifestées, s’émancipe désormais d’abord du contrôle de quelque organisateur que ce soit - c’est la nouvelle condition de son existence. Dans ces cortèges de tête, ce n'est pas la violence qu'on devrait d'abord y remarquer. Elle n'est pas automatique. Et la plupart du temps plus symbolique qu'autre chose. Mais la solidarité, dans l'adversité comme dans la joie d'être là, de compter enfin, de s'exprimer par eux-mêmes, de gens dont on pourrait penser, tant ils sont divers, qu'ils n'ont rien à faire ensemble, et qui soudain font corps. Ils ont en commun d'avoir retrouvé le goût d'écrire leur vie. De se dérober à la dictée de l'époque et des autorités. De penser que leur destin n'est pas déjà décidé. De sortir du scénario. Pour rendre compte de cette insurrection de ceux qui refusent d'être des figurants, mais revendiquent leur liberté d'être, de parler et de décider par eux-mêmes, L'Autre Quotidien ne peut être qu'un roman collectif et polyphonique.

    Ce qui se passe d’inouï en ce moment avec le mouvement des Gilets jaunes ou les marches des jeunes pour le climat est la preuve éclatante de tout cela.

    Christian Perrot, le 28 mai 2019

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