Éboueurs : cette autre grève qui veut un service public des déchets

Alors que le gouvernement dépeint les grévistes comme arc-boutés à des privilèges d'un autre temps, les éboueurs demandent de vraies avancées sociales au bénéfice de tous : un grand service public national des déchets, un statut unique pour les agents du privé comme du public et la reconnaissance de la pénibilité de leurs métiers, avec départ anticipé à la retraite. Une grève illimitée et généreuse et une convergence qui se fait jour avec le mouvement des cheminots.

On en parle peu, pourtant c'est un mouvement fort et déterminé qui a débuté mardi dernier avec une grève illimitée. Éboueurs, égoutiers, balayeurs, agents des centres de tri et des incinérateurs : tous sont en grève à l'appel de la filière collecte et traitement des déchets qui dépend de la fédération CGT des transports et de celle des services publics. La grève est suivie à Paris, mais aussi à Montpellier, Marseille et leurs agglomérations, ainsi que le Nord et l'Est. Et les grévistes l'annonçaient aux journalistes du Huffington Post le 3 avril au matin, premier jour de leur grève reconductible : "on reviendra demain et après-demain..."

Symbole de la détermination des grévistes, le blocage de l’unité d’incinération du Syctom. Ce centre de gestion des déchets, le plus important d'Ile-de-France et le plus vaste d'Europe, est situé à cheval entre Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne) et le 13e arrondissement de Paris. Les sites de Saint-Ouen (Seine Saintg-Denis) et Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine) sont également mobilisés.

Les agents demandent la reconnaissance de la pénibilité de leurs métiers. Ils exigent le droit à un départ en retraite anticipé de cinq ans à taux plein pour tous et dix ans pour les métiers les plus insalubres et pénibles, une réduction de la durée du travail de 20%, l'assurance que leurs salaires et leurs primes seront maintenus. Ils rappellent que leur durée de vie est inférieure de 17 années en moyenne par rapport à celle des cadres et de sept ans par rapport à celle d'un ouvrier du BTP. "La suppression des CHSCT [comités d'hygiène sécurité et des conditions de travail] et du critère de pénibilité « port de charge lourde » dans le privé, les décotes appliquées aux agents publics lors des départs en retraite sans oublier les annonces de recrutements essentiellement en CDD et CDI, il est clair que tout est mis en oeuvre pour ne pas reconnaître notre pénibilité", dénoncent les deux fédérations CGT des transports et des services publics dans un communiqué daté du 4 avril.

Les grévistes revendiquent aussi la création d'un grand service public national des déchets, un statut public unique pour l'ensemble des salariés de la filière avec un salaire d'embauche à 1800 euros. Les salariés du secteur veulent la reconnaissance effective de leur mission de service public. La collecte des déchets est en effet à l'origine une compétence de service public. Mais la multiplication des délégations de service public dans les municipalités, agglomérations diverses et syndicats intercommunaux -qui fournissent de sympathiques indemnités aux élus-, font que la moitié sont gérés par le privé, ce qui aboutit à un dumping social de plus en plus féroce entre entreprises qui se disputent "les marchés". Avec des conditions de travail qui se dégradent dans le public comme dans le privé, comme le rappelle Stéphane Cravero, animateur du collectif filière « collecte et traitement des déchets ».

Après que la maire de Paris, Anne Hidalgo, leur a opposé une fin de non-recevoir, les représentants des grévistes demandent à être reçus par les ministres du travail, de l'action publique et de l'écologie. Décidé à se faire entendre, la CGT -Filière Traitement des Déchets Nettoiement Eau Egouts Assainissement (FTDNEEA)- prévoit vingt-sept autres journées de blocage jusqu’en juin. Un calendrier qui colle avec celui des cheminots.

Or, l'enjeu tourne autour de la convergence des luttes, revendiquée par le syndicat. "Les convergences avec les camarades cheminots, de l’énergie, des services publics, des transports, se construisent", écrivent les fédérations CGT des transports et des services publics, toujours dans leur communiqué commun. De fait, des rencontres régulières s'organisent déjà entre les cheminots et les étudiants, dans les manifestations, dans les AG. Mais aussi entre cheminots et salariés de la filière des déchets ou ceux des sociétés à qui la SNCF sous-traite le nettoyage des gares et de ses trains. Nous avions notamment relaté il y a quelques mois la grève victorieuse des salariés de ONET, par exemple, qui assure le nettoyage des gares du réseau Nord-Ile-de-France.

La leçon des éboueurs mérite d'être méditée. Plutôt que de lutter seuls, par métier ou entreprise, c'est l'ensemble des salariés du secteur qui demandent des avancées pour tous. Quant à la revendication d'un grand service public homogénéisé, il est non seulement dans l'intérêt des salariés mais aussi dans celui de tous les habitants du pays. La gestion des déchets, leur traitement et leur recyclage, est en effet un enjeu important pour l'avenir, qu'il soit économique, social ou écologique. Quant aux problèmes de coût qui sont chaque fois avancés pour déconsidérer le service public, rappelons que la remunicipalisation de l'eau à Paris ou dans de nombreuses communes a généralement permis de faire baisser son coût pour l'usager. Dans un service public, pas d'actionnaires à rémunérer et l'assurance que les bénéfices sont réinvestis au profit des usagers. Sans compter un moindre risque de corruption des élus, puisqu'il n'y a pas besoin de fausser les appels d'offres...

Véronique Valentino