Le Tamil Nadu s’attaque aux prétendues thérapies de réorientation sexuelle
Saisie par un couple de lesbiennes harcelées par leurs parents parce qu’elles vivent en couple, la haute cour de Madras invite le législateur à interdire les pratiques médicales préconisées par des charlatans pour “guérir” de l’homosexualité.
Le Tamil Nadu va-t-il devenir le premier État fédéré de l’Inde à interdire les thérapies de réorientation sexuelle ? Lundi 7 juin, la haute cour de Madras a rendu “un jugement progressiste sans précédent” en ce sens, “dans le but de rendre la société indienne plus tolérante à l’égard de la communauté LGBT”, salue le journal britannique The Independent. Cette prise de position fait écho à la promesse, faite en mai par le Royaume-Uni, d’interdire ces thérapies, selon lesquelles la sexualité peut être modifiée par une intervention extérieure.
Sur les réseaux sociaux, plusieurs commentateurs ont qualifié cette décision d’“hommage mérité” aux homosexuels et aux transsexuels, “alors que se tiennent en juin les marches des fiertés”, dans le monde entier. Avec la décision des juges de Madras de “bannir toute tentative de guérison médicale ou de changement de l’orientation sexuelle, le Tamil Nadu, dans le sud de l’Inde, devrait créer un précédent”.
Harcèlement et menaces
Les magistrats avaient été saisis d’une requête “déposée par un couple de lesbiennes qui s’étaient enfuies de leur domicile”, dans la ville de Madurai, “parce que leurs parents s’opposaient à leur vie commune”. Les familles des deux femmes étaient allées jusqu’à déclarer leur disparition auprès de la police, ce qui avait conduit à l’interrogatoire du couple et au dépôt par celui-ci d’“une demande de protection contre le harcèlement des forces de l’ordre et contre toute menace pour leur sécurité”.
Peuplé de 80 millions d’habitants, le Tamil Nadu est une région à part en Inde, où l’allégeance au gouvernement fédéral de Delhi est un sujet de débat permanent. “Il faut maintenant que l’Inde dans son entier prenne des mesures décisives pour mettre fin à cette pratique vicieuse et sans fondement médical”, estime le député du Parti du Congrès Shashi Tharoor dans une tribune parue jeudi 10 juin dans l’Indian Express et cosignée par le chercheur Aditya Sharma.
“Il ne fait aucun doute que les thérapies de réorientation sexuelle soumettent les victimes à diverses formes d’abus physiques et émotionnels, et qu’elles sont profondément nocives”, souligne cet ancien haut dirigeant de l’ONU. Une étude réalisée par l’expert indépendant des Nations unies sur la violence et la discrimination fondées sur le genre a révélé que 98 % des personnes qui suivent de telles thérapies subissent des dommages durables, “notamment la dépression, l’anxiété, des dommages physiques permanents et la perte de la foi”, ajoute-t-il.
“Derrière l’écran de fumée de la science ou de la foi, des charlatans de tous bords proposent des services qui promettent de changer l’orientation sexuelle, enracinant la fausse croyance que les orientations non hétérosexuelles sont en quelque sorte contre nature ou immorales.”
Évolution de la législation
En Inde, l’homosexualité avait été dépénalisée une première fois en 2009, avant d’être à nouveau considérée comme illégale en 2013, pour finalement disparaître du Code pénal, en tant que délit, en septembre 2018. Les nationalistes hindous au pouvoir n’en demeurent pas moins fermés à toute évolution de la législation sur les droits des personnes LGBT.
Au mois de mars, alors que la haute cour de Delhi venait d’être saisie de la question du mariage pour tous par des associations de militants, le gouvernement Modi avait jugé bon de déclarer que “tout changement dans les lois actuelles qui régissent le mariage conduirait à un bouleversement complet de l’équilibre délicat” qui, d’après lui, règne dans le sous-continent, selon Scroll.
“Dans un pays où l’on estime que 90 % des mariages sont arrangés, il n’est pas surprenant que le gouvernement ait choisi d’aller à l’encontre des choix personnels et de l’amour entre personnes de même sexe”, car après tout, en Inde, l’idée même de choix “ne correspond pas au modèle […] qui définit le mariage dans la société”. Du point de vue de l’État, l’honnêteté qui s’attache à la rupture de la norme reste trop “difficile à accepter”.
Guillaume Delacroix