Vol de nuit à Buenos Aires, par Céline Riotte
Lundi 11 novembre
Hier c'était dimanche et presque tout Buenos Aires courait dans les parcs de Palermo. Les enfants étaient à roller, à vélo, à pédalo. Des troupes dansaient, des acrobates rejoignaient le ciel. Les visages beaux et rieurs parlent d'un mot qui ne se trouve pas dans le vocabulaire de tous les pays. On cherche le terme exact et c'est comme un mystère à résoudre pour une parisienne qui se souvient mal avoir ressenti une sérénité ou une joie comparable au parc Monceau ou aux Tuileries.
Mercredi 13 novembre
"Chaque personne est un monde". Voici un slogan publicitaire pour un téléphone mobile qu'on peut croquer du regard sur les murs de Buenos Aires pendant les longs trajets dans un train en bien mauvais état. Il traverse toute la ville cahin-caha et surtout très lentement, il lui manque une porte, et ses passagers sont fatigués. Les yeux d'un jeune garçon se mouillent d'un chagrin d'amour, une mère est attentive au discours sérieux de sa fille de huit ans, un autre est plongé dans une pensée qu'on pressent être décisive pour sa vie. Les murmures de chaque âme pensante forment un nuage sensible qui plane sur la ville immense. De la gare de Once à celle de Liviers le paysage défile ni beau ni laid, plutôt blanc et rafistolé.
Dans "L'invention de la solitude", Paul Auster parle de la déambulation dans une ville qu'il compare à une pensée qui se développe. Le voyage est une méditation. Au commencement c'est épuisant, le jetlag retourne les intestins et les nouveautés en masse qui arrivent à la conscience ont un effet perturbant sur la psyché. Deux ou trois jours après l'arrivée, dans le vif du voyage, le creux de l'aventure, l'idée d'être très loin de tout ce qu'on connaît s'installe. Se trouver au milieu d'un réseau infini de choses inconnues constitue l'expérience pure de l'inédit. Le monde tout autour parle une langue étrangère. La déambulation dans une ville est comme une pensée qui se développe... Oui mais où diable sont les panneaux indiquant la direction à suivre quand tout est à découvrir? A Buenos Aires il existe de très beaux néons colorés à l'entrée des parkings ou sur les devantures des restaurants. Ils grésillent comme dans le rêve d'un personnage d'un film de David Lynch. Les ampoules sont vieilles. On cherche les flèches, les signes qui nous invitent, la lumière clignotante d'une enseigne, le son d'un musicien de rue qui nous attirent, aiguillent notre désir.
La direction que l'on prend, le chemin que l'on choisit par hasard croit-on est en réalité le rêve que l'on fait de la ville qui se dessine à l'intérieur de nous, pour à la fin du voyage, se sentir chez soi dans le monde.
Céline Riotte