Des centaines de familles avec enfants mises à la rue en Ile-de-France

Alors que les exilés du campement du millénaire ont été évacués ce matin, d'autres familles, logées par les Samu sociaux d'Ile-de-France, voit leur hébergement en hôtel s'arrêter pour cause de restrictions budgétaires. Ce qui bafoue la loi et va précipiter à la rue des centaines de parents avec leurs enfants.

"Madame N. Rachida, la prise en charge prend fin le 31/05/2018. Veullez voir avec le 115. Signé : la Direction". Rachida, née au Maroc, la trentaine, qui tient par la main sa fille Sarah, âgée de quatre ans, a sorti de son sac ce bout de papier griffonné sur un morceau de feuille à petits carreaux par le propriétaire de l'hôtel. C'est ainsi qu'elle a été avertie il y a quelques semaines que son hébergement dans un hôtel parisien du 18e arrondissement prendrait fin. Sa fille est toujours scolarisée dans une école maternelle de Bobigny, là où elle a été hébergée précédemment pendant deux ans, déjà dans un hôtel. Depuis quatre mois, c'est dans une chambre d'un hôtel de la rue du Chevalier de la Barre, à Paris, qu'elle avait trouvé refuge. Un hébergement jusqu'ici renouvelé chaque mois via un appel au 115, le numéro du SAMU social. Mais qui prendra fin jeudi prochain, sans qu'aucune autre solution ne lui ait été proposée. "Où aller maintenant ?" Elle n'en sait rien, redoute même de prononcer l'expression redoutée : "à la rue".

Rachida a tenu à participer à la manifestation organisée par l'association Droit au logement mercredi 23 mai. Une marche partie de la place Balard jusqu'à la préfecture de région pour dénoncer cette situation alarmante et exiger un hébergement, voire mieux, un relogement pérenne. Comme Rachida, les femmes avec enfants sont nombreuses dans ce cortège d'une soixantaine de personnes. Ici, chacun a une histoire faite de misère, de précarité et de beaucoup de débrouille, à raconter. Beaucoup des personnes rencontrées lors de cette manifestation du DAL étaient hébergées dans les Hauts-de-Seine. Comme Sadio D., 21 ans et un fils de quatre ans, Aboubacar, qui porte fièrement son cartable illustré de trois petits lapins espiègles. Tous deux sont hébergés dans un hôtel de Colombes. Une seule pièce, sans espace pour cuisiner, ni sanitaires. Sadio travaille pourtant. Un emploi précaire et mal payé dans une régie de quartier d'Asnières, une association qui tente de faciliter l'insertion économique des habitants. Longtemps prise en charge par le CHAPSA de Nanterre, l'un des centres d'hébergement d'urgence les plus délabrés de France, elle a aussi dormi dans le métro pendant plusieurs jours. Ce qui lui avait valu de faire une fausse couche, alors qu'elle était enceinte de six semaines à l'époque. Le 31 mai, Sadio devra elle aussi quitter son hôtel. Avec son fils de quatre ans. "Je vais faire comment ?" s'inquiète cette jeune mère sénégalaise.

C'est en effet dans le département des Hauts-de-Seine que la situation est la plus alarmante. Ce qui mobilise plusieurs mairies de gauche comme la mairie de Gennevilliers et celle de Malakoff. Au cabinet du maire de Malakoff, on explique que plusieurs écoles ont alerté la municipalité sur la situation d'une trentaine de familles ayant des enfants scolarisés dans la ville, qui seraient menacées d'expulsion, alors qu'elles étaient jusque là hébergées en hôtel. La mairie de Gennevilliers s'est elle aussi mobilisée. Le 23 mai également, elle avait diffusé un communiqué de presse dans lequel elle demandait au Préfet des Hauts-de-Seine "de prendre toutes les dispositions pour ne pas laisser ces personnes et ces familles à la rue" et que "des solutions de relogement [soient] trouvées dans leur ville d’origine quitte à réquisitionner des logements ou bureaux vides". Dans ce communiqué de la mairie de Gennevilliers, on apprenait qu'une cinquantaine de parents d’élèves, d'enseignant.e.s et d’élu.es s’était réunie  le 23 mai dans une école de Gennevilliers "pour soutenir une maman et ses deux enfants scolarisés expulsés de l’hôtel où ils étaient hébergés par le 115". "La famille va dormir ce soir dans les locaux de l’école, avec l’aide des personnes présentes qui leur apportent nourriture et de quoi dormir", explique encore le communiqué. Une situation dramatique qui concerne "une trentaine de familles au total sur Gennevilliers avec une cinquantaine d’enfants et collégiens".

Selon la préfecture des Hauts-de-Seine,"l’Etat a demandé au 115 [dont il est le financeur ndlr] de prioriser les ménages les plus vulnérables". Seraient ainsi logées prioritairement en hôtel les femmes enceintes, celles victimes de violence ou contraintes de se prostituer, les familles avec enfants de moins de trois ans ou celles en situation de handicap. Certes, rappelle la préfecture du 92, "la loi prévoit que les personnes sans abri en situation de détresse médicale, psychique ou sociale ont accès à un dispositif d’hébergement d'urgence". Mais précise-t-elle, "les écoutants du 115 procèdent à une évaluation  au cas par cas des situations, pour les premières demandes d'hébergement et pour leur renouvellement". Avant de conclure : "C’est dans ce contextequ’une centaine de prises en charge n’ont pas pu être renouvelées". Une centaine de prises en charge en hôtel, cela représente plusieurs centaines d'adultes et d'enfants. Le 24 mai, l'antenne locale du Secours catholique avait été reçue par le secrétaire général de la préfecture des Hauts-de-Seine qu'il avait interpellé sur l'obligation légale faite à l'Etat de mettre à l'abri toute personne vulnérable. En réponse, celui-ci avait préféré philosopher sur cette notion. "Où se situe le seuil de vulnérabilité ?", avait-il objecté, comme le relate un communiqué du Secours catholique à paraître.

Manifestation organisée par le Droit au logement (DAL) le 23 mai dernier devant la préfecture de la érgion Ile-de-France.

Manifestation organisée par le Droit au logement (DAL) le 23 mai dernier devant la préfecture de la érgion Ile-de-France.

Jean-Baptiste Eyraud, porte-parole du Droit au logement, qui défend depuis des années les personnes à la rue, évoque la suppression de 300 places en hôtel sur le seul département des Hauts-de-Seine. Joint mardi, le Secours catholique des Hauts-de-Seine dénonce une situation dramatique et sans précédent. Isabelle Mialon, présidente de la délégation du Secours catholique Hauts-de-Seine, déclarait mercredi dernier au Parisien : "C’est la première année que nous assistons à cela. Nous faisons face à une situation de détresse incommensurable." Quant à Fanny Plançon, chargée de projet pour l'association dans ce département, elle explique n'avoir pas "de chiffres exacts, car les associations [dont le Secours catholique mais pas uniquement] sont alertées chaque jour de nouvelles fins de prise en charge". Leur nombre pourrait s'élever à "plusieurs centaines de personnes, dont de très nombreuses avec enfants". Fanny Plançon, chargée de projet au Secours catholique du 92, confirme par ailleurs que plusieurs dizaines de familles hébergées dans les Hauts-de-Seine ont déjà vu leur prise en charge s'arrêter, "ce qui signifie qu'elles sont déjà sorties de l'hôtel". Le Secours catholique du 92 incite les familles qu'il accompagne avec d'autres associations du collectif Citoyens Fraternels 92 "à se mobiliser dans des actions collectives pour témoigner de leur situation, interpeller l'opinion publique comme les pouvoirs publics". Car à titre individuel, l'antenne des Hauts-de-Seine de l'association caritative avoue qu'aucune solution d'hébergement ne peut leur être proposée et les oriente vers les services d'urgences des hôpitaux.

La première à alerter officiellement le gouvernement sur ces situations de détresse dans les Hauts-de-Seine a été la députée Elsa Faucillon. La députée de la première circonscription de ce département francilien qui couvre Colombes, Gennevilliers et Villeneuve-la-Garenne, avait adressé, la semaine dernière, une question écrite au ministre de la cohésion des territoires. Pour la députée du Front de gauche, qui dénonce une situation qui s'aggrave malgré les promesses présidentielles de ne laisser personne à la rue, il s'agit de "mettre en concurrence la précarité et la misère". Selon une collaboratrice de la députée, les familles concernées, sur Malakoff, Gennevilliers, Nanterre, Colombes ou Villeneuve-la-Garenne, ont pour certaines des enfants scolarisés en maternelle "qui ont à dépassé l'âge de trois ans, mais parfois de très peu". "Et ce n'est pas fini", ajoute avec amertume cette collaboratrice parlementaire, car d'autres personnes devraient se manifester au fur et à mesure que leur hébergement prend fin. La préfecture des Hauts-de-Seine pointait, dans un mail du 29 mai, "un dispositif (...) de financements des nuitées hôtelières [qui] arrive aujourd’hui à saturation" et indiquait que "l’hébergement à l'hôtel répond à un besoin de mise à l’abri en urgence mais n’a pas vocation à se pérenniser". Avant d'expliquer que "la priorité de l’Etat est de renforcer la fluidité du dispositif", mais précisait la préfecture, "afin que les personnes à l’hôtel puissent accéder à un hébergement adapté, à un logement adapté ou à un logement social." Or, aucune des personnes menacées d'expulsion ou déjà virées de leur hôtel n'a pour l'instant reçu de proposition en ce sens.

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Toutes les villes des Hauts-de-Seine sont touchées. Vanessa, 28 ans, mère de deux enfants handicapés, est hébergée depuis quatre mois dans un hôtel de Villeneuve-la-Garenne, après avoir été mise à l'abri pendant deux ans dans un hôtel de Levallois-Perret. L'aîné de ses deux enfants, six ans, souffre d'un retard global de développement tout comme le plus jeune, quatre ans, atteint en outre de surdité, et qui devrait bientôt intégrer un établissement spécialisé. Elle devrait relever d'un hébergement prioritaire, au vu des critères désormais appliqués par le service intégré d'accueil et d'orientation (SIAO) des Hauts-de-Seine, les SIAO ayant pour mission de gérer la prise en charge des personnes sans abri ou mal logées. En attente de régularisation pour un titre de séjour, Vanessa a aussi été informée par le 115, qu'elle doit joindre chaque mois, que son hébergement s'arrêtait dès la fin mai. "Alors qu'est-ce qu'on fait ? On se suicide, on jette nos enfants ? Peut-être qu'on devrait donner nos enfants aux institutions pour éviter qu'ils ne connaissent la rue ?" lance la jeune gabonaise avec l'humour noir du désespoir.

Elle n'est pas la seule femme présente à relever des publics prioritaires. Marie-Michèle, 42 ans, est la maman d'un garçon de 14 ans, inscrit dans une école de Montreuil, où elle était hébergée depuis deux ans et demi. La Cimade l'aide à monter un dossier pour obtenir l'asile. Elle s'est vue signifier le 4 mai dernier la fin de son hébergement précaire dans une chambre d'hôtel. "Vous récupérez vos affaires et vous vous débrouillez", lui aurait lancé le propriétaire de cet établissement situé à Montreuil (Seine Saint-Denis). Détail qui a son importance, Marie-Michèle est enceinte de deux mois et demi. Elle s'est pourtant vue signifier la fin de sa prise en charge. Comme Marie-Michèle, il y a en effet ceux dont l'hébergement a déjà théoriquement déjà pris fin mais qui tentent de résister tant qu'ils le peuvent. Naémie est hébergée dans un hôtel du Kremlin-Bicêtre (Val-de-Marne) avec un fils de sept ans et une fille âgée de dix ans scolarisés à Malakoff. Non seulement elle a été informée début mai qu'elle devrait rendre les clés le 25 du mois, mais en plus le nouveau propriétaire lui a présenté une facture de 900 euros, seule condition pour qu'elle puisse rester dans la chambre qu'elle occupe actuellement, "envahie par les cafards". Le médecin qui la suit lui conseille d'emmener son fils chez le psychologue. A sept ans seulement, "il pense que les parcs sont faits pour les SDF". Quant à sa fille, dix ans, elle se désole de ne jamais pouvoir inviter ses amis à la maison, comme les autres enfants de sa classe. Naémie n'envisage toutefois de quitter l'hôtel que contrainte et forcée, faute d'autre solution. "Je vais rester là-bas jusqu'à ce que les forces de l'ordre nous délogent", explique cette jeune camerounaise, fière d'avoir été naturalisée. Mais qu'elles aient des papiers ou pas, ces familles subissent toutes le même sort.

Les Hauts-de-Seine ne sont pas le seul département qui voit ses capacités d'hébergement en hôtel limitées par des enveloppes contraintes. "Si le 92 est particulièrement touché par ces mesures, les autres départements le sont également, puisqu'ils ne peuvent plus répondre aux nouvelles demandes d'entrées dans le circuit 115", nous explique le Secours catholique des Hauts-de-Seine. C'est notamment le cas de la Seine-Saint-Denis. Le SIAO y dispose de 9 151 nuitées (une nuitée équivaut à une place pour une nuit en hôtel) chaque jour, soit un nombre bloqué sur celui atteint à la fin 2017. Si ce quota devait être dépassé (et il n'est pas loin de l'être), le SIAO de Seine-Saint-Denis se retrouverait alors dans une problématique identique à celle du 92. Via le 115, les demandes de mise à l'abri dans ce département sont priorisées, notamment celles des femmes enceintes ou sortant de maternité. Mais le dispositif hôtelier serait "complètement saturé". Du fait du nombre de demandes mais aussi parce qu'il n'existe pas de réserves en matière d'hôtellerie privée bon marché sur le département. Le SIAO enregistre toutefois une demande d'hébergement pour chaque personne qui le contacte. Le 22 mai dernier, on comptait 9130 places d'hôtel occupées et 242 demandes dites "non pourvues", parmi lesquelles 29 hommes isolés, 29 femmes isolées, quatre couples sans enfants et 180 personnes en famille, dont 88 mineurs et 21 femmes enceintes. Au SIAO du 93, on redoute d'avoir à prioriser comme dans les Hauts-de-Seine, en remettant des familles à la rue. Car "prioriser, c'est renoncer à l'application de la loi", selon laquelle toute personne à la rue a droit à un hébergement, ce qui implique le gîte, le couvert et un accompagnement social.

Selon Isabelle Maudou-Marere, directrice de la fédération des acteurs de la solidarité (FAS) en Ile-de-France, l'Etat aurait décidé d'un tournant en matière de politique d'hébergement. "Ils ont pris les chiffres du nombre de nuitées au 31 décembre 2017 et chaque région a été incitée à effectuer ses projections sur 2018 en prévoyant une stagnation de ce nombre" explique la directrice Ile-de-France de la FAS pour qui "cette année le gouvernement a décidé de limiter la courbe de croissance du nombre de nuitées en hôtel". Sur l'Ile-de-France, il manque 9% du budget, soit 38 millions. Dès le 3 avril dernier, Libération faisait état de crédits ramenés de 875 millions en 2107 à 837 millions en 2018. Les SIAO des départements franciliens ont donc été informés qu'ils "devraient limiter les accès à l'hôtel". Les courriers adressés par la FAS à Jacques Mézard et Julien Denormandie, respectivement ministre et secrétaire d'Etat à la cohésion des territoires, sont tous restés sans réponse. Or, ces restrictions budgétaires sont d'autant plus dramatiques, selon Isabelle Medou-Marere, que l'Ile-de-France concentre les problématiques d'hébergement d'urgence. "Nous avons le plus grand mal à faire sortir les gens des hôtels avec une solution pérenne parce que le logement social y est plus cher qu'ailleurs, avec un déficit de logements très sociaux. Dans le logement HLM, le taux de mobilité est faible et l'ancienneté moyenne des hébergements en hôtel est de deux ans", déplore la directrice de la FAS. Mais elle juge inadmissibles les directives transmises par l'Etat à la préfecture des Hauts-de-Seine, où des familles sont mises à la rue au profit d'autres jugées davantage prioritaires. "C'est ce qu'ils appellent la fluidité : ils font tourner les familles sur un nombre de places limitées", lâche Isabelle Maudou-Marere, qui dénonce des décisions qui mettent à mal "des parcours d’inclusion sociale et professionnelle entamés par les personnes et accompagnés par les associations".

Ce qui fait aussi tiquer la directrice de la FAS, ce sont les critères accordant la priorité de l'hébergement en hôtel aux familles avec des enfants de moins de trois ans. Car, rappelle-t-elle, celles-ci doivent être prises en charge par l'aide sociale à l'enfance des départements et pas par l'Etat via le 115. C'est ce que précisait en effet une décision du Conseil d'Etat du 13 juillet 2016, appelé à clarifier "la répartition des compétences entre l’État et les départements en matière d’hébergement d’urgence des personnes sans-abri". Les magistrats avaient estimé que c'est au département que revient "la mission de permettre l’hébergement, y compris en urgence, des femmes enceintes et des mères isolées avec un enfant de moins de trois ans". Ce que confirme le ministère de la cohésion des territoires qui renvoie la balle aux départements. "Les cas de fins de prises en charge cités par la journaliste [auteure d'un article pour France Bleue qui avait publié un article le 19 mai dernier sur le sujet] relèvent de la compétence des départements, et non de l'Etat".

Dans le Val d'Oise, le SIAO prend en charge un budget du département pour l'aide sociale à l'enfance (ASE) pour les familles avec enfants de moins de trois ans qui ne rentrent  pas dans le circuit classique du 115. Là encore, le département fixe ses critères. "Ce sont les femmes avec enfants de moins de trois ans pour lesquelles le département estime qu'il y a un danger à les laisser dans la rue ou avec une problématique de parenté". Comme si une femme à la rue et des enfants n'étaient pas par définition en danger. Il faut aussi compter avec un circuit administratif compliqué. "Quand une personne appelle le 115 et qu'elle n'est pas déjà connue du conseil départemental, elle ne sera prise en charge qu'à la suite d'une évaluation du département pour savoir si elle relève bien de l'ASE". En attendant qu'elles soient vues par un référent, les femmes isolées avec enfants en bas âge seront prises en charge via le 115. Avec le risque évident qu'elles ne soient purement et simplement perdues dans ces méandres administratifs. Cette travailleuse sociale en convient : "il serait faux de dire que des femmes avec enfants ne sont pas dehors avec leurs enfants. Il n'y a tout simplement pas assez de places pour mettre les gens à l'abri", finit-elle par avouer.

Combien de familles avec enfants dorment à la rue en Ile-de-France ? Difficile de connaître leur nombre, car il n'est calculé chaque soir que sur la base de celles qui contactent le 115. En 2016, elles étaient près de 600 à ne pas obtenir de places suite à un appel au 115 pour la seule ville de Paris. Mais il faut tenir compte de toutes celles qui n'appellent plus parce qu'elles sont découragées et dont le nombre n'est pas connu. Toujours à Paris, lors de la nuit de la solidarité organisée par la mairie de Paris, près de 3000 personnes sans abri avaient été recensés par près de 2000 bénévoles et professionnels mobilisés du 15 au 16 février dernier. Bien loin des déclarations de Julien Denormandie qui avait estimé qu'une petite cinquantaine d'hommes isolés seulement restaient chaque nuit à la rue et que chaque femme ou famille qui appelait le 115 pouvait se voir proposer une solution d'hébergement adapté. Eric Pliez, président du SAMU social de Paris, confirme que 2800 places seraient supprimées sur Paris. Certes, il défend le projet "le logement d'abord", qui prévoit de réformer structurellement la politique de l'hébergement et de l'accès au logement des personnes en difficulté. "Mais le temps qu'il se mette en place, il ne doit pas impliquer qu'on commence par fermer des places avant d'ouvrir un nouveau dispositif" explique celui qui est aussi membre du groupement qui gère le SIAO des Hauts-de-Seine.

Toutes les associations alertent sur une situation sans précédent, "totalement folle et aberrante", pour Isabelle Maudou-Marere de la FAS. Au SIAO de Seine-SaintDenis, on redoute qu'avec ces restrictions de budget sur l'hébergement d'urgence, on ne finisse par s'habituer "à penser que c'est normal de prioriser", quand "le simple fait d'être dehors suffit normalement à ce que la situation d'urgence soit caractérisée pour que des réponses soient apportées". Au SIAO du Val d'Oise, on parle de "changement de paradigme politique". Et on dénonce des "crédits qui n'avaient pas augmenté depuis plusieurs années et qui ont baissé cette année alors qu'on sait très bien qu'il y aura toute une frange de la population qui ne pourra pas accéder au logement". Le Secours catholique rappelle la position du collectif Citoyens fraternels du 92 qui rassemble une quinzaine d'associations du département : "chacun sait que les personnes qui vivent à la rue sont victimes de violences quotidiennes : vols, menaces, agressions, viols, trafics… Les familles, et particulièrement les enfants, y sont en danger. Cette situation entraîne une déscolarisation des enfants et ruine tous les efforts d’insertion des parents". Il appelle à ne pas les laisser à la rue. Le DAL qui réclame un toit pour tous, rappelle pour sa part que 108 000 logements sont vacants à Paris et 360 000 en Ile-de-France. Il demande donc qu'on tienne compte de l'urgence -et pas seulement en période hivernale- pour réquisitionner massivement les logements nécessaires. Il dénonce aussi le projet de loi ELAN sur le logement qui arrive aujourd'hui en discussion à l'assemblée nationale, qui va accélérer la marchandisation du logement, y compris social.

Cet après-midi le DAL manifestait à nouveau devant la préfecture des Hauts-de-Seine, avec une délégation conduite par la députée du département Elsa Faucillon. L'Etat entendra-t-il les protestations ? Macron avait promis en juillet dernier que plus personne ne dormirait dans la rue d'ici la fin 2017. ll avait aussi annoncé en octobre vouloir lutter contre la pauvreté des enfants en privilégiant la "prévention" et l'"investissement social", plutôt que la seule "gestion d'un dispositif" d'aide. Six mois plus tard, la réponse est là. Avec ces restrictions budgétaires et la volonté de privilégier la fluidité dans l'hébergement d'urgence mais aussi en HLM. Faire tourner les familles, les locataires, sur un stock réduit de places et de logements sociaux, dont une partie seront vendues aux classes moyennes et supérieures. Le 7 février dernier, la DRIHL organisait d'ailleurs un séminaire intitulé "fluidité hébergement-logement". Elle y déplorait sur son site une "certaine « embolisation » du dispositif, à l’entrée comme à la sortie vers le logement". Pour conclure que "la réponse de l’État et de ses partenaires ne peut être uniquement la création de places d’hébergement supplémentaires" et qu'il faut donc améliorer "la fluidité entre les différents dispositifs, de l’hébergement vers le logement". Une politique qui méprise les pauvres au risque de bafouer la loi. Qui stipule, comme le rappelle le Secours catholique, que « toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique ou sociale a accès, à tout moment, à un dispositif d'hébergement d'urgence. » (article L345-2 du code de l’action sociale et des familles). En outre « toute personne accueillie dans une structure d'hébergement d'urgence doit pouvoir […] y demeurer, dès lors qu'elle le souhaite, jusqu'à ce qu'une orientation lui soit proposée. Cette orientation est effectuée vers une structure d'hébergement stable ou de soins, ou vers un logement, adaptés à sa situation.» (article L345-2-2 du code de l’action sociale et des familles). L'association caritative envisage d'ailleurs d'accompagner les personnes pour qu'elles formulent un recours. Car, comme le rappelle le Conseil d'Etat, "toute personne sans-abri peut saisir le juge du référé-liberté pour demander son hébergement d’urgence par l’État", le juge statuant sous 48 heures.

Manifestation contre la loi ELAN sur le logement.

Manifestation contre la loi ELAN sur le logement.

Post scriptum

Lors de la manifestation du DAL déjà citée, nous avions rencontré Halia, 12 ans, élève de sixième dans un collège du 20e arrondissement, avec ses deux petits frères et ses parents. Halia, si pleine de courage et de dignité, comme tous, qui semblait si désireuse de s'exprimer et qui n'avait pu qu'éclater en sanglots, déchirée par la détresse. Ses deux parents, Safora, 42 ans et son père Brahim, 43 ans, ont une carte de séjour mais toute la famille dort depuis plusieurs mois dans un parc du 18e arrondissement ou à l'hôpital. Une famille qui fait partie de ceux qui "disparaissent des radars" parce que jugées non prioritaires selon des critères de plus en plus restrictifs -pas de femme isolée, le plus jeune enfant a quatre ans- et à qui semble-t-il, aucune assistante sociale n'a proposé de solution.

 

Véronique Valentino, le 30 mai 2018

Dernière minute : le ministère renvoie sur ses services déconcentrés et l'administration !

Nous avons reçu après la parution de l'article ces curieuses précisions du ministère de la cohésion des territoires. Celui-ci nous écrit que "pour plus de détails sur la situation précise en Ile-de-France sur les questions d'hébergement d'urgence notamment à l'hôtel il (...) semble plus pertinent de contacter directement la DRIHL ou la DGCS, en charge de la gestion de l'hébergement d'urgence".

Pourtant, la Direction régionale et interdépartementale est un service déconcentrée du ministère du logement qui a, depuis la formation du gouvernement d'Edouard Philippe, été intégré au ministère de la cohésion des territoires. Quant à renvoyer sur la Direction générale de la cohésion sociale, celle-ci est une administration centrale qui travaille sous la direction de plusieurs ministères dont celui chargé de la cohésion des territoires. Et les arbitrages budgétaires dépendent de Bercy sur la base d'une lettre de cadrage du premier ministre. Il est donc ahurissant qu'un ministère de plein exercice renvoie la responsabilité de coupes budgétaires à son administration.