« Le rassemblement de toutes les droites », par André Markowicz
Du discours de Zemmour, jusqu'à présent, je n'avais entendu que des extraits, au gré des fils d'actualité. Je l'ai cherché sur internet, je l'ai trouvé sur youtube, sur la chaîne d'un type qui se qualifie de "Dissident officiel" et qui montre une photo de Maurras en photo de profil. Et, en fait, la question que je me pose n'est pas seulement celle du discours lui-même avec sa défense, dans la première partie, du "l'homme blanc hétérosexuel catholique" (ouf, me suis-je dis, je ne suis pas défendu par Zemmour, je ne suis pas catholique — mais Zemmour non plus, me semble-t-il), sa haine du "progressisme", du "droit-de-l'hommisme" et, dans la deuxième partie, sa déclaration d'amour ("j'aime", dit-il) pour les idées de Renaud Camus sur le grand remplacement. L'idée est que nous, enfin, les habitants ancestraux de notre beau pays sommes en train de nous faire remplacer chez nous par l'islam. — Le discours en lui-même est un discours qu'on ne peut qualifier que d'un seul mot : fasciste. Il oppose en effet les deux grands ennemis des peuples blancs : d'un côté, le libéralisme (présenté comme l'expression même de la Révolution de 1789 et représenté aujourd'hui par Macron), et , de l'autre, l'islam, — deux faces d'un même complot contre l'identité française, et, plus largement, l'identité européenne. Ce discours est fasciste dans le sens où, sans nier les problèmes sociaux, les inégalités, la misère, le chômage (problèmes énumérés dans une phrase), il déclare que le problème essentiel de l'Europe, celui qui explique l'existence de tous les autres, c'est le problème identitaire, — l'invasion de l'Europe par l'islam, et, par conséquent, le "grand remplacement" de "nous", par "eux".
Mais par-delà le discours lui-même, il faut regarder la réaction du public. — Le début du discours de Zemmour se voulait ironique. Saluant la nombreuse assistance, — nombreuse quoique rare, puisque rares sont, d'après Zemmour, les résistants aux deux fléaux que j'ai cités plus haut : les droits de l'homme et l'islam. Et les gens, au début, ne comprennent pas si c'est du lard ou du cochon ; ils n'applaudissent que peu, et de loin en loin, par exemple quand Zemmour qualifie Sibeth Ndiaye de modèle de l'élégance française (la formule n'est peut-être pas exacte, mais le sens est là). On sent le racisme tout de suite, à fleur de peau — pas seulement celui de Zemmour. Celui de l'assistance. Les gens n'applaudissent encore finalement qu'assez peu, malgré une pause rhétorique (et Zemmour relève ses yeux de ses notes et fait un sourire entendu), quand Zemmour explique que, dans les années 30, certains faisaient un parallèle entre le nazisme et l'islam, et trouvaient que si le nazisme pouvait être "un peu rude", ce n'était rien à côté de l'islam. Et c'est à la fin, quand il se lance sur le "grand remplacement" en citant d'abord Drieu La Rochelle puis en disant qu'il aime la pensée de Renaud Camus, que, là, les gens se mettent à applaudir de plus en plus. Et, à la fin, il a droit à une ovation debout.
Quand on regarde les premiers rangs, on voit que Marion Maréchal applaudit. — Tout le monde, au premier rang, n'applaudit pas, parce que, visiblement, certaines des huiles qui y sont, au premier rang (et Dieu m'a gardé de les reconnaître toutes) sont surpris, sont gênés.
Et néanmoins quand on regarde, sur le même site, les autres interventions, au fond, elles sont toutes, plus ou moins, du même acabit que celle de Zemmour. Le grand danger de la France, c'est la perte de son identité, c'est-à-dire l'islam. — Tout le monde, d'après ce que je peux entendre, répète cette rengaine, et se sent conforté, selon les mots de Zemmour, par les grands exemples européens que sont la Hongrie et l'Italie (victime, elle, d'un ignoble coup d'Etat intérieur contre la démocratie, puisque Salvini a été mis dehors).
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Et c'est bien cela, "le rassemblement des droites" prôné par Marion Maréchal. — Dans l'ensemble des réactions stupéfaites, indignées, qui se sont élevées en France après la diffusion de ce discours (mais, encore une fois, Zemmour est loin d'être seul en cause), ce qui m'a frappé, c'est un silence : celui de Christian Jacob, aujourd'hui leader des "Républicains", et de tous les autres chefs de ce parti. Comme si, stratégiquement, ils ne pouvaient pas condamner, non pas le discours de Zemmour, mais l'existence de cette journée de "rassemblement des droites". Comme si nous n'étions pas en train d'assister à une nouvelle recomposition de l'échiquier politique. Une droite, raciste, à la hongroise, qui regrouperait tout le monde. Une droite "pure" , maurrassienne, dont Zemmour est, en quelque sorte, le porte-parole.
Un élargissement du Front National par remplacement, pour le coup, de Marine par Marion, qui ferait que Le Pen aurait définitivement phagocyté la droite dite républicaine.
Et puis, comme les discours de ce genre ne peuvent que se multiplier, ce qu'il faut voir, c'est leur effet à long terme. Là, nous sommes indignés, nous protestons, mais qu'en sera-t-il avec l'effet de répétition ? A partir de quand deviendront-ils banals ?...
Les gens de droite qui ont protesté contre le discours de Zemmour (et il y en a eu) rejoindront, plus ou moins vite, le camp de Macron. —
Et quelle opposition à Macron, alors ? Je veux dire, la gauche, elle est où, elle est quoi ? — Bon, ça — plus tard.
André Markowicz, le 6 octobre 2019
Traducteur passionné des œuvres complètes de Dostoïevski (Actes Sud), Pouchkine et Gogol, poète, André Markowicz nous a autorisés à reproduire dans L'Autre Quotidien quelques-uns de ses fameux posts Facebook (voir sa page), où il s'exprime sur les "affaires du monde" et son travail de traducteur. Nous lui en sommes reconnaissants.