Le silence, la demi mesure nuancée et défiante de la condamnation des actes antisémites est insupportable

Je ne me suis jamais battue pour défendre mes chapelles, corporatistes ou identitaires. Ce qui me fait descendre dans la rue ou prendre la plume est l’injustice et le déni d’humanité, là où ils crient. Depuis quelques temps les rues de France sont le théâtre d’actes antisémites qui se répètent, on ne peut plus l’occulter. Que cela tombe très bien pour le pouvoir malade qui en fait ses choux gras et espère voir là dériver le mouvement social est un fait qui exige d’être dénoncé. Mais ce n’est pas ça qui fait événement : on savait déjà ce pouvoir décomplexé capable de tous les vices de la pensée. 

La multiplication des actes et proférations antisémites en revanche fait événement dans son irruption. J’aimerais que tous mes amis le reconnaissent. Leur silence, la demi mesure nuancée et défiante de leur condamnation des actes antisémites est insupportable. Leurs commentaires expliquant que l’instrumentalisation de l’antisémitisme est ce qui a lieu sont insupportables. Ils signifient que nous n’aurions pas d’espace pour porter pleinement la lutte contre l’antisémitisme, qu’il s’agirait d’une lutte périmée. Qu’elle n’aurait droit de cité qu’avec des précautions, que reliée aux autres racismes. Mais il est bien des moments où nous devons nous lever avec précision pour dire l’islamophobie, ou pour dire le déni d’humanité dans le sort que l’Europe réserve aux exilés. Considérer qu’il n’est pas besoin de dire l’antisémitisme parce qu’il n’est pas d’état mais de société, ou parce qu’il y a aujourd’hui un gouvernement d’extrême droite colonialiste à la tête d’Israël, ou parce que le CRIF affirme des positions toujours plus droitières et relève des instances de cour, ça reviendrait à considérer qu'on ne peut se battre contre l'islamophobie parce qu'il y a des fous qui se font exploser dans des salles de concert, et c’est barrer la route à la possibilité de la lutte commune contre le fascisme et les racismes. 

Vouloir effacer le nom de l’antisémitisme pour le confondre aux autres racismes est en soi une possibilité juste. Mais nous n’en sommes pas là. L’antisémitisme est le nom d’une histoire précise, qui n’en a pas fini de devoir être rappelée tant qu’elle demeure possiblement réactivable. 

Et : évidemment il ne s’agit pas de jeter le bébé du mouvement social avec l’eau du bain antisémite. Ce mouvement est juste, beau et inespéré à plein de titres, je pense avoir pris ma plume plus d’une fois pour le dire, et je suis descendue dans la rue avec les gilets jaunes tous les samedis ou presque. Mais si on veut pouvoir continuer à le dire et à battre le pavé, il faut être tranchant dans nos refus et nos affirmations. La lutte frontale contre l’antisémitisme a besoin, elle aussi, de tous les antifascistes. S’ils n’en sont pas persuadés, qu’ils explorent en eux s’il n’y a pas d’angle mort à déconstruire, histoire qu’on puisse continuer à avancer tous ensemble.

Natacha Samuel