Les Noces d'Hélène David signent au BAL
Ouvrage intime, récit sensoriel du vivant en Méditerranée, Noces ou les confins sauvages invite à « une toute autre histoire ».
L’artiste, en dialogue avec Bruno Dubreuil, chroniqueur et photographe, a interrogé le projet documentaire, prétexte qui a conduit Hélène David à mener, sur plusieurs années, une découverte pertinente liée à une aventure au sein du Parc des Calanques de Marseille.
“Il y a dans un livre une attente qui ne cherche pas à aboutir. Lire c’est errer …” Pascal Quignard Les Ombres errantes.
Avec Noces ou les confins sauvages, Hélène David propose une promenade solitaire au creux du territoire que dessine le Parc des Calanques de Marseille, vers une découverte de l’esprit du vivant. Ce qui sera ensuite partagé au sein d’une communauté cherchant à nourrir le rêve, qui sous-tend tout l’ouvrage; beaucoup d’images sous-marines évoquent une plongée au delà de soi, dans un retour au monde d’avant, chanté par les Ovide ou Homère de l’Antiquité classique.
Imprégnations des marées, eaux des rêves, écumes… chant de la terre, vues sous-marines où sont perçus méduses et poissons dans l’émerveillement que donne l’ampleur de la nature puissante au vivant, dans une forme d’étrangeté revendiquée. Ce qui est autre n’est plus pris en charge par la convention des représentations anthropologiques, dans une volonté de séparation; mais ici, du point de vue de ce qui accorde sur l’échelle du vivant la possibilité de l’altérité et de la différence des espèces. A la fois dans ce lien des corps qui se croisent en pleine mer, corps étrangement translucides des méduses et, par celui des espèces réunies au sein de l’unité, de ce que nous nommons nature.
Hélène David fait un autre voyage, un voyage accouchement, en passage du miroir; physiquement entrepris, dans l’exploration sous-marine de grottes uniquement accessibles en apnée, en passant par d’étranges boyaux. Comment ne pas penser à un rebirth act, ce qui conduira Hélène David de l’autre côté du miroir, au-delà du réel, entre récit fantastique et imprégnations mythologiques. D’ailleurs la figure de Poseidon/Neptune émerge du livre. Un lien charnel se constitue, poésie sensible de l’intelligible voyage au-delà de soi-même, au-delà du temps, dans une aventure extra-ordinaire comme le fut celle d’Arthur Gordon Pym de Nantucket. Voyage inversé, non pas vers le Maelstrom, mais dans une équipée sauvage au proche lointain. L’immersion est douce, les ténèbres ourlés ne sont plus matière noire de l’anéantissement, mais perles lactées du silence et du souffle. Un monde nait sous les auspices de l’amère beauté.
L'éditrice Céline Pévrier est bientôt de ce voyage qui avance. L’épreuve de l’eau, la naissance à une autre réalité, se font par une évocation à peine envisagée des initiations des cultes à mystères de l’antiquité greco- latine, qu’on pense aux Mystères d’Eleusis ou aux Grandes Dionysies… il est dit que les Mystes à la fin des présentations se précipitaient nus dans la Mer en criant de joie… N’y a-t-il pas là un évident rapprochement?
Ce livre se veut sensoriel et sensible au toucher, avec sa couverture douce et caressante, ses pages blanches aux plissages en relief, dessinant par la lecture des mains un poulpe, une fougère, une méduse, l’empreinte d’ un pied, le pied nu de Robinson sur une plage du Pacifique, pour évoquer les voyages nécessaires au départ de soi, à la lecture… Pérégriner, partir et ne plus revenir, vaste voyage ulysséen qui accorde ses grâces dans l’esprit revisité des initiations que la vie, à travers son projet, ne cesse de proposer à qui veut l’entendre. Cette idée, qui avance au-devant de soi, ombre errante et soleil mystique, ne cesse finalement de projeter en nos âmes, dans cet esprit fait de cultes et de cultures, des images et des sensations physiques et métaphysiques, reliant ce que nous pensons être, ombres et soleils, à d’anciennes présences… aux souvenirs de ce qui nous fit, et qui reste largement actif sur le plan de la psyché, rêves étranges et pénétrants, pénétrés de l’intelligence du vivant et de l’invisible.
Tout cela, sous plusieurs formes, figure dans Noces, livre qui évoque les hiérogamies, ces mariages avec le dieu invoqué, Dionysos ici… Épiphanies glorieuses, puisque le dieu est touché et que l’esprit est vivant dans ce qui reste à inventer ou à retrouver en soi, la présence inséminatrice de cette nuit talismanique, fulgurante et lente, claire au bleu profond.
Mer, aux gouffres scintillants, en tout point delphique, au-delà des usages et des oppositions, dans l’ombre nacrée des soirs; quand l’alliance entre le corps mystérieux du monde et du vivant n’est plus recouvert des cérémonies religieuses et faussement solaires et que l’appel est une voile étarque appelant à la manœuvre…
Plonger dans Noces, livre ouvert et sensible, c’est plonger à la découverte du secret de l’écriture et du livre et, plus généreusement, des mystères qui opèrent oniriquement ces transes- formations, ces purs moments. En se saisissant du livre au toucher tendre, à la caresse douce, la main se fait regard, un autre corps assemble sous les nuées, la part osée de ce regard qui fléchit et n’a besoin que de se tourner en lui même pour de nouveau pouvoir découvrir l’essence enchanteresse de l’aube. A parcourir Noces, une part de cette aventure signe le retour de la promesse et du chant silencieux du vivant, dans la proposition magique d’un voyage . Alors, feu….
Pascal Therme le 19/03/18
Hélène David Noces ou les confins sauvages, éditions sun/sun.