L'AUTRE QUOTIDIEN

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Femmes : les maltraitances gynécologiques et obstétriques mieux connues mais toujours largement répandues

Tout au long de leur vie, les femmes mettent leur corps entre les mains des gynécologues. Paternalisme, sexisme, examens brutaux, paroles culpabilisantes, humiliations, absence de consentement, épisiotomies superflues, déclenchements abusifs... La maltraitance médicale envers les femmes prend de nombreuses formes. Si les patientes osent désormais plus facilement dénoncer la violence verbale ou physique de certains praticiens, celle-ci n'a pas pour autant disparu. Nous publions quelques extraits du "livre noir de la gynécologie", rédigé par la journaliste Mélanie Déchalotte, qui lève le voile sur un phénomène largement répandu mais encore tabou.

Témoignage d'Anne : "Et cette nuit, c'était comment ? C'était comme ça, cette nuit ? Vous la sentiez bien ?"

Anne, âgée de 22 ans, a besoin d'une contraception d'urgence. La veille, lors d'une fêt chez une amie, elle a eu un rapport non protégé avec un homme d'un soir. Son premier réflexe est de s rendre chez son pharmacien habituel. Elle lui explique la situation. "Vous avez fait n'importe quoi cette nuit et maintenant vous venez me voir ? Eh bien non, la sermonne le professionnel de santé, tant que vous n'avez pas d'ordonnance d'un spécialiste, je ne peux pas vous donner la pilule du lendemain."

Anne ne se doute pas un seul instant que son pharmacien lui ment (1). Coincée, elle cherche dans les pages jaunes l'adresse d'un médecin qui pourrait la recevoir en urgence. Elle finit par trouver un cabinet médical à Clichy où exerce un gynécologue qui accepte de la recevoir le jour même. Lors de la consultation, la jeune fille explique très naturellement qu'elle a eu un rapport non protégé la veille et qu'elle a "absolument besoin d'une ordonnance pour la pilule du lendemain" : 

- Mais mademoiselle, on ne donne pas ce genre de médicament comme ça, s'indigne le médecin. Il faut que je vous examine, avant.

- Ah bon ? Mais pourquoi ?

- Un examen gynécologique est nécessaire avant ce genre de prescription.

Je ne comprends pas...

- C'est très simple. En médecine, on suit les protocoles. Donc, je fois vous examiner pour vérifier qu'il n'y a pas de grossesse. Sinon, je ne vous donne pas la pilule du lendemain.

Anne se sent à nouveau coincée. Cette conversation la met mal à l'aise. Mais il lui faut cette ordonnance : elle a très peur d'être enceinte et le temps presse. Elle fait confiance au médecin. Elle se déshabille et s'installe en position gynécologique sur la table d'examen. L'homme se place entre ses jambes tout en enfilant un gant sur sa main droite. Conformément à la pratique du toucher vaginal, il introduit deux doigts dans son vagin. "Et cette nuit c'était comment ?" lui demande le gynécologue, en appuyant fermement de l'autre main sur le bas de son ventre. Anne se raidit. Il commence alors à bouger brutalement les doigts dans son vagin. "C'était comme ça, cette nuit ? Vous la sentiez bien ?", questionne l'homme en "fouillant" l'intérieur de ses organes génitaux. Il lui fait mal. Allongée sur le dos, les cuisses écartées et les pieds dans les étriers, elle est incapable de réagir.

"Cette fouille n'a duré que quelques secondes mais c'était horrible. J'ai senti toute la violence de son mépris envers une femme qui pouvait être libre de sa vie sexuelle. Pour lui, j'étais une traînée, explique Anne. Il me punissait d'avoir couché avec un homme sans avoir fait attention. Il me faisait mal afin que je m'en souvienne."

Lorsqu'il enlève ses doigts, elle se relève et se rhabille silencieusement. Il lui annonce qu'elle peut avoir la pilule du lendemain. Elle prend l'ordonnance, signe le chèque et s'en va sans dire un mot. Elle se précipite dans une pharmacie. Elle prend son comprimé. Elle est soulagée. La jeune femme ne parle à personne de cette consultation. Elle se contente de prévenir ses amies qui habitent dans le quartier du gynécologue : "N'allez jamais chez ce type-là, c'est une ordure." Sans en dire plus.

Témoignage de Jeannne : "C'est bon là, vous allez vous taire ! On sait que vous avez mal"

En 2015, Jeanne est enceinte de son premier premier enfant. Elle est un peu inquiète : son terme est prévu le 28 décembre 2015 - en période de fêtes- et sa grossessse est loin d'être idyllique. (...) Elle est suivie par une gynécologue d'une maternité du Sud des Yvelines -où elle doit accoucher- qui ne manque pas d'arguments pour la culpabiliser sur sa prise de poids : "Vous vous rendez compte que vous avez pris 25 kg ? Il faut penser à la santé de votre enfant ! Moi, quand j'étais enceinte, je faisais des régimes." Mortifiée, Jeanne esquisse une tentative de justification et tente de lui confier son mal-être. "Peu importe vos raisons, coupe la gynécologue, moi, je suis là pour vérifier que le médical va bien." D'ailleurs, elle n'a que faire de son projet de naissance auquel Jeanne tente vainement de la sensibiliser. La jeune femme l'a préparé avec une sage-femme de l'hôpital. Elle souhaite une naissance physiologique, autrement dit, qui respecte la physiologie : une surveillance médicale non invasive, sauf en cas de nécessité, pendant toutes les phases de la grossesse et de l'accouchement.

Mais cette dernière l'a prévenue : "Pour le projet de naissance, ça dépendra des personnes qui seront de garde le jour de votre accouchement. Ce sera quitte ou double." L'établissement semble cultiver une philosophie de la naissance respectée. Il propose plusieurs types de préparation à la naissance : haptonomie, sophrologie, chant prénatal, yoga, préparation en piscine... "Laissons le temps aux femmes" annonce en exergue le site des gynécologues de la maternité. La naissance est un "événement naturel qui doit suivre son rythme propre." Cela dit, précise tout de même la page du site, "des circonstances particulières, urgentes ou non, obligent parfois à modifier le déroulement naturel des événements pour le bien de l'enfant à naître et de sa mère." "J'ai envie d'y croire, explique Jeanne, donc je prépare au mieux mon accouchement." Le mardi 22 décembre, sa poche des eaux s'est fissurée, elle est obligée de se rendre à la maternité plus tôt que prévu. Vers 20 heures, une élève sage-femme lui pose un tampon pour préparer le col de l'utérus. Elle souffre un peu. Elle demande à soulager sa douleur dans la salle réservée au travail physiologique : "Je découvre que c'est une pièce de passage, déplore Jeanne. Je trouve des ballons dégonflés et des coussins moisis dans un placard. Je retourne dans ma chambre avec un ballon tout mou."

Le lendemain matin, vers 6 heures, une sage-femme chevronnée vient contrôler la situation. Elle lui annonce que le tampon est mal posé et le replace. La jeune femme sent tout de suite la différence. Jeanne demande un monitoring ambulatoire et passe sa journée à voyager entre les pièces. "Je dois constamment changer d'appareils de monitoring car toutes les batteries des machines sont déchargées..." Le soir, on lui impose de rester allongée dans sa chambre pour un monitoring plus fiable.

Vers une heure du matin, la sage-femme lui annonce que son col est "dilaté à 8" : "C'est trop lent, observe la sage-femme. Il faut de l'ocytocine pour accélérer le processus." Jeanne refuse et rappelle son projet de naissance. "Oubliez votre projet de naissance, lance la soignante. Il faut accoucher. Il y a un risque pour le bébé." L'argument est imparable : la patiente cède à l'ocytocine (qui va intensifier les contractions) et, forcément, à la péridurale. "A partir de 8 cm de dilatation, je n'ai plus eu le droit à la parole. Mon corps ne m'appartenait plus." Anesthésiée, Jeanne s'endort.

Le lendemain matin, veille de Noël, elle est réveillée par la douleur vers 6 heures. Son mari va chercher la sage-femme. Quatre personnes (sages-femmes et infirmières) déboulent ensemble dans la chambre. Son col est complètement dilaté : c'est l'heure d'accoucher - à plat sur le dos, les pieds dans les étriers, malgré les protestations de la jeune femme. "inspirez, bloquez, pouuussez" commande une des sages-femmes. En vain. De surcroît, l'effet de la péridurale s'estompe. Jeanne souffre beaucoup. Une sage-femme rapporte une desserte à instruments d'extraction, une autre appelle un médecin. "Que se passe-t-il ? demande Jeanne et son mari à plusieurs reprises. Pourquoi vous appelez un médecin ?" Personne ne semble entendre le couple. La douleur s'accroît. Jeanne geint, pleure, et crie à chaque contraction.

Un homme en blouse blanche entre sans se présenter. Il discute avec les soignantes. Il se tourne vers Jeanne : "C'est bon là, vous allez vous taire ! On sait que vous avez mal." Effrayé, le mari de Jeanne lui tient la main et tente de la soutenir comme il peut. L'obstétricien s'installe en face de la parturiente. "Ça sert à rien de chouiner ! Vous allez pousser maintenant." La jeune femme fait tout ce qu'elle peut mais elle est submergée par la douleur. Sans un mot, le praticien coupe son périnée et introduit les forceps dans son corps. Jeanne hurle et tressaute de douleur. "Ne bougez pas comme ça, ordonne l'obstétricien. Et arrêtez de crier comme ça." Il sort l'enfant qui hurle aussi fort que sa mère. Les soignantes s'en saisissent pour lui donner les premiers soins. L'équipe est rassérénée. Ils discutent entre eux. "Ma fille est née. On ne la voit pas, se souvient Jeanne, Personne ne nous parle.On entend pas ce qu'ils disent mais il n'y a plus d'urgence dans leur voix." La jeune mère saigne abondamment : hémorragie des forceps. "Il a sorti le placenta en m'appuyant sur le ventre comme une brute. C'était horrible."

L'effet de la péridurale a complètement disparu. Le médecin s'attelle à la suture de l'épisiotomie. Jeanne est agitée de violents soubresauts. "mais arrêtez de remuer comme ça, s'agace le praticien. Quand vous bougez, ça ne facilite pas le travail." "D'accord, mais moi j'ai mal", se défend-elle. D'une seule main, il attrape une seringue sur la desserte. Il referme sa paume et- ses doigts sur le tube en tenant l'aiguille vers le bas et, à plusieurs reprises, il la plante -"comme un poignard"- dans la chair de Jeanne, en appuyant sur le piston avec son pouce, à chaque percée. Ces coups de seringue -"très douloureux"- visent à anesthésier vagin et périnée ; le médecin parvient à réaliser sa suture. "Voilà, c'est fini" conclut-il en partant.

Témoignage de Margaux et Alban : "Si j'avais coupé, il serait déjà là."

"L'idée de filmer un accouchement me paraissait ridicule avant la naissance de mon fils. je regrette de ne pas avoir filmé le mien pour pouvoir anéantir les mensonges du médecin, déplore aujourd'hui Margaux avec amertume. Malheureusement, nous n'avons que notre parole, qui vaut bien peu aux yeux de ceux que nous avons rencontrés durant cette longue quête de justice." Une parole humiliée, désabusée, qui tremble et sanglote encore, huit ans après les faits. C'est donc surtout Alban, le mari, de Margaux, qui raconte leur histoire.

En 2008, Margaux est enceinte pour la première fois. La couple souhaite que l'accouchement soit le plus naturel possible. Les hôpitaux publics souffrant d'une mauvaise réputation, Margaux et Alban cherchent une clinique privée. Ils visitent une maternité près de chez eux. Dans tous les services est affichée la Charte de la personne hospitalisée : la maternité vante le respect des processus naturels (peau à peau, allaitement maternel, etc.) et dispose de salles de naissance physiologiques équipées de baignoires. Le couple est séduit. "Cela nous a mis en confiance, raconte Alban. On s'est laissés abuser par du marketing."

(...)

La grossesse se déroule normalement. Le couple suit les cours de préparation à la naissance proposés par la clinique. "La sage-femme avait un discours très anxiogène, se souvient Alban.  Elle ne traitait que des problèmes qui pouvaient survenir durant le travail. A l'écouter, c'était presque un miracle de survivre à un acouchement."

Margaux et Alban s'informent de leur côté sur les pratiques liées à l'accouchement à l'hôpital. La documentation disponible sur le site de l'AFAR (1) confirme leur position quant à l'épisiotomie qui leur a toujours semblé un "acte inutile et d'un autre temps". Les recommandations du CNGOF en 2005 soulignent d'ailleurs que "l'épisiotomie semble augmenter les risques d'hémorragie du post-partum. Un certain nombre de traumatismes foetaux ont également été décrits lors de la réalisation de l'épisiotomie [...] Dans le post-partum immédiat, les patientes ayant eu une épisiotomie se plaignent de douleurs périnéales plus que celles ayant accouché avec un périnée intact ou une déchirure du premier ou du second degré".

Pourtant, lors des cours de préparation à l'accouchement, la sage-femme rabâche à loisir qu'il "vaut mieux une petite épisio qu'une grosse déchirure" : une conviction jamais démontrée scientifiquement.

Margaux choisit donc de refuser l'épisiotomie (d'autant que les premières échographies témoignent d'un bébé de taille modeste), ainsi que la péridurale, qui augmente le risque de césarienne et d'extraction foetale.

Le suivi de grossesse est réalisé à la fois par le médecin généraliste et par un obstétricien de la clinique qui effectue notamment les échographies nécessaires. "Vers la fin de la grossesse, nous lui avons exprimé notre regret de ne pas avoir suivi une préparation haptonomique en dehors de la clinique, explique Alban. Il a complètement dénigré cet enseignement, dispensé selon lui par des sectes, ajoutant que les accouchements des femmes ayant suivi ce genre de préparation se passaient généralement très mal. A partir de là, j'ai commencé à ne plus avoir confiance." Le couple fait part de son inquiétude à son médecin traitant. Il faut cesser d'être continuellement sur ses gardes, répond le généraliste, il faut savoir faire confiance aux soignants. "Je lui en ai beaucoup voulu pour ce mauvais conseil", soupire Alban.

La grossesse arrive à son terme. Le jeudi 11 septembre 2008, après une nuit de contractions, le couple arrive à la nitratée à 9 heures. Un examen confirme que le travail est en cours. Installée en salle de naissance, la jeune femme rappelle son souhait d'un accouchement naturel : la sage-femme note l'expression -entre guillemets- dans on dossier de suivi.

Margaux demande à bénéficier de la baignoire pour soulager sa douleur. Pas de chance, la vanne de vidange ne fonctionne pas plus, prétexte la sage-femme. A la place, on lui propose une péridurale. La patiente refuse. La soignante ne semble guère apprécier ce choix mais n'insiste pas davantage : elle laisse Margaux déambuler à sa guise dans la salle de naissance.

Vers 10 heures, à l'occasion d'un toucher vaginal de contrôle, Margaux ressent une douleur très brutale. La sage-femme s'excuse, elle a eu un "geste maladroit". Une heure plus tard, elle lui imposer une perfusion et la rassure : il s'agit d'une simple mesure de précaution, elle ne lui administrera rien sans lui demander son accord.

Au fil des minutes, les douleurs s'accroissent. La perfusion étant posée, la soignante lui propose d'en profiter pour recevoir du Spasfon (un antispasmodique) : Mragaux accepte. Vers 12h30, la sage-femme est de retour, accompagnée d'une aide-soignante. Elle fait allonger la patiente sur le dos, place ses jambes dans les étriers pour "évrifier quelque chose", puis lui demande de "pousser un peu pour voir". Margaux ne se méfie pas et s'exécute : les contractions deviennent très violentes. "Ma femme s'est retrouvée coincée sur le dos, explique Alban, avec des contractions terribles qui lui laissaient à peine le temps de reprendre son souffle et la sage-femme qui l'incitait à pousser à la façon d'un caporal. A partir de là, nous avons perdu le contrôle de la situation."

Pendant ces efforts expulsifs, l'alarme stridente du monitoring ne cesse de sonner : sous l'effet des poussées, les sondes se déplacent et perdent le signal. Agacée, la sage-femme débranche la sonde qui mesure les contractions utérines et finit par couper totalement le son de l'appareil.

Quelques minutes plus tard, un petit homme en blouse blanche, assez âgé, pénètre dans la salle de naissance. Le téléphone rivé sur l'oreille, il ne prête aucune attention au couple, ne daigne ni les saluer, ni se présenter. "On ne le connaissait pas. La conversation très bruyante qu'il menait au téléphone laissait entendre qu'il était médecin, raconte Alban. C'est l'aide soignante qui l'avait prévenu de l'imminence de la naissance. Je ne comprenais pas ce qu'il faisait là car je pensais que seule la sage-femme ferait l'accouchement. Cet homme m'était antipathique et sa présence était stressante. J'aurais dû lui demander de sortir."

Après avoir raccroché, l'obstétricien s'engage dans une conversation avec l'aide soignante. Il s'agace de ne pas trouver son tabouret à roulettes. Alban, qui est assis sur le fameux tabouret, se lève et le fait poliment rouler jusqu'à lui. Le médecin sen saisit machinalement, sans un ragrd ou une parole. Il enfile ses gants avec difficulté, règle table et tabouret deux ou trois fois, allume et ajuste la lampe, cherche ses lunettes tout en poursuivant sa causerie avec l'aide-soignante sur le nouveau fournisseur de gants qui ne lui donne guère satisfaction. "nous n'existions pas, s'indigne Alban. Nous étions transparents à ses yeux."

Le médecin finit par s'intéresser à la parturiente toujours aux prises avec de violentes contractions. Il palpe la tête de l'enfant qui se présente entre les cuisses de Margaux. "Si j'avais coupé, lui lance l'obstétricien, il serait déjà là." La jeune femme sursaute, se redresse, "Non, on ne coupe pas !" s'oppose-t-elle en secouant la tête de gauche à droite. Elle tente de s'extraire des étriers. "Oxygène, ordonne l'obstétricien d'une voix autoritaire, elle panique !" La sage-femme immobilise aussitôt la patiente, l'aide-soignante lui plaque de force un masque sur le visage, et elles ôtent la dernière sonde du monitoring -déjà réduit au silence. Surpris par cette violence inattendue, Alban tente de rager la tête froide : il tient la main de sa femme et la rassure comme il peu, tout en surveillant les agissements du médecin. Ce dernier s'avance pour examiner de plus près la naissance : la tête de l'enfant est sur le point de sortir complètement et le haut de la vulve commence à saigner.

Soudain il bloque d'une main la tête du bébé, se tourne et, de l'autre main, attrape prestement la paire de ciseaux déposée sur la desserte à instruments placée à ses côtés. "Non ! hi=urle Alban, ne la coupez pas !" Le médecin le toise d'un regard empli de mépris et s'avance les ciseaux à la main entre les cuisses de la parturiente. La sage-femme ordonne alors à Mragaux toujours immobilisée de force - de cesser les poussées. Alban s'élance vers le gynécologue mais l'aide-soignante s'interpose physiquement. Le mari de Margaux tend le bras pour tenter de faire tomber la paire de ciseaux. En vain.

"Sous mes yeux, il a fermé les ciseaux avec vigueur et coupé à vif le périnée sur 5 à 6 cm, raconte Alban. Son entrejambe a saigné si abondamment que j'ai eu peur qu'il n'ait aussi blessé le bébé."

Lorsque mon mari a crié non, j'ai compris ce que ce gynécologue allait faire, mais je ne me suis pas défendue car mon bébé aurait pu être blessé. J'ai senti une douleur très intense et j'ai su qu'il était trop tard, ajoute Margaux. J'ai serré les dents pour ne pas pleurer. Puis on m'a demandé si je voulais attraper mon enfant, mais je n'étais plus vraiment là."

Il est 13h04 quand naît Thomas. "Voulez-vous couper le cordon ?" demande la sage-femme à Alban, tétanisé. L'obstétricien s'en charge. La sage-femme injecte de nouveau un produit dans la perfusion avant que le médecin ne tire sur le cordon pour extraire le placenta. Il procède à quelques piqûres d'anesthésie et, sans attendre leur effet, suture de deux points les deux petites déchirures naturelles sur le haut de la vulve et recoud l'épisiotomie de quelques points grossiers. Margaux réagit à la douleur mais selon le médecin, "c'est normal si ça pique un peu". Le couple est abasourdi. "on en fait toute une histoire, mais bien recousu, ça ne laisse pas de trace, affirme le spécialiste. Voulez-vous regarder dans un miroir ? Ça ne se voit déjà presque plus." Choquée, la jeune femme ne parvient pas à prononcer un seul mot. Le médecin ne perd pas de temps : "On peut aller déjeuner maintenant " lance-t-il à l'aide-soignante en quittant la salle de naissance.

De retour en chambre, la douleur commence à se réveiller : elle est insupportable. Margaux pleure, elle peut à peine se mettre debout, aller à la selle est une torture.

Le CNGOF précise dans un rapport publié en 2005 que la réfection d'une épisiotomie doit être réalisée avec un grand soin par une suture continue qui répartit mieux les tensions les deux bords, limitant ainsi la douleur et- les risques de déhicence (2). Chez Margaux, le praticien s'est contenté de recoudre avec des points séparés, et seuls deux points ont été réalisés pour la partie externe -un e méthode inadaptée.

Le lendemain, deux femmes en blouse blanche rendent visite à Margaux. Chargée de son suivi, elles s'inquiètent de son épisiotomie : "Pouvez-vous évaluer votre douleur sur une échelle de 1 à 10 ?" Margaux n'a pas dormi de la nuit, elle souffre atrocement, qu'elle soit debout ou assise : "Ma douleur est de 8." Les deux spécialistes pouffent de rire : "Attendez, madame, 10 c'est le chiffre qui correspond à un accouchement sans péridurale. Si vous aviez dû accoucher sans péridurale, vous auriez su ce que c'était que d'avoir mal." Une attitude en contradiction avec le devoir de prise en compte de la douleur prévu par l'article L110-5 du Code de la santé publique.

"Le séjour à la maternité est un enfer, raconte Margaux, j'ai attendu la visite de l'obstétricien. En vain. En revanche, le personnel entre dans la chambre sans frapper, de jour comme de nuit, et méprise ma douleur. Nous avions l'impression d'être des singes de laboratoire ; je n'avais plus qu'une priorité : quitter cet endroit au plus vite.

De retour à la maison depuis quelques heures seuelement, deux points de suture de l'épisiotomie cèdent. La plaie est ouverte, mais la douleur diminue légèrement. Margaux peut enfin marcher un peu. Elle revoit rapidement son médecin traitant : la cicatrisation est déjà avancée, il est trop tard pour reprendre les sutures. "la guérison a été très longue et douloureuse. Outre la souffrance physique, cette épisiotomie forcée nous a profondément traumatisés, confie Margaux. Les premières semaines, h'étais incapable de sortir de chez moi avec mon fils. Je restais cloîtrée, terrifiée à l'idée qu'on nous agresse et d'être incapable de protéger mon enfant. On faisait des cauchemars et on en fait toujours. Cette violence vécue lors de mon accouchement a nui au bon accueil de notre enfant".

Témoignages extraits du livre "Le livre noir de la gynécologie", publié par Mélanie Déchalotte aux éditions First, en 2017.

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