La nouvelle ère des dictateurs élus démocratiquement
Au moment où la Gauche essaie globalement et désespérément de trouver des idées qui ne soient pas soit des redites, soit des concepts de droite déguisés (qui sont aussi des redites), il se développe autour de nous une nouvelle forme inédite de gouvernement qui me parait extrêmement dangereuse - celle du dictateur élu démocratiquement.
Orban en Hongrie, bien sûr, Erdogan en Turquie, Poutine en Russie, et aujourd’hui, plus discrètement, mais dans la même direction, Macron qui veut “réformer” la constitution pour lier encore plus les mains du parlement - dont les pouvoirs, par rapport à d’autres démocraties occidentales, sont déjà bien limités. Nous voyons se dessiner ici, peu à peu, une forme nouvelle de présidence qui, élue “démocratiquement”, maintient à peu près le cadre constitutionnel tout en s’arrogeant de plus en plus de pouvoirs, à coup de “petites réformes”, qui, mises ensemble, vont “corriger” ce qui reste de libertés dans le champ politique.
Si Poutine ou Erdogan utilisent directement la violence, la corruption et la terreur pour se maintenir au pouvoir, notre Macroléon III, lui, va utiliser les ressorts pourris de notre Vème république : l’abstention massive provoquée par le rejet, précisément, de ce système électoral inique, mais qui sert les deux derniers candidats restés en lice, le vainqueur, depuis des décennies, étant élu “par défaut”; l’impuissance législative du parlement, qui n’est là, grâce à De Gaulle, que pour enregistrer les lois; la corruption passive et active qui mine les hautes sphères de l’État; et, pour finir, s’il sent le vent lui être favorable, un ou deux référendums ici ou là.
La fonction présidentielle n’est plus liée, dans tous les cas cités, à une représentativité, mais à l’espace occupé, c’est à dire le trône. Et le droit de vote n’est plus qu’un symbole, qui sert à légitimer le Monarque Démocrate (comme le Tyran à Athènes), sans aucune contrepartie. Nous sommes revenus dans le cas extrême décrit par Rousseau dans son Discours sur l’origine de l’inégalité, ou tout le pouvoir ne se situe que d’un seul côté et ne représente que lui même. À l’ère de l’information globale (et du fichage global), ce n’est pas vers l’avenir que nous nous dirigeons, mais au contraire vers un passé que nous croyions aboli : celui de l’Ancien Régime et de l’aristocratie triomphante.
Reste à savoir s’il nous reste quelques philosophes pour renouveler les Lumières, ou s’ils sont trop occupés, comme ce pauvre Onfray, à s’asseoir en bout de table des puissants et manger les miettes qu’on leur octroie, servies par les courtisans de l’audio-visuel ...
Sebastien Doubinsky
Bilingue, Sébastien Doubinsky écrit en français et en anglais. Il a publié des romans et des recueils de poésie en France, en Angleterre et aux USA. Il vit actuellement à Aarhus, au Danemark, avec sa femme et ses deux enfants. Il ne se cache pas d'être écrivain & anarchiste (il aurait bien tort), et tient un blog : "a view from Babylon". Nous l'accueillons parmi nos chroniqueurs.