En venant vivre à Nantes

steve.jpg

En venant vivre à Nantes, je n'avais pas du tout imaginé débarquer dans une ville frappée par le deuil. Ici, la mort de Steve ne passe pas. Au contraire, elle empire comme une plaie que personne n'a pris soin de soigner comme il faut. Une blessure qui fait mal à beaucoup de Nantais, impossible à soigner désormais puisque la ville, la préfecture et l'État continuent de nier l'urgence du mal qui a été fait dans le respect de l'ordre, à l'ouest d'un pays dont la police est malade, dont une partie de la jeunesse est criminalisée pour être mieux violentée, humiliée et incarcérée comme une espèce nuisible qu'il faut éradiquer.

Les jeunes des banlieues ont appris à subir au quotidien l'oppression policière d'un État de plus en plus incapable de protéger les droits humains, seulement habitué à voir encore certaines cités comme une gangrène. Mais aujourd'hui, la stigmatisation et la répression ont aussi atteint les zadistes des quatre coins du pays, les squatteurs et les teufeurs, les Gilets Jaunes et les migrants, les solidaires et les manifestants en général, qu'on gaze et qu'on bastonne comme si c'était devenu une vieille coutume républicaine.

Alors que non. Nous sommes le peuple, rien d'autre qu'un peuple en colère face à la répression armée systématique des opposants. Nous sommes le peuple d'une société utilitaire hyperviolente, qui ne fonctionne que pour protéger le dernier cercle des actionnaires quand ils se répartissent les dividendes issus d'un capitalisme lié aux prochaines apocalypses.

Nous sommes le peuple et nous étions cinq mille le 3 août, dans les rues de Nantes pour demander justice pour Steve et la fin des violences policières. Il n'y a pas eu d'autres réponses que le gaz à outrance et les sinistres provocations de la BAC, qu'ici la presse locale compare à la Gestapo.

Nous sommes le peuple et nous étions deux mille le 14 septembre, face aux grenades et aux blindés de la gendarmerie nationale. Ce sont des chiffres qui annoncent la terreur à venir. Bientôt nous ne serons plus que deux cent, et le peuple finira en prison pour que les administrateurs des très grandes entreprises puissent répartir le travail aux derniers sous-traitants.

Je crois que le temps des émeutes est venu. Que la stratégie de guérilla des Black Blocs et des bandes organisées, masquées et armées de parapluies et de cocktails molotov est la seule réponse légitime à l'ultra-violence d'une police acculée au pire. Pour avoir beaucoup traîné dans les rues, pour avoir beaucoup observé et discuté avec ceux qui ont choisi de riposter dans l'énergie du désespoir, je pense qu'ils ont raison. Comme à Athènes et à Hong Kong, il va nous falloir affronter une police dirigée pour semer la terreur et nous mutiler autant que possible. Que la terreur devienne épidémique, paralysante, invalidante à la manière d'une maladie mentale.

Jusqu'à présent, j'ai toujours refusé de venir manifester avec un casque et un masque à gaz, le visage dissimulé derrière d'épaisses lunettes de montagne. Pourtant, en ne faisant plus que nasser et gazer, la police nous accule à ce choix. L'armée du peuple est la seule riposte possible à une police et une armée d'État qui n'ont jamais cessé, depuis plus de deux ans, de provoquer la violence en accumulant les mutilations volontaires. C'est à nous de changer la situation et d'inventer, comme à Hong Kong ou à Athènes, des techniques de guérilla qui amèneront la peur et l'épuisement du côté des assassins.

T. le 17 septembre 2019


Né en 1964 dans une cité de Savigny-sur-Orge où il grandit à l'ombre d'une piscine municipale, Tieri Briet a longtemps été peintre avant d'exercer divers métiers d'intermittent dans le cinéma et de fonder une petite maison d'édition de livres pour enfants. Devenu veilleur de nuit pour pouvoir écrire à plein temps, il est aussi l'auteur d'un récit sur les sans-papiers à travers les frontières, « Primitifs en position d'entraver », aux éditions de l'Amourier, de livres pour enfants et d'un roman où il raconte la vie de Musine Kokalari, une écrivaine incarcérée à vie dans l'Albanie communiste, aux éditions du Rouergue. Père de six enfants, il écrit pour la revue Ballast, Kedistan et L'Autre Quotidien, et voyage comme un va-nu-pieds avec un cahier rouge à travers la Bosnie, le Kosovo et la Grèce pour rédiger son prochain livre, « En cherchant refuge nous n'avons traversé que l'exil ».

Blog perso :
Un cahier rouge