Pour un accès universel et gratuit aux vaccins !
Il faut empêcher l’Organisation mondiale du commerce de mettre en péril la vie de millions de gens
La pandémie actuelle ne sera pas combattue efficacement à moins que le monde entier n’ait l’accès universel gratuit aux vaccins. Dans le présent système où la production est monopolisée par quelques grandes entreprises, cela ne peut se produire, car celles-ci disposent grâce aux accords sur la propriété intellectuelle des « droits » sur les vaccins. Comme résultat, les pays pauvres ne peuvent se permettre d’acheter ces vaccins dispendieux. Pour la chercheuse sud-africaine Fatima Hassan, c’est un système d’apartheid médical qui est en place. Dans le monde, quelque 100 millions de personnes sont tombées malades du COVID-19 et plus de 2 millions sont décédées. Selon l’OMS, plus des trois quarts de ces vaccinations sont effectuées dans seulement 10 pays qui représentent près de 60% du produit intérieur brut (PIB) mondial. L’OMS indique que moins de 27% de la population du Sud recevra des vaccins avant la fin de 2021.
Une réponse internationale totalement inadéquate
Jusqu’à présent, la réponse a été d’offrir des vaccins dans le cadre du programme COVAX, géré comme un projet privé-public. Cependant, le processus reste opaque. Nous ne savons pas comment et dans quelles conditions les vaccins sont distribués. Même les parlementaires des pays respectifs n’en sont pas informés, selon certains dires. Tout le processus reste confiné et enraciné dans un ordre mondial qui donne la priorité à la protection de la propriété intellectuelle liée au commerce, même en période de grave crise de santé publique.
Il y a 30 ans, la même histoire s’est produite
La crise actuelle est une répétition tragique des premières années de la pandémie du syndrome d’immunodéficience acquise (sida). Dans la période 1980-1990, des millions de personnes sont mortes parce qu’elles n’ont pas eu accès aux médicaments antirétroviraux produits par le Big Pharma. Une énorme campagne internationale initiée par des organismes sud-africains a fini par imposer à l’OMC d’accepter la levée temporaire des droits de propriété intellectuelle sur les vaccins. Rapidement, plusieurs pays dont le Brésil, l’Inde, l’Afrique du Sud et la Thaïlande ont pu produire et importer des versions génériques rendant le médicament accessible, et c’est ainsi que la situation a été inversée. Aujourd’hui selon Fatima Hassan, le monde ne doit pas faire les mêmes erreurs. La riposte à la pandémie ne devrait pas reposer sur une coopération volontaire, mais sur des programmes d’urgence, y compris des mesures obligatoires forçant l’accès aux vaccins.
La solidarité au-dessus des profits
Actuellement en Europe, nous explique Vittorio Agnoletto, trois grandes entreprises pharmaceutiques ont été mandatées par l’Union européenne pour produire et livrer des vaccins. Mais c’est déjà le chaos. Plusieurs des 27 États membres jouent leur propre jeu et importent des médicaments à gauche et à droite, même de la Russie et de la Chine. Des pays s’en sortent, d’autres beaucoup moins dans une foire d’empoigne sans fin. Le médecin italien, avec des milliers d’autres personnes en Europe, ont lancé une pétition pour que les États cessent d’abandonner leurs responsabilités au Big Pharma. Ils réclament de savoir ce qui se passe, qui produit quoi, selon quels contrats et à quel prix. Ils veulent aussi savoir qui a été subventionné par les fonds publics, ce qui permet à Big Pharma de vivre aux crochets de l’État. « Les vaccins, dit Agnoletto, nous les avons déjà payés ! ». Déjà 100 000 personnes ont signé la pétition, mais selon les règles de la Commission européenne il en faut un million seulement pour ouvrir une enquête. Entretemps, les mouvements sociaux et les ONF font campagne pour appuyer la démarche de l’Inde et de l’Afrique du Sud (voir les détails de cette campagne à noprofitonpandemic.eu).
Une pénurie artificielle
Selon Jorge Bermudez, la pénurie de vaccins affecte plus de 84 pays. Même l’Organisation mondiale de la santé (OMS) admet qu’au train où vont les choses, l’accès ne sera pas universel avant 2024. Le programme actuel de dotation, COVAX, est largement insuffisant. Plus encore, il est soumis à toutes sortes de contraintes. Il écarte notamment les personnes les plus vulnérables, notamment les chômeurs ou semi-employés, les sans-abri, les réfugiés, etc. Pourtant, plus de 40 pays, dont le Brésil avec l’Instituto Butantan, disposent d’installations de production qui pourraient être utilisées pour produire des vaccins. Malheureusement, le gouvernement de droite du Brésil, au lieu de soutenir la demande de l’Afrique du Sud, de l’Inde et de nombreux autres gouvernements, se cantonne dans l’immobilisme. Le Brésil est maintenant le pays dans le monde le plus affecté par la pandémie, avec un nombre de morts qui dépasse celui de tous les autres pays, y compris les États-Unis.
Il faut suspendre les brevets
Leena Mendahaney estime que les règles sur les droits de propriété intellectuelle ne font aucun sens dans une situation critique comme celle qui est vécue aujourd’hui. « Il faudrait attendre jusqu’en 2033 pour que les brevets arrivent à échéance ». Pourtant, comme on l’a vu dans le cadre du drame du sida en Afrique, on avait fini par accepter de déroger aux normes. Mais jusqu’à présent, les sociétés pharmaceutiques et autres fabricants de produits nécessaires pour lutter contre le COVID-19 n’ont montré aucune volonté d’adopter une approche différente. MSF exhorte tous les gouvernements à soutenir la décision de l’Inde et de l’Afrique du Sud de s’assurer que les vies humaines sont prioritaires. La dérogation doit être valable jusqu’à ce que le vaccin soit largement disponible et que la majeure partie de la population mondiale ait développé une immunité.
La grande bataille est à venir
Le problème actuel vient de loin. Au Canada, explique Amir Khadir, le pays disposait jusque dans les années 1960 de capacités locales pour produire des vaccins comme le faisait par exemple l’Institut Armand-Frappier, qui rendait accessibles les vaccins contre la tuberculose, la poliomyélite, la diphtérie, la coqueluche et le tétanos. La recherche était développée par des universités avec l’aide de fonds publics. C’est ainsi que la vaccination des enfants est devenue largement accessible et gratuite. Mais avec la vague néolibérale des années 1980, ces institutions ont été privatisées. Acquis pour moins de 4 millions de dollars par Biochem Pharma, l’Institut Armand Frappier a été vendu 10 ans plus tard pour 5 milliards à Shire, une pharmaceutique anglaise, qui a déménagé la production ailleurs, où les coûts de production sont moins élevés. « Il faudra tout changer cela », estime Khadir. Une campagne est en cours pour mettre en place une entreprise publique qui aurait le mandat de réguler la production et la distribution de produits pharmaceutiques.
Pierre Beaudet
Compte-rendu de la récente réunion mondiale des militants des vaccins organisée par Dialogue global et la Tapisserie mondiale des alternatives