Contre le 49.3 et le gavage des lois
A l'autoritarisme, ajouter la félonie, et une louche de mauvaise foi. C'est la recette de la gouvernance à l'étouffée, qu'on appellera désormais "à la Macron". Et qui n'est pas sans rapport avec la méthode dite du "gavage des lois".
- Autoritarisme à la Macron : c'est la deuxième fois en quelques années qu'une réforme essentielle du droit social imaginée par Emmanuel Macron est imposée aux français par l'usage du 49.3. Il s'agissait hier de réécrire le code du Travail dans un sens plus favorable au patronat, aujourd'hui d'inventer une retraite à points qui favorisera les compagnies d'assurance. Dans les deux cas, il est intéressant de noter que le gouvernement disposait pourtant d'une majorité parlementaire à sa main. Alors pourquoi un 49.3 ? Parce qu'une grande majorité des français refusait ces lois, et que cela ébranle jusqu'aux média aux pieds, et une majorité parlementaire. Le refus absolu, paniqué, de recourir à un référendum le démontre amplement : Macron sait parfaitement qu'il est minoritaire dans le pays, et il passe en force. C'est cela, le gavage des lois. Et cela s'apparente à la torture.
- Félonie : ne prévenir aucun député du recours au 49.3 ce samedi en fin de soirée. Convoquer le matin une réunion du gouvernement sur les mesures à prendre pour le coronavirus, en profiter dans la foulée pour annoncer le dépôt du 49.3. Nous apprenons que des secrétaires d'état viennent d'avouer qu'ils l'ont appris par la presse. Le premier ministre est arrivé au Parlement après 17h. Il n'y est resté que le temps d'un discours de dix minutes top chrono. Ciao, finie la discussion. Nous avons perdu en dix minutes le système de retraites qui fonctionnait depuis des décennies pour en adopter un nouveau dont personne ne pourrait dire en quoi il consistera vraiment. Extraordinaire !
- Félonie au carré : se dire qu'à quelque chose malheur est bon, et tirer profit du coronavirus pour instaurer un état d'urgence qui tombe à pic, en laissant par exemple aux préfets, donc à l'état, toute latitude pour interdire les manifestations à l'air libre de plus de 5000 personnes. Voire repousser des élections municipales qui s'annoncent comme un fiasco pour la LREM.
- Mauvaise foi : présenter un projet dont tout le monde, du conseil d'état aux économistes qui l'avaient inspiré, juge aujourd'hui qu'il n'est ni fait ni à faire, plein d'inexplicables trous, absurde par endroits, totalement critiquable, et à géométrie variable (exemples : ce qu'on avait accordé aux pompiers leur fut refusé par le Parlement, Macron est déjà revenu sur les 1000 euros de retraite promis aux paysans, les augmentations du salaire des enseignants évoquées par leur ministre pour compenser l'indiscutable baisse de leur retraite est jugée inconstitutionnelle, quid de la retraite des avocats ? etc), et trouver scandaleux que l'opposition parlementaire s'y oppose, forte de sondages qui, tous, disent qu'une grande majorité des français refuse la réforme Macron des retraites. S'en étonner, s'en scandaliser, c'est le comble de la mauvaise foi. Comment en serait-il autrement ?
Les français pensent qu'ils ont un Parlement.
En fait ils ont le préfet Lallement.
Et cela se résume à peu près à cela.
Avec des éléments de langage (on vient d'entendre : "c'est un 49.3 qui va permettre l'ouverture d'un vrai débat") coulés dans le béton qui fait disparaître les cadavres.
Il se trouve que la France est un pays.
Ses statuts ne sont pas ceux d'une "compagnie".
Macron n'est pas son "Chief Executive Officer". Son patron avec tous les pouvoirs. Son Carlos Ghosn.
Le parlement et le Sénat ne sont pas un conseil d'administration.
Ni la chambre d'enregistrement des voeux du Boss.
De plus en plus de gens le réalisent : nous voulons une vraie démocratie.
Ce que nous vivons n'en est pas une. 15% des français imposent leur loi à tous les autres. Et tout est organisé pour le permettre. Savamment organisé. C'est ce qui doit changer. Avant tout. Parce que c'est la condition de tout réel changement en France. Il faut que le couvercle de plomb saute. Renverser le système. Voir plus loin que ses règles. Les dénoncer pour ce qu'elle sont : des chaînes. Des camisoles de force. Des entonnoirs pour le gavage des lois, et une tricherie institutionnalisée.