la lutte contre l’antisémitisme n’est pas soluble dans l’islamophobie

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L’une des caractéristiques historiques de l’antisémitisme est de fonctionner par vagues. Après des périodes où la situation des juives et des juifs semble progresser surgissent de violentes vagues de persécutions antisémites. Les périodes qui semblent être caractérisées par un « reflux » ont souvent amené une partie de la minorité juive à « baisser la garde », pensant avoir acquis une sécurité illusoire que les persécutions venaient balayer. La situation actuelle n’échappe pas à la règle : après une période marquée par une progression de la situation de la minorité juive en diaspora, l’antisémitisme, à la faveur de la crise et de la montée générale du racisme, a connu un nouveau regain. Certains au sein de notre minorité ont conclu dans la période qui précédait trop hâtivement (ou continuent de conclure) à un effacement de l’antisémitisme conçu non plus comme systémique mais comme résiduel.

L’un des fondements de cette analyse erronée est qu’il n’existe plus d’antisémitisme institutionnel, d’antisémitisme d’État, caractérisé par une politique institutionnelle au plus haut du pouvoir. Mais l’étude de l’histoire de l’antisémitisme au cours des siècles montre bien que même quand le pouvoir politique se pose en « protecteur des juifs et des juives », la minorité n’est pas à l’abri des persécutions. L’idéologie antisémite est en effet profondément ancrée dans le roman national français.

Depuis plusieurs années, se développe la théorie d’un « nouvel antisémitisme ». Selon cette théorie se développerait en France un antisémitisme qui différerait par nature de l’antisémitisme historique présent en Europe. Cet antisémitisme serait le double produit d’un « antisémitisme musulman » importé conjugué à « l’importation du conflit israélo-palestinien ». Selon cette théorie l’antisémitisme européen n’existerait qu’à l’état marginal et résiduel, comme vestige du passé appelé à disparaître progressivement.

Une tribune médiatique, signée par 300 personnes, entend dénoncer ce « nouvel antisémitisme » et le « silence des médias » (sic) qui l’entourerait.

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Effacer les traces de l’antisémitisme européen

Cette tribune opère un double tour de passe passe : une révision historique qu’avait déjà opérée l’un de ses initiateurs, Manuel Valls, en prétendant que l’histoire de la France et des juifs était une « histoire d’amour », effaçant au passage des siècles de persécutions antisémites. Le transfert de la responsabilité historique de l’antisémitisme de l’Europe blanche et chrétienne à « l’islam » et aux «musulmans ».

Or la question qu’évacue consciencieusement les auteurs de cette tribune c’est « d’où vient l’antisémitisme des assassins antisémites de ces dernières années ? ». Pour les signataires, la réponse s’impose d’évidence : ils se revendiqueraient de l’islam politique, donc l’origine de cet antisémitisme serait l’islam et l'islamité. Cette vision est tout bonnement une négation de l’histoire. Car quels sont les ressorts idéologiques des assassins ?

_ L’idée que les juifs et les juives sont riches, dans le cas des assassins d’Ilan Halimi et Mireille Knoll. Cette association des juifs et juives à l’argent est pourtant une construction historique de l’antisémitisme chrétien. Il est par ailleurs significatif dans le cas de l’assassinat de Mireille Knoll que le caractère antisémite ait été mis en doute par les enquêteurs au motif qu’il n’était pas établi que le cri « Allah Akbar » ait été prononcé, alors que les mêmes enquêteurs reconnaissent que la motivation de l’assassinat d’une femme prolétaire qui touchait 800 euros par mois est l’idée que « les juifs auraient de l’argent », un classique de l’antisémitisme. Une telle approche révèle l’indigence d’une approche qui, à lier antisémitisme et islamité, en vient à renoncer à voir l’évidence d’une vision du monde puisant dans les stéréotypes antisémites forgées par l’Europe blanche et chrétienne.

_ L’idée qu’ils contrôlent le monde et seraient responsables de l’oppression, de la politique impérialiste des états, dans le cas de l’assassin d’Ozar Hatorah ou de l’hyper Casher. Cette idée trouve sa formulation dans le protocole des sages de Sion, produit de la police secrète russe de l'époque tsariste, dont le succès a été initialement très européen et chrétien et dans la doctrine contre-révolutionnaire complotiste forgée à l’occasion de la révolution française.

_ L’association entre les juifs et les juives et le diable, dans le cas de Sarah Halimi. La démonologie antisémite (association des juifs et des juives au diable) est pourtant une création historique de l’occident blanc et chrétien.

Cet antisémitisme n’a donc en soi rien de nouveau, sur le plan idéologique. Sa diffusion dans le monde musulman date précisément de la période coloniale.

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L’antisémitisme en terre d’islam, produit d'importation colonial

La formulation d’une théorie antisémite politique par le théoricien des frères musulmans, Sayyid Qutb, est bien plus influencée par la « modernité politique » européenne (notamment les écrits d’Alexis Carrel), que par l’hostilité anti-juive liée à la controverse religieuse qui existe dans la théologie musulmane classique. La seule figure idéologique qui puisse être rattachée au juifs et aux juives provenant spécifiquement de courants théologiques musulmans est celle de la « traîtrise » et de la « perfidie », une figure qui a par ailleurs été régulièrement contestée par certains théologiens musulmans. Si la condition de la minorité juive en terre d’islam est loin d’avoir été « un océan de miel » comme n’hésitent pas à le prétendre certaines et certains dans une relecture inversée, elle a été globalement identique à celle du christianisme : une position d’infériorité légale et sociale, des conversions forcées, des persécutions et massacres qui ont cependant été loin de revêtir (jusqu’à la colonisation) le caractère systématique qui existait dans l’occident chrétien. (voir à ce sujet par exemple les travaux de Léon Poliakov ou de Mark R Cohen).

L’antisémitisme outil de maintien de l’ordre colonial

En réalité donc, les assassins antisémites sont les produit de l’antisémitisme européen et de sa diffusion en terre d’islam à l’occasion de la colonisation : en Algérie coloniale, par une agitation antisémite visant à opposer juifs et musulmans pour préserver l’ordre colonial : Édouard Drumont y sera ainsi élu comme député de la ligue antisémite par le parti colonial français et y mènera une intense agitation politique.

À la suite des émeutes antisémites d'Alger en 1898, l'agitateur Max Régis convainc Edouard Drumont de se présenter dans cette ville aux élections législatives : élu député d'Alger en mai, l'écrivain devient à la Chambre dirigeant du « groupe antisém…

À la suite des émeutes antisémites d'Alger en 1898, l'agitateur Max Régis convainc Edouard Drumont de se présenter dans cette ville aux élections législatives : élu député d'Alger en mai, l'écrivain devient à la Chambre dirigeant du « groupe antisémite », composé de 28 députés11. Il s'oppose vivement à la révision du procès de Dreyfus (1897-1898), réclame des poursuites contre Zola et l'abrogation du décret Crémieux (1899), soutenu par les quatre députés d'Algérie11.

Le groupe se disloque cependant rapidement. En 1901, il lance le Comité national antijuif, qui vise à « substituer une République vraiment française à la République juive que nous subissons aujourd'hui »

Au Moyen-Orient par les pères blancs d'abord, puis par les nazis y ayant trouvé refuge après-guerre en offrant leurs services de tortionnaires à certains régimes. La traduction des pamphlets antisémites européens et leur large diffusion est à la source de cet antisémitisme qui donc n’a rien de bien nouveau en ce qu’il est un pur produit de l’Europe blanche et chrétienne, et la marque de son influence idéologique au sein de la sphère coloniale, même après la décolonisation.

L’origine du racisme au sein de nos minorités

Cet angle mort de la question coloniale est bien entendu volontaire : en attribuant aux musulmans la responsabilité de la montée en puissance de l’antisémitisme actuel, il s’agit d’éviter toute mise en cause de la responsabilité du suprémacisme blanc dans l’antisémitisme. En refusant de qualifier les assassins pour ce qu’ils sont, les produits idéologiques du suprémacisme blanc (un système qui diffuse son influence raciste au sein même des minorités qu’il opprime, qu’il s’agisse de la minorité musulmane, de la minorité juive ou de toute autre minorité tellement il est devenu idéologiquement hégémonique), les propagateurs d’une telle théorie empêchent en réalité concrètement et matériellement la lutte idéologique contre l’antisémitisme qu’ils prétendent promouvoir. En opposant lutte contre l’antisémitisme et contre l’islamophobie. En refusant d’identifier le caractère colonial de l’idéologie antisémite, et son rôle de maintien de l’ordre raciste. En travaillant à opposer juifs/juives et musulmans, comme le font leurs alter-ego en miroir inversé qui nient ou minimisent l’antisémitisme au sein de la gauche ou au sein de nos minorités (en voyant en sa dénonciation un discours concourant en soi à l’islamophobie comme les signataires de cette tribune voient en la dénonciation de l’islamophobie un discours en soi antisémite)

Le passé ne s’est envolé nulle part

En Europe de l'Est, notamment en Hongrie ou Pologne : l'antisémitisme, y compris d'État, y est en roue libre, et il est difficile de prétendre qu'il a quoi que ce soit de nouveau... un phénomène de résurgence que la théorie du "nouvel antisémitisme" est incapable d'expliquer...

Le résultat de cette impasse est visible aux États Unis : à s’être concentrés sur un prétendu « nouvel antisémitisme » qui n’est en fait que l’avatar colonial de l’antisémitisme historique, les zélateurs de cette théorie ont en fait contribué à désarmer la minorité juive face à l’explosion antisémite actuelle.

Certains des tenants de cette théorie, notamment les kahanistes (du nom de Meir Kahane, fondateur de la Ligue de Défense Juive, et partisan de l'expulsion de la terre d'Israël de tous les palestiniens et arabes en général) et la droite sioniste, en viennent à absoudre d’authentiques antisémites, comme ceux qui voient au sein de notre minorité dans l’alliance avec les racistes et islamophobes un moyen de lutte contre l’antisémitisme, n’hésitant pas à se faire les gardes du corps d’un parti politique historiquement vecteur de l’antisémitisme et du colonialisme au sein de la marche blanche pour Mireille Knoll.

La lutte contre l’antisémitisme, d’où qu’il vienne, suppose de combattre toute instrumentalisation raciste et de situer la provenance coloniale de ce discours. Ce qui permet de dénoncer les courants qui le portent, quels qu’ils soient, comme des relais de l’idéologie coloniale et suprémaciste blanche. L’antisémitisme qui revient comme une vague de fond en France n’a rien de nouveau. Il est à combattre avec détermination, d’où qu’il vienne, sans aucune complaisance ni minimisation, contrairement aux réactions d’une partie de la gauche qui refuse d’affronter la question au prétexte qu’elle serait confisquée par les réactionnaires. Cette confiscation est en réalité le produit de son silence et de ses atermoiements.

Mais ce combat n’est pas soluble dans l’islamophobie ni dans une relecture de l’histoire visant à absoudre le « roman national » et le colonialisme de sa responsabilité dans la diffusion internationale de l’antisémitisme.

Juives et Juifs Révolutionnaires