Coupe du monde de football : Kazan Cola et l’à peu près rencontre du trophée mondial
Maxence Peniguet poursuit son périple en Russie à la veille de la Coupe du monde de football 2018, qui débutera le 14 juin prochain. Aujourd'hui, il est à Kazan, capitale du Tatarstan et troisième étape de ce voyage à la découverte de quelques villes hôtes de la Coupe du monde 2018 en Russie.
“La prochaine fois que vous venez, passez au village. Vous verrez, on y est bien.”
Il est six heures du matin, ma voisine du dessous se réveille à la gare de Saransk - où je monte pour Kazan (400 kilomètres, neuf heures de trajet). Elle vit dans un village à une heure de voiture de Kanach, en Tchouvachie ; on peut dire, à notre échelle, que ce n’est pas loin de Kazan, la capitale du Tatarstan (un bon 800 kilomètres à l’est de Moscou).
Les échelles et les perceptions comptent. Je lui explique que de prochaines fois il n’est pour le moment pas question. Elle ne comprend pas. “Depuis Moscou, c’est une nuit de train et une heure de voiture, ça va vraiment vite”, insiste-t-elle. Je lui dis qu’à l’échelle russe, oui, c’est vrai, c’est rapide - mais qu’à l’échelle ouest-européenne c’est très long, une nuit de train. D’ailleurs, ça n’existe presque plus.
Elle reste sur sa position. Je crois qu’elle me fait comprendre que si je ne la visite pas au village, c’est parce que je ne le souhaite simplement pas. Une nuit, ce n’est vraiment rien du tout.
À Kanach, elle a disparu sans me dire au revoir. J’ai eu, plus tard, cette conversation avec d’autres personnes et avec le même résultat : vivre à une nuit de train de quelque part, c’est être tout proche.
Bienvenue au Tatarstan
Venant de Moscou, Nijni Novgorod et Saransk - Kazan, c’est tout autre chose. Les cheveux et le teint sont plus foncés, l’atmosphère est plus ouverte grâce aux trois langues présentent dans les lieux publics : le russe, le tatar et l’anglais ; mais aussi et surtout par le mélange de mosquées et d’églises orthodoxes qui peuplent les rues.
L’argent se fait aussi remarquer. On ne compte plus les voitures allemandes - elles débordent peut-être même plus qu’à Moscou. En visite au journal local Kazanskiye Vedomosti, un journaliste explique que cette richesse vient, entre autres, de l’usine de plastique (et donc du pétrole) et de la fabrication d’avions et d’hélicoptères.
Les bouches nourries et les moteurs remplis, l’opposition ne possède que peu d’opportunités pour se faire entendre et pour se développer. La presse non indépendante ne parle naturellement que rarement de ses actions. La seule cause qui ait le droit de mention est relative à l’enseignement de la langue tatare - des pressions du Kremlin l’ont rendu optionnel l’année dernière, ce que regrettent des défenseurs de la culture régionale.
Concernant l’organisation de la Coupe du monde de football, une voix critique a pu être repérée lors des recherches effectuées avant ce voyage. Ainsi (accrochez-vous, révélations) pour le directeur d’une entreprise de nettoyage de façades… beaucoup trop d’entre elles restent à nettoyer avant le match France-Australie du 16 juin.
Kazan n’attend pas après la Coupe du monde
La ville semble tout de même avoir eu le droit à petite une cure de jeunesse - elle brille de tous ses croissants et de toutes ses croix flottant au-dessus des temples. Son Kremlin impressionne et ses installations sportives en disent long sur ses aptitudes dans le domaine, qui lui permettent de réclamer le titre de capitale du sport. Au milieu de cette grandeur, on en oublie presque que la Coupe du monde aura aussi lieu ici.
Non, vraiment, Kazan donne l’impression de se moquer de la compétition comme de son dernier stade. Celui qui accueillera d’ailleurs des matchs (la Kazan Arena) n’a pas été construit pour l'occasion et, autour, c’est comme si de rien n’était. L’écran (publicitaire) qui se veut le plus grand d’Europe en extérieur continue à vendre son rêve, business as usual.
Le rêve se vend aussi sur la partie sud des berges de la rivière Kazanka, en contrebas du Kremlin, à l’est. L’aménagement est récent, la musique agaçante, mais la vue est belle. À ce trop lisse Los Angeles, il ne faut pas enlever le très beau Palais de l’agriculture. Vers l’ouest, une fois passé le pont, c’est tout de suite l’aventure. On se retrouve sur d’anciennes berges non réaménagées, on peut aussi rejoindre la Volga en se glissant sous les clôtures le long de la voie ferrée (la démarche est presque indiquée). C’est ici que se réfugient les pécheurs et les baigneurs. Ils vivent en dehors du rêve qu’ils ne veulent ou ne peuvent pas se procurer.
À portée de trophée
Hasard du calendrier, la Coupe du monde - le trophée, en chair et en or, est exposé le long d’une de mes promenades. De loin, les tentes-ballons Coca Cola ne laissaient présager qu’un énième exercice publicitaire, mais, non, c’est bien l’étape tatare du FIFA WORLD CUP™ TROPHY TOUR BY COCA COLA. J’en profite - c’est quand même la Coupe du monde. Les volontaires sont bien entraînés, certains dansent, tous sourient (chose culturellement rare pour les Russes, qui, dit-on, ne sourient qu’à ceux qu’ils aiment).
L’observation dudit trophée se fait en deux étapes. Première tente-ballon, publicité immersive à 360 degrés pour la boisson gazeuse déjà trop citée. Puis, canette en main, la tente-ballon principale : coupe du monde il y a en effet, mais, promeneurs imprudents, vous qui pensiez l’observer sous toutes ses coutures, détrompez-vous : ici, on ne peut que se faire prendre en photo avec la coupe, elle-même bien protégée. Le système officiel est si bien rôdé que toute tentative d’utiliser son propre moyen de captation est réprimandée. La pression imposée vous fait comprendre qu’ici le temps est précieux et que l’observation en est une perte inutile. Souriez, c’est dans la boite, et récupérez gentiment votre photo à la sortie - cadeau de la multinationale, s’il vous plaît.
C’est un peu triste de voir Kazan se plier à ce jeu. Cela aurait pu être informatif, répondre à quelques questions du public sur l’objet en question - mais non, pour ça il y a Google.
Heureusement, à quelques encablures du FIFA WORLD CUP™ TROPHY TOUR BY COCA COLA, il y a le Musée national de la République du Tatarstan. Sans moteur de recherche, on se laisse aller simplement dans l’histoire de cette région riche en rebondissements, tantôt face à Moscou, tantôt débordé par les Mongols. On s’imagine au temps de la Horde d’or et de la Bulgarie de la Volga, puis, bien plus tard, on revit la contribution de Kazan à la révolution de 1917.
Point bonus contre le trophée mondial : ici, les selfies avec les pièces d’un autre temps sont largement tolérés ; et l’observation attentive des objets exposés est plus qu’encouragée.
Maxence Peniguet, le 22 mai 2018
Texte et photos Maxence Péniguet, tous droits réservés.