Macron prépare des vies insupportables à la jeunesse

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Matthieu Hély, sociologue et Président de l’Association des Sociologues de l’Enseignement Supérieur (ASES), revient sur la réforme Parcours sup concernant le Bac et l’entrée à l’université. Il y explique comment derrière Parcoursup et un changement de plateforme annoncé comme technique, c'est en fait une remise en cause de la possibilité pour les élèves des classes populaires de faire des études. Un objectif - siffler la fin de la démocratisation scolaire- qui s'insère dans un projet de société : le néo-libéralisme dans son sens le plus rude.

Quels sont les enjeux de la réforme Parcours sup ?

L’enjeu c’est au moins un siècle de lutte sociale pour le droit à l’éducation : là on est face à un projet très cohérent politiquement, mais qui revient au moins 50 ans en arrière, en 1968, avec la loi Faure qui reconnait pour la première fois que le bac sanctionne la fin des études secondaires et donne le droit d’accéder aux études supérieures. La conséquence de la réforme du bac et des universités est qu’il va falloir anticiper dès l’entrée en première les choix d’orientation dans le supérieur. Et on sait depuis longtemps que tout le monde n’est pas égal, enfin il faut avoir les informations… Donc c’est une remise en question de tout cela avec des conséquences pour les étudiants d’origine populaire ou issus des classes moyennes qui sont évidemment les moins armés face à ce système : pour eux les études seront raccourcies, quand il y aura études supérieures, et uniquement professionnalisantes, BTS ou IUT dans le meilleur des cas.

Mais pourtant ce n’est pas stipulé formellement comme tel…

C’est sûr qu’ils ne vont pas le dire, le terme “sélection” n’est toujours pas assumé, et donc c’est vraiment prendre les gens pour des idiots. Et donc tout est joué très vite en fonction du bac que vous avez obtenu : ça veut dire des gens qui seront cantonnés dans des carrières professionnelles au mieux au Smic quand ils auront un emploi. On se retrouve donc face à une école de la reproduction sociale et donc sans mobilité sociale. Ce qui est une catastrophe pour une société qui se veut démocratique

Parcours sup n’est-il pas juste un changement de nom ?

Ah non justement ce n’est pas seulement un changement de nom, d’ailleurs toute l’habileté du gouvernement est de présenter ça comme une reforme technique. APB n’a pas bien fonctionné, on met en place Parcours sup, c’est soi-disant plus efficace… Le véritable problème c’est qu’il manque des places dans les universités, car celles-ci sont sous pression financière depuis la loi Pécresse de 2007 qui les a rendues soi-disant autonomes sur le plan financier et donc depuis, la dotation de l’État aux universités baisse et ne tient pas compte des coûts de gestion du personnel de l’université. Par exemple les effectifs des universitaires, du corps enseignant sont en baisse, ce qui n’était jamais arrivé depuis trente ans, et comme il y a une pression démographique, il n’y a pas assez de place. Donc le problème ce n’est pas un problème technique ou d’algorithme qui ne ferait pas bien son boulot, c’est un problème de création de places.

L’argument du gouvernement est de vouloir mettre fin au tirage au sort par l’intermédiaire notamment de Parcours sup. Qu’en pensez-vous ?

Oui alors le tirage au sort c’était inacceptable, mais cela n’a concerné que très peu d’étudiants au final. La différence est que APB était au niveau national, alors que pour Parcours sup il n’y a plus de cadre national. Chaque université, chaque filière, peut mettre en place des critères de sélection totalement arbitraires, sans contrôle national, ce qui à mon avis pose un gros problème parce que si l’on considère que l’université est un service public, il y a un principe devant être respecté qui est l’égalité des usagers devant le service. Or là il y a rupture d’égalité manifeste puisque les critères d’accès sont totalement hétérogènes d’une université à l’autre voire d’une filière à l’autre donc juridiquement c’est très attaquable ; d’ailleurs ils y a eu un recours au Conseil d’État.

En fait on acte que le bac n’est plus suffisant pour accéder aux études supérieures ; c’est tout à fait cohérent avec la réforme du bac, qui va donner lieu à des bacs locaux si je devais résumer la réforme. L’idée c’est d’alléger les épreuves nationales, d’en supprimer une partie, d’en faire une partie en contrôle continu, de casser les filières du bac général, filières ES etc, de faire dès la première un choix d’enseignement à la carte totalement ajusté en fonction du supérieur. Selon le rapport Mathiot c’est cela. Ce qui signifie que la valeur du bac va dépendre de votre capacité à faire des choix de majeure et mineure en fonction de l’orientation dans le supérieur et puis aussi en fonction du choix de l’établissement parce que le contrôle continu va faire que selon les établissements, le bac n’aura pas la même valeur. Il va donc y avoir plusieurs bacs locaux, donc si vous n’avez pas fait votre bac dans tel lycée et bien vous ne rentrerez pas dans telle école. Alors certes c’est déjà le cas, mais avec la reforme on l’acte, on l’institutionnalise et on abandonne l’objectif d’égalité ; l’État va se retirer, c’est la suite.

Comment ce changement a-t-il pu s’opérer, la réforme arrive-t-elle comme un aboutissement ?

Je pense que l’une des raisons est que les gens ne croient plus en cet idéal de démocratisation scolaire. Plusieurs sociologues ont travaillé là-dessus, notamment Stéphane Beaud, 80% au Bac… et après. Il montre très bien que l’objectif de démocratisation scolaire de 80% d’une classe d’âge au bac, qui a été énoncé dans les années 1980, a amené beaucoup de jeunes de classes moyennes et populaires à allonger leurs études sans forcément aller au bout et qu’il y a donc de grandes limites. Il faut savoir aussi que le système de l’enseignement supérieur en France est aussi très dualisé avec un système sélectif qui existe déjà depuis la Révolution. On a des classes préparatoires aux grandes écoles qui sont aussi très sélectives socialement et où l’État met les moyens ; la dépense pour un élève en classe préparatoire est deux fois plus importante que pour un étudiant à l’université. Donc à la fois la bourgeoisie se reproduit dans les grandes écoles publiques financées en partie par l’impôt et ce sont les classes moyennes et populaires qui paient les études de la bourgeoisie. Vous avez par exemple les normaliens (École Normale Supérieure) qui ont le statut d’étudiant fonctionnaire et qui sont payés pendant leurs études avec l’argent public, alors que d’autres doivent aller travailler dans des pizzerias pour financer leurs études. Selon moi et c’est ma conviction personnelle, on ne peut pas afficher cet idéal de démocratisation scolaire tout en faisant coexister des universités publiques avec un système de grandes écoles sélectives.

Mais c’est vrai que nous avons un système d’enseignement supérieur très complexe. D’autant plus que toutes les études universitaires ne se valent pas ; si vous faites médecine et que vous passez la première année c’est très valorisé, et il y a des carrières comme la médecine ou le droit pour lesquelles l’université a le monopole de la formation. En revanche, d’autres études, comme AES, STAPS etc sont dévalorisées mais ce n’est pas non plus le même recrutement social. On est donc dans un système où tout se joue selon la précocité et la capacité à bien comprendre les règles du système pour bien s’orienter, faire les bonnes études, la bonne carrière. Un système, comme le qualifie Bourdieu, reproducteur d’inégalités sociales.

Macron avait dit vouloir « en finir avec le mythe de l’université pour tous », la réforme semble tendre vers cette idée. Pourquoi vouloir y mettre fin ?

Le projet de Macron, la start up nation, c’est le néo-libéralisme à son sens le plus rude je dirais. Il veut y mettre fin parce qu’il veut se désengager financièrement et surtout car c’est une manière de créer un marché. Vous avez déjà, avec Parcours sup, des boites de conseil qui se montent pour faire du coaching de lycéen pour les lettres de motivation, la bonne utilisation de la plateforme… c’est d’un cynisme total. Il y a un business qui se monte sur l’orientation et puis il y aura évidemment un business sur l’enseignement supérieur qui est très grave et risque d’évincer les classes populaires des études supérieures : bien que Macron ne le dise pas, c’est très clairement l’objectif. La suite de tout cela étant les droits d’inscription que l’on va déréguler, ce qui risque de mettre les universités en crise. Le rectorat va pouvoir fixer des seuils minimums de boursiers selon les filières et moi je suis convaincu que dans la première année de licence AES, dont je m’occupe, il va y avoir un problème parce que les étudiants les plus fragiles il va bien falloir les accepter. L’État va nous obliger à les inscrire et on va concentrer dans certaines filières un nombre trop important d’étudiants. Je pense que c’est le projet de Macron, la start up nation, c’est le néo-libéralisme dans son sens le plus rude je dirais.

Les enfants d’ouvriers qui ne représentent que 11% des effectifs étudiants ne risquent-ils pas de pâtir de cette réforme ?

Il ne faudrait pas idéaliser l’université telle qu’elle est. Il y a déjà de la sélection qui saute aux yeux ; en master par exemple on n’a pas les mêmes étudiants qu’en licence. Il y a plusieurs raisons ; notamment les étudiants qui ne sont pas autonomes financièrement : on préfère donner plein de bourses, mais qui ne permettent pas d’être autonomes, plutôt que de donner peut-être moins de bourses et permettre à l’étudiant d’avoir une réelle autonomie sans qu’il ait besoin de travailler. La réforme va, je pense, accentuer encore plus les disparités. Peut-être qu’elle ne va pas empêcher les enfants de classes populaires de faire des études, mais du moins elle va raccourcir ces études, ce sera maximum bac +3 et difficile d’aller au-delà.

Il y a certains points inclus dans le plan du gouvernement et qui pourraient séduire une part des étudiants, en particulier le point concernant l’orientation et l’accompagnement pour les élèves à partir du lycée. Quel est votre avis sur la question ?

Tant qu’on ne m’annonce pas les moyens derrière, pour moi cela sera difficile de faire confiance. Sur le principe c’est très bien, mais c’est pareil concernant les parcours d’accompagnement : il est stipulé qu’on dira oui à certains, mais à d’autres « oui, mais ». La question c’est de savoir à qui on dira « oui, mais ». J’ai de fortes craintes sur les moyens qui seront mis en œuvre réellement pour ça, parce que si on prend par exemple les fiches que les lycéens devront remplir avec les enseignants, ce sont 700 000 lycéens… Donc est-ce qu’on va réellement pouvoir leur délivrer un accompagnement à la hauteur ? Pour l’instant je n’en suis pas du tout convaincu. A voir…

Selon vous, quelle autre mesure concrète aurait dû être prise par le gouvernement ?

Il y a des choses toutes simples : créer des places en BTS et en IUT, embaucher des enseignants dans le secondaire et dans le supérieur. Ce sont des mesures de base. Le débat sur le système dual en France, on n’en parle jamais et c’est pourtant au cœur du problème. Il y a une disproportion des moyens qui est colossale, c’est le jour et la nuit. Revenir sur l’autonomie de l’université, tendre en fait vers un vrai service public d’enseignement supérieur au lieu d’aller vers le marché de l’enseignement supérieur. Concrètement ce serait des droits d’inscriptions qui restent très bas, des diplômes nationaux qui aient la même valeur partout, un système de bourse qui permette réellement l’autonomie des étudiants. Si toutes ces conditions étaient respectées, on aurait des diplômes universitaires mieux valorisés. En effet on assiste depuis les années 1980 à un allongement continu des études supérieures, car les diplômes universitaires sont de plus en plus dévalorisés. Donc aujourd’hui il faut au moins un Master pour espérer avoir un emploi qui ne soit pas un emploi d’exécution et je ne parle pas d’emploi de cadre. Le salaire d’embauche pour un diplômé de master c’est 1500 euros, cinq ans d’études après le bac pour un peu plus que le Smic, alors qu’il y a 40 ou 50 ans, le bac suffisait pour faire carrière.

C’est pour cela que ça ne concerne pas uniquement l’université, mais aussi le monde du travail dans lequel on est en train de détruire les conventions collectives et toutes ces choses qui garantissent une adéquation entre la formation reçue et le poste occupé. On est en train de tout casser en fait. C’est pour cela que le projet de Macron est très cohérent sur le plan politique, c’est un projet néolibéral de destruction des protections collectives des salariés et donc de destruction du système public de qualification. Ensuite on sera endetté pour ses études supérieures, comme aux États-Unis, et la vie active servira à rembourser son crédit étudiant. Ce n’est pas une vie désirable d’être endetté toute sa vie [rires]. Je pense que Macron prépare des vies insupportables à la jeunesse, mais seulement à une certaine jeunesse parce que celle des start up et des grandes écoles, au final elle va bien. C’est une réforme de classe portée par un gouvernement qui défend les intérêts de classes. Alors l’espoir c’est peut-être demain des contestations de tout cela dans la rue parce que les gens ne le supporteront certainement pas.

Propos recueillis par Abdelhamid Chalabi pour le Trapy Blog