Le virus pose à chacun une intime question : où j’en suis, avec l’égalité ? Par Natacha Samuel
En arrêtant le bruit du monde et en mettant à nu les mécaniques inégalitaires, le virus pose à chacun, qu’il le veuille ou non, une intime question : où j’en suis, avec l’égalité ? Qu’est-ce que ça me fait, que des gens aujourd’hui soient abandonnés à la mort dans la rue dans les prisons les centres de rétention les maisons pour vieux les hôpitaux les entrepôts les quartiers populaires ?
1. Je vis dans la conscience profonde de l’égalité, je la ressens comme une vérité métaphysique, le visage de l’autre quel qu’il soit me bouleverse et j’y reconnais un autre moi-même. Sa souffrance est la mienne. Je ne peux jouir réellement tant qu’un souffre. Le drame de l’inégalité, résultat d’une histoire politique, meut mes actions quotidiennes et ma pensée. Jusqu’au bout je me battrai pour que chaque humain ait les mêmes droits.
2. Je sais que les humains sont égaux, c’est évident, on naît tous pareils. L’inégalité m’attriste je la condamne la déplore mais je ne suis pas sûr qu’il s’agisse d’un résultat politique, je n’y ai jamais vraiment réfléchi. De toutes façons je ne peux rien y faire personnellement. Quand j’y pense ou tombe dessus je soupire et passe vite à autre chose, ma vie est déjà assez complexe voire compliquée comme ça et je n’ai pas l’âme d’un militant, même si j’aimerais.
3. L’inégalité m’attriste je condamne et déplore mais d’un autre côté je sais que les humains sont inégaux, c’est la triste vérité de l’humain, qu’on le veuille ou non. L’égalité est une utopie naïve et un peu niaise, en aucun cas une vérité métaphysique. J’accepte donc l’inégalité puisqu’elle est fait. Et si je suis sincère je dois avouer que je jouis de faire et de recevoir ce que d’autres ne font ni ne reçoivent. Qu’est-ce que ça serait chiant un monde égalitaire. Quelque part j’ai goût pour l’aristocratie, c’est vrai. J’ai le sens de la compétition, ça me stimule. Les militants sont à mes yeux des gens ringards, premier degré, pas sexy du tout.
4. Qu’ils crèvent on est trop nombreux, que les meilleurs gagnent, j’adore la compétition, je veux plus que toi et je comprends, au fond, le désir de meurtre, et pourquoi pas ? La morale c’est pour les faibles et les bonnes femmes. Par delà le bien et le mal commence la consistance de la vie. Pourquoi sauver des vieux ? Des réfugiés en galère ? Des sdf malades ? Des familles entassées ? Des immigrés qui ont merdé ? Leur vie ne sert à rien, eux mêmes s’en plaignent.
(si on était nombreux à vouloir un monde égalitaire, on l’arracherait, on l’aurait. Les morts d’aujourd’hui sont ma responsabilité. Une personne en moins dans le combat pour l’égalité c’est travailler à la victoire de l’inégalité)
Natacha Samuel, le 5 avril 2020