Le récit de la crise grecque par Varoufakis : une politique dès le départ vouée à l'échec (5)
Retour sur la crise grecque et l'expérience Syriza, à travers une série d'articles que Eric Toussaint (voir présentation de l'auteur en fin d'article) a consacré au livre de Yanis Varoufakis, "Conversations entre adultes", paru en 2017. Alors que, pour la première fois au 21e siècle, un gouvernement de gauche radicale a été élu en Europe, Eric Toussaint décrypte les oublis de Varoufakis et les choix de l'ex-ministre de l'économie grec. Son récit se lit donc en parallèle de celui de Varoufakis. Aujourd'hui, épisode 5. Comment la stratégie de Varoufakis, qui refusait toute confrontation avec la Banque centrale européenne (BCE), qui détenait les clés de toute sortie de crise, était vouée à l'échec dès le départ.
La série d’articles que je consacre au livre de Varoufakis, Conversations entre Adultes, constitue un guide pour des lecteurs et des lectrices de gauche qui ne souhaitent pas se contenter de la narration dominante donnée par les grands médias et les gouvernements de la Troïka ; des lecteurs et des lectrices qui ne se satisfont pas non plus de la version donnée par l’ex-ministre des Finances |1|. En contrepoint du récit de Varoufakis j’indique des évènements qu’il passe sous silence et j’exprime un avis différent du sien sur ce qu’il aurait fallu faire et sur ce qu’il a fait. Mon récit ne se susbtitue pas au sien, il se lit en parallèle.
Il est essentiel de prendre le temps d’analyser la politique mise en pratique par Varoufakis et le gouvernement Tsipras car, pour la première fois au 21e siècle, un gouvernement de gauche radicale a été élu en Europe. Comprendre les failles et tirer les leçons de la manière dont celui-ci a affronté les problèmes qu’il rencontrait sont de la plus haute importance si on veut avoir une chance de ne pas aboutir à un nouveau fiasco.
L’enjeu de la critique de la politique qui a été suivie par le gouvernement grec en 2015 ne consiste pas principalement à déterminer les responsabilités respectives de Tsipras ou de Varoufakis en tant qu’individus. Ce qui est fondamental, c’est de réaliser une analyse de l’orientation politico-économique qui a été mise en pratique afin de déterminer les causes de l’échec, de voir ce qui aurait pu être tenté à la place et d’en tirer des leçons sur ce qu’un gouvernement de gauche radicale peut faire dans un pays de la périphérie de la zone euro.
Dans cette partie, nous nous concentrerons sur les premiers jours du gouvernement Tsipras, durant lesquels Yanis Varoufakis s’est empressé de mettre en œuvre sa stratégie de négociation avec les créanciers européens. Nous verrons que cette stratégie était vouée à l’échec, car Varoufakis se refusait à entrer dans une confrontation avec la BCE, qui, elle, avait décidé d’asphyxier la Grèce dès le 4 février. Les propositions qu’ils faisaient allaient sur des points essentiels comme la dette, à l’encontre du programme de Syriza sans pour autant rencontrer le soutien des dirigeants européens.
Les débuts du nouveau gouvernement Tsipras
Varoufakis raconte qu’au cours des derniers jours de la campagne électorale, Alexis Tsipras a reçu un message envoyé par Jörg Asmussen |2|, un conseiller de la direction du SPD, membre de la grande coalition dirigée par Angela Merkel. Il se proposait pour aider un futur gouvernement Syriza dans les prochaines négociations avec les institutions européennes. Il indiquait qu’il serait possible de prolonger le mémorandum en cours afin de donner au gouvernement le temps de poursuivre la voie des réformes prévues par le mémorandum de la Troïka et d’arriver à un nouvel accord.
Jörg Asmussen recommandait à Tsipras et à son équipe de chercher à collaborer avec Thomas Wieser (social-démocrate autrichien), qui jouait (et joue encore) un rôle clé dans l’Eurogroupe et pourrait constituer un allié du gouvernement grec lors des futures négociations. Le courriel de Jorg Asmussen comprenait une pièce jointe rédigée par Thomas Wieser. Tsipras et Varoufakis ont ainsi appris que, selon Thomas Wieser, la BCE ne comptait pas reverser à la Grèce les profits réalisés sur les titres grecs qu’elle détenait, et ce, en contradiction avec les promesses faites en 2012 |3|. Le montant auquel la Grèce avait droit et qu’elle ne recevrait pas s’élevait à un peu moins de 2 milliards €, ce qui constitue une somme considérable pour un pays de la taille de la Grèce. Cela correspondait à l’estimation du coût total des mesures humanitaires que Syriza avait promis de réaliser (voir l’encadré sur le Programme de Thessalonique). Ils apprenaient également de manière officieuse que la Troïka ne verserait aucune des sommes encore promises dans le cadre du 2e mémorandum qui arrivait à échéance le 28 février 2015. Il s’agissait de versements que le FMI et le FESF étaient censés réaliser avant la fin du 2e mémorandum |4|. L’avertissement était donc très clair : le futur gouvernement dirigé par Syriza serait asphyxié financièrement par la Troïka.
Dans ce document reçu avant les élections, Thomas Wieser présentait comme une occasion à saisir, le fait de prolonger le 2e mémorandum pendant une période à déterminer.
Varoufakis a envoyé une réponse en insistant pour que la somme due à la Grèce sous la forme des bénéfices réalisés par la BCE sur les titres grecs soit bel et bien versée.
Dans le même temps, selon Varoufakis, la perspective de prolonger le mémorandum au-delà du 28 février était une perspective à saisir.
Ensuite les évènements vont très vite. Les élections du 25 janvier sont remportées par Syriza. Le gouvernement Syriza – ANEL se met en place le 27 janvier.
Varoufakis ne prend pas la peine de décrire la composition du gouvernement. Il se concentre sur quelques points qui le concernent directement, Varoufakis indique qu’il a eu une première difficulté avec Alexis Tsipras. Varoufakis souhaitait que ses alliés, Euclide Tsakalotos |5| et George Stathakis |6|, soient désignés aux deux postes ministériels directement reliés au ministère des Finances. Or Tsipras avait décidé de désigner à l’un de ces deux postes Panagiotis Lafazanis, dirigeant de la plateforme de gauche au sein de Syriza, partisan de la suspension unilatérale du remboursement de la dette et favorable à la préparation de la sortie de l’euro. Varoufakis écrit : « Lafazanis à la tête du ministère du Redressement productif. C’était une catastrophe ». Il poursuit : « Avec Lafazanis à la tête d’un ministère aussi important et Euclide – qui approuvait notre pacte – hors du gouvernement, ma stratégie de négociation était carrément mise à mal. » |7|. Selon Varoufakis, Tsipras a refusé de déboulonner Lafazanis en avançant l’argument suivant : « J’ai besoin de Lafazanis au gouvernement, à la tête d’un ministère économique, pour éviter qu’il nous emmerde de l’extérieur. Si je lui retire son poste alors qu’on prête serment demain, il sera encore plus remonté contre moi. La Plateforme de gauche sera vent debout contre nous. » |8|
Pour rappel, par la suite, Lafazanis s’est opposé à la capitulation de juillet 2015, a démissionné comme ministre, en tant que député a voté contre le 3e mémorandum, a quitté Syriza avec une vingtaine de députés et de nombreux militants pour constituer Unité populaire, une nouvelle organisation politique.
Finalement, Varoufakis a convaincu Tsipras de proposer à Tsakalotos le poste de vice-ministre des Affaires étrangères chargé des questions économiques, de manière à ce qu’il puisse participer aux négociations avec les créanciers et à tous les déplacements à Bruxelles.
Il met en évidence ce qu’il appelle le cabinet de guerre (il semble que ce soit le terme qui était utilisé aussi par Tsipras et ceux qui en faisaient partie), c’est-à-dire le cercle des ministres et des responsables directement relié à la stratégie de Tsipras. Voici ce que dit Varoufakis, de ce cabinet de guerre : « Lorsque ses membres se trouvaient en Grèce plutôt qu’à Bruxelles ou ailleurs, le cabinet de guerre se réunissait tous les jours. En faisaient partie Alexis Tsipras, le vice-Premier ministre Dragasakis, l’alter ego d’Alexis, Nikos Pappas, moi-même, Euclide Tsakalotos et Spyros Sagias, le secrétaire de cabinet. Se joignaient souvent à nous Chouliarakis, président du Conseil des économistes, et Gabriel Sakellaridis, le porte-parole du gouvernement » |9|.
Les premiers jours de Varoufakis comme ministre
Varoufakis explique que dans les trois premiers jours de ses fonctions comme ministre, il s’est attelé à organiser la direction de son ministère, mettre au travail son équipe de collaborateurs, estimer les liquidités dont le gouvernement disposait pour le paiement de la dette et le fonctionnement de l’État (paiement des retraites et des salaires des fonctionnaires publics…). La réponse qu’on lui a fournie sur cette dernière question : entre 11 jours et 5 semaines.
Varoufakis explique également que son ministère avait été largement affaibli par la Troïka : trois services qui lui étaient reliés échappaient en partie au pouvoir du ministre : l’organisme qui était chargé de la recapitalisation des banques privées (le FHSF), l’organisme chargé de la privatisation (le TAIPED) et l’administration des recettes fiscales qui avait à sa tête une directrice provenant du privé.
Il ajoute qu’il s’est rendu compte le 30 janvier que Dragasakis et Tsipras avaient pris la décision d’affaiblir un peu plus son ministère en lui retirant toute compétence concernant les banques. Alors qu’il affirme dans son livre qu’il avait obtenu l’accord de Tsipras-Pappas et Dragasakis pour proposer aux créanciers européens de prendre possession des banques grecques |10|, il accepte d’abandonner ce projet dès le début de ses fonctions. Voici comment il relate cet épisode : « Le dernier sujet de notre réunion nocturne était les banques grecques. Je leur ai demandé des idées pour préparer la confrontation qui aurait lieu le jour où je soumettrais ma proposition pour les « européaniser » en les rattachant à l’UE. Quand soudain Wassily [Kafouros] |11| m’a interrompu.
– Les carottes sont cuites, Yánis, dit-il en me tendant un arrêté arrivé dans la soirée.
Il venait du bureau du vice-Premier ministre et était dûment cacheté par le secrétariat du cabinet. L’arrêté stipulait que la juridiction de tout ce qui concernait les banques avait été déplacée du ministère des Finances au bureau du vice-Premier ministre.
– Ne me dis pas que je ne t’avais pas prévenu, m’a lancé Wassily. Dragasakis prend ses copains banquiers sous son aile pour les protéger des mecs comme toi.
Il avait sans doute raison, hélas, mais je n’avais pas le choix, sinon d’accorder le bénéfice du doute à Dragasakis. » |12|
Comme je l’ai souligné très clairement dans la première partie de cette série, cette proposition de transfert des banques aux créanciers européens était inacceptable du point de vue des intérêts du peuple grec. Mais il est frappant de constater que Varoufakis, qui avait fait de cette question une des six conditions sine qua non pour accepter de devenir ministre des Finances, y a renoncé dès les premiers jours de son ministère.
C’est le début précoce d’une longue suite de renonciations de la part de Varoufakis.
Varoufakis explique qu’avec ses collaborateurs, il a planché sur plusieurs projets très concrets. Certains sont tout à fait intéressants : la possibilité de mettre en place un système parallèle de paiement en cas d’affrontement avec les créanciers, la remise en cause d’une décision du gouvernement antérieur de développer les jeux de hasard pour augmenter les recettes publiques, certains dispositifs pour lutter contre la grande fraude fiscale… D’autres projets étaient plus que douteux, voire tout à fait inadmissibles. Il s’agit notamment d’un projet d’amnistie fiscale que Varoufakis présente de la manière suivante : « Je devais également annoncer que dans les quinze jours à venir, le site du ministère des Finances ouvrirait un portail sur lequel tout citoyen pourrait officiellement enregistrer des revenus jamais déclarés jusqu’ici pour les années 2010-2014. Seuls 15 % de ces sommes seraient requises à titre d’arriérés fiscaux, payables par carte de crédit ou sur Internet. En échange, le payeur aurait un reçu électronique qui lui garantirait l’immunité contre toute poursuite pour fraude antérieure » |13|
Ou bien cette autre initiative plus que douteuse : « débusquer les centaines de milliers d’opérations de petites fraudes et infliger un traitement de choc à la société grecque pour corriger ses mœurs » |14|.
L’image radicale de Varoufakis
Le 30 janvier, à Athènes, la conférence de presse qui a suivi la première rencontre de Varoufakis avec Jeroen Dijsselbloem, le ministre socialiste hollandais qui présidait l’Eurogroupe à l’époque, a largement contribué à donner une image très radicale de Varoufakis dans l’opinion grecque et étrangère. Toutes les télévisions du monde ont montré l’affrontement visuel entre Varoufakis et Dijsselbloem. Varoufakis rebelle face à Dijsselbloem arrogant et manifestement grossier dans son rapport à un ministre auquel il rendait visite.
Les médias dominants ont attaqué Varoufakis, mais le comportement des représentants de la Troïka est tellement celui de dignitaires étrangers se comportant comme en terrain conquis et incapables de supporter des signes de résistance que Varoufakis est apparu comme le symbole d’un gouvernement anticonformiste qui résiste à l’injustice des puissants. |15|
Varoufakis et le programme de gouvernement de Syriza
Le programme de Thessalonique, présenté en septembre 2014, promettait de mettre fin au second mémorandum et de le remplacer par un plan de reconstruction nationale, d’obtenir un effacement de la plus grande partie de la dette publique, de rompre avec l’austérité, de rendre au peuple grec la jouissance d’une série de droits sociaux, de rétablir largement les salaires et les retraites dans l’état préexistant au mémorandum de 2010, de mettre fin aux privatisations, de prendre le contrôle des banques, de créer une banque publique de développement, de réduire les dettes des ménages à bas revenus à l’égard de l’État et des banques privées, de créer 300 000 emplois, de faire revivre la démocratie (voir l’Encadré : Extraits du programme de Thessalonique ).
Varoufakis était opposé à ce programme et le déclare haut et fort dans son livre. Se rapportant à septembre 2014, il écrit : « Alexis avait présenté les grandes lignes de la politique économique de Syriza dans un discours à Thessalonique. Surpris, je me suis procuré le texte et je l’ai lu. Une vague de nausée et d’indignation m’a submergé. Je me suis tout de suite mis au boulot. Moins d’une demi-heure plus tard, j’avais un article que le Premier ministre Samaras utiliserait pour fustiger Syriza devant le Parlement : « Même Varoufakis, votre gourou économique, estime que vos promesses sont bidon. » Et elles l’étaient. (...) Le programme était tellement bancal que je n’ai même pas pris la peine de le critiquer point par point. » |16|
Il affirme avoir accepté le poste de ministre à la condition de pouvoir mettre en œuvre six mesures économiques prioritaires. Pour rappel |17|, voici ses six priorités : « La restructuration de la dette vient en premier lieu (sans réduction du stock de la dette alors que le programme de Thessalonique affirme qu’il faut un effacement de la plus grande partie de la dette publique, NDLR). Deuxièmement, excédent primaire ne dépassant pas 1,5 % du revenu national et pas de nouvelles mesures d’austérité. Troisièmement, réductions d’ampleur des impôts des sociétés. Quatrièmement, privatisations stratégiques avec conditions préservant les droits du travail et relance des investissements. Cinquièmement, création d’une banque de développement qui utiliserait les actifs publics restant comme caution pour générer de l’investissement de l’intérieur, et dont les dividendes seraient canalisés dans les fonds de pension publics. Sixièmement, politique de transfert des actions et de la gestion des banques à l’UE (…). » |18|
Parmi ces six priorités, seules la deuxième et la cinquième coïncident avec le programme de Thessalonique. Or ces deux priorités ont été abandonnées dès l’accord du 20 février 2015 (voir plus loin).
Extraits du programme de Thessalonique
présenté par Alexis Tsipras en septembre 2014 (13 septembre 2014) |19|
« […] Nous demandons un mandat fort, soutenu par une large majorité parlementaire et un encore plus large consensus social, pour mener une négociation qui protège au mieux les intérêts de notre peuple en Europe.
Nous demandons le recours immédiat au verdict populaire et un mandat de négociation qui vise à l’effacement de la plus grande partie de la dette nominale pour assurer sa viabilité |20|.
Ce qui a été fait pour l’Allemagne en 1953 |21| doit se faire pour la Grèce en 2014. Nous revendiquons :
–* Une “clause de croissance” pour le remboursement de la dette.
–* Un moratoire – suspension des paiements – afin de préserver la croissance.
–* L’indépendance des programmes d’investissements publics vis-à-vis des limitations qu’impose le pacte de stabilité et de croissance. |22|
(…)
Nous déclarons aussi, haut et fort, que nous revendiquons toujours le remboursement du prêt imposé à la Grèce par les forces d’occupation nazies |23|.
[…]
Nous nous engageons, face au peuple grec, à remplacer dès les premiers jours du nouveau gouvernement – et indépendamment des résultats attendus de notre négociation – le mémorandum par un Plan national de reconstruction |24|, rigoureusement élaboré, et chiffré avec précision.
Le Plan national de reconstruction se constitue d’un ensemble de mesures pour le redressement économique et social, regroupées autour de quatre grands axes :
–* Mesures pour remédier à la crise humanitaire. |25|
–* Mesures prioritaires pour la relance de l’économie.
–* Plan national de lutte contre le chômage et d’amélioration de la situation du marché du travail.
–* Rétablissement institutionnel et démocratique du système politique.
A. Mesures pour remédier à la crise humanitaire
Notre programme d’un coût approximatif de 2 milliards d’euros, se constitue d’un ensemble d’interventions d’urgence servant de bouclier de protection pour les couches sociales les plus vulnérables.
Il inclut :
–* Emploi de l’énergie électrique à titre gratuit pour 300 000 familles qui se trouvent en dessous du seuil de pauvreté (3 600 kWh par an).2 |26|
–* Programme de subventions alimentaires (coupons repas pour 300 000 familles).2 |27|
(…).
–* Soins médicaux gratuits pour tous. |28|
(…)
–* Projet pour l’accès au logement.
Le projet prévoit la réhabilitation des anciens logements et hôtels abandonnés, afin d’assurer dans une première phase une disponibilité de 25 000 nouveaux logements avec des loyers subventionnés |29|.
–* Mesures en faveur des petites retraites |30|.
Nous nous sommes déjà engagés pour le relèvement progressif des petites retraites. Nous nous engageons aujourd’hui, de surcroît et afin de renforcer la demande, à rétablir la prime du treizième mois pour les 1 262 920 retraités dont la pension ne dépasse pas les 700 €. Et cette mesure sera étendue – progressivement et en fonction de la conjoncture économique – à tous les retraités et à tous les salariés.
–* Réduction des prix des transports publics.
(…)
B. Mesures pour relancer l’économie
Le deuxième axe réunit les mesures de relance de l’économie, mesures dont la priorité est l’arrêt de la politique d’imposition actuellement menée malgré ses conséquences néfastes pour l’économie réelle3 |31|, la mise en place d’une nouvelle seisachtheia |32|, et le renforcement de la liquidité et de la demande.
Car la situation de l’économie réelle est aujourd’hui vraiment désastreuse.
Le raid fiscal opéré par le gouvernement sur la classe moyenne et la surimposition de ceux qui ne fraudent pas accablent la plus grande partie de la population, qui voit constamment menacés sa vie professionnelle, les bribes de son patrimoine, et même sa propre existence. De cette angoisse insupportable témoigne le nombre record de suicides. Les classes laborieuses, les agriculteurs |33|, les salariés, les petits et moyens entrepreneurs, le corps de l’économie réelle, en somme, doit affronter actuellement une tourmente d’impôts qui dépasse leurs forces de résistance. Et sous peu, c’est une nouvelle tourmente qu’ils vont devoir affronter. Celle des saisies de leurs propriétés privées par les banques, puisqu’ils rencontrent des difficultés à rembourser les emprunts qu’ils avaient contractés par le passé, avant la crise, avant leur chômage, avant la mutilation de leurs revenus, avant la fermeture de leurs entreprises.
L’obstination du gouvernement à accabler de charges supplémentaires ceux qui sont déjà à terre ne peut mener qu’à une impasse, tout simplement parce qu’on ne peut rien recevoir de quelqu’un qui n’a rien à donner. “Qui n’a rien, ne peut rien donner.” Pour constater l’aberration de leur politique, il suffit de regarder le montant des créances attestées et non perçues par l’État : il est à ce jour d’environ 68 milliards d’euros |34|.
Et chaque mois qui passe, ce chiffre augmente d’un milliard d’euros.
(…)
La réalisation d’un processus de régularisation qui entraîne pour tout redevable l’arrêt immédiat des poursuites pénales et des saisies des comptes bancaires, de la résidence principale, des salaires, etc., ainsi que l’octroi d’une attestation de régularité fiscale.
(…)
Avec ces mesures, nous n’aspirons pas uniquement à soulager les gens qui souffrent et qui forment l’épine dorsale de l’économie, mais aussi relancer l’économie réelle en la libérant de la répression étouffante des taxes et des majorations imposées, totalement improductives car non percevables.
Le bénéfice immédiat estimé par la régularisation des dettes et le début des paiements des acomptes nous permettra de financer des actions nécessaires pour l’allègement et la répartition équitable des charges.
D’ailleurs dans le cadre des mesures visant à relancer l’économie nous annonçons aujourd’hui l’abrogation immédiate de la nouvelle taxe foncière.
2. Abrogation immédiate de la nouvelle taxe foncière (Enfia)
Car elle est le symbole de l’injustice sociale qui caractérise l’ensemble de la politique économique du gouvernement Samaras.
(…)
L’Enfia, par conséquent, ne peut pas être corrigée, elle ne peut pas être améliorée – elle ne peut être qu’abrogée |35|.
À sa place :
–* Nous établirons une taxe socialement juste sur la grande propriété (FMAP) et nous ne taxerons personne sur des valeurs fictives.
–* Les valeurs des biens retenues pour la base d’imposition seront réajustées immédiatement de 30 % à 35 %.
–* Son taux sera progressif et le seuil d’exonération élevé.
–* La résidence principale sera exemptée, à l’exception des propriétés de grand luxe ostentatoire.
(…)
3. Restauration du seuil de non-imposition à 12 000 €/an |36|
(…)
4. Nous institutionnalisons une “nouvelle Seisachtheia” (libération des dettes)
Elle s’appliquera aux créances douteuses (non performing loans, c’est-à-dire des dettes en défaut de paiement depuis trois mois ou plus), aussi appelées “rouges”, car leur effacement partiel est un préalable indispensable tant à l’assainissement des portefeuilles bancaires qu’à la restauration de la liquidité monétaire et au soutien de la croissance et de la relance de l’économie.
La “nouvelle seisachtheia” s’appliquera au cas par cas et consistera à l’effacement partiel des dettes des personnes qui se trouvent sous le seuil de la pauvreté. |37|
(…)
5. Création d’un organisme public chargé de la gestion de la dette privée.
(…)
Bien évidemment, il s’agit tout d’abord d’empêcher l’utilisation de la dette privée comme moyen de confisquer la propriété des citoyens, et comme moyen de contrôler le secteur privé de l’économie.
Au cours des prochains jours, Syriza va déposer au Parlement un amendement législatif pour une prolongation indéfinie de la suspension de la vente aux enchères des résidences principales dont la valeur est inférieure à 300 000 €. Nous déposerons également une proposition d’interdiction législative de vente ou de cession des titres à des institutions bancaires non reconnues ou à des entreprises de gestion de contrats de prêts et de garanties.
En deux mots, nous ne permettrons pas aux vautours des distress funds internationaux de spéculer en confisquant les maisons des citoyens |38|.
Chers amis et amies,
Je l’ai dit l’année dernière, ici, à cette tribune, je le répète encore une fois cette année : la clé pour la relance de l’économie est le système financier.
Avec Syriza au gouvernement, le secteur public reprend le contrôle du Fonds hellénique de stabilité financière (FHSF – en anglais HFSF) et exerce tous ses droits sur les banques recapitalisées |39|. Cela signifie que le secteur public décide de leur administration.
En même temps, nous mettons en place des opérations ciblées afin d’assurer la liquidité dans l’économie réelle. Parmi ces opérations figure la mise en place d’une banque de développement et de banques spécifiques.
6. Mise en place d’une banque de développement et de banques spécifiques
Pour nous, la nouvelle architecture du système bancaire comprendra, outre les banques recapitalisées systémiques, de nouvelles banques coopératives spécifiques et une banque publique de développement.
C’est pourquoi, nous allons créer une banque de développement |40|, et des banques à mission spécifique, pour le financement des PME et des agriculteurs. Pour soutenir la liquidité nécessaire au développement d’équipes professionnelles dynamiques qui à leur tour donneront de l’énergie et une nouvelle impulsion à la croissance et au redressement productif.
7. Restauration du salaire minimum à 751 €
Nous augmenterons le salaire minimum à 751 € pour tous les travailleurs, indépendamment de toute condition d’âge. |41|
Notre modèle économétrique confirme les conclusions du modèle de l’Institut du travail de la GSEE (Confédération générale des travailleurs grecs) : la restauration du salaire minimum non seulement n’aggrave pas, par son coût, la croissance mais elle lui est même bénéfique.
(…)
Chers amis,
Le troisième axe de notre Plan national de redressement que nous vous présentons aujourd’hui s’inscrit dans la perspective de notre grand objectif national, celui de rétablir le plein-emploi dans notre pays, de redonner de l’espoir et des perspectives d’avenir à nos jeunes qui émigrent massivement alors que leur force vive est nécessaire pour reconstruire notre pays.
C. Plan de reprise de l’emploi
1. Restauration du droit du travail
Les droits des travailleurs supprimés par les lois issues des mémorandums seront immédiatement rétablis, en même temps que le salaire minimum. Les conventions collectives seront rétablies ainsi que le principe de la prorogation des avantages acquis en vertu d’une ancienne convention collective ou accord. |42|
(…)
Les réformes concernant les licenciements collectifs et abusifs, les contrats précaires de “location des employés” seront abrogées.
2. Plan de création de 300 000 nouveaux emplois dans les secteurs publics et privés et dans ceux de l’économie sociale. |43|
(…)
3. Les catégories des bénéficiaires de l’allocation chômage seront élargies
(…)
D. Interventions pour la reconstruction institutionnelle et démocratique de l’État (…) Progressivement, nous augmentons les ressources des collectivités régionales pour renforcer leur participation active au redressement productif du pays. Ainsi, elles pourront bénéficier non seulement de prêts à faible taux d’intérêt, mais aussi de l’émission par la future banque de développement des obligations destinées au financement de leurs interventions. |44|
b) Nous renforcerons les institutions de la démocratie représentative et introduirons de nouvelles applications institutionnelles de la démocratie directe dans le fonctionnement du système politique, telles que l’initiative législative populaire, le veto populaire, le référendum d’initiative citoyenne.
Nous renforcerons le rôle du Parlement dans sa fonction législative et sa fonction de contrôle de l’exécutif, |45| nous délimiterons sévèrement l’immunité parlementaire et nous supprimerons le statut particulier des ministres en matière de responsabilité pénale qui institutionnalise une “déviation vicieuse des principes d’une société démocratique”.
c) Nous redéfinissons la charte de fonctionnement de l’ensemble des moyens de diffusion de l’information grecs, en redessinant le paysage audiovisuel conformément aux exigences légales et avec une surveillance accrue sur leur transparence. Nous renforçons les médias régionaux. Nous créons une vraie télévision publique, démocratique, pluraliste et de haute qualité en reconstituant
l’ERT à partir de zéro. |46|
Chers amis,
Nous, nous ne promettons pas. Nous nous engageons. […] Nous, nous avons déjà élaboré un plan d’action étalé sur six mois contre cette gangrène, qui prévoit :
Tout d’abord, l’intensification et l’accélération des contrôles des transactions intragroupe, des “listes Lagarde”, de Liechtenstein, des transferts de fonds, des sociétés offshore et de l’immobilier à l’étranger. À cet effet, on met en place un service spécial composé d’experts et muni du support technologique approprié après la longue, déplorable et énigmatique inaction du gouvernement actuel. |47|
Les estimations des recettes provenant de la répression de la fraude fiscale et de la contrebande, ont parfois été très ambitieuses. Nous, avec modération, nous estimons que notre plan d’action apportera aux caisses de l’État, la première année, au moins trois milliards d’euros.
En ce qui concerne le coût du capital de départ du secteur public, du vecteur intermédiaire et de banques spécialisées – estimé à 3 milliards d’euros –, il sera financé par le soutien de 11 milliards d’euros prévu pour les banques par le mécanisme de stabilité. |48|
[…] »
Les propositions faites par Varoufakis à la Troïka
Contrairement à l’image caricaturale présentée par les médias dominants et par les gouvernements des pays créanciers, Varoufakis, comme négociateur principal, a fait des propositions très modérées à la Troïka, propositions qui étaient très clairement en retrait par rapport au programme de Thessalonique, certaines d’entre elles étaient clairement en contradiction avec le programme. Il a assuré à ses interlocuteurs que le gouvernement grec ne demandait pas une réduction du stock de la dette. Il proposait que les créances détenues par la Troïka sous différentes formes soient transformées en créances de plus longue durée permettant au gouvernement de réduire la part du budget consacrée au remboursement annuel. Il n’a pas remis en question la légitimité ou la légalité des créances réclamées à la Grèce. Ce qui est très grave.
Il n’a pas mis en avant le droit et la volonté du gouvernement grec de réaliser un audit des dettes de la Grèce. Dans son livre, il n’y a pas un mot sur la commission d’audit mise en place par la présidente du parlement grec. Pas un seul mot. S’il n’en parle pas, ce n’est pas que cette initiative soit passée inaperçue en Grèce, au contraire elle a fait beaucoup de bruit. Il a choisi de faire le silence complet sur cette importante initiative car cela ne rentrait pas du tout dans sa vision de la négociation.
Il a proposé à la Troïka d’aménager une partie du mémorandum en cours en le prolongeant et en adaptant certaines des mesures prévues. Il a affirmé de manière répétée que 70 % des mesures prévues par le mémorandum étaient acceptables. Il a ajouté que certaines mesures qui devaient encore être appliquées étaient positives mais que 30 % du mémorandum devaient être remplacées par d’autres mesures ayant un effet neutre sur le budget, c’est-à-dire que les mesures nouvelles et notamment celles qui seraient mises en œuvre pour faire face à la crise humanitaire, n’augmenteraient pas le déficit prévu par le gouvernement Samaras, car elles seraient contrebalancées par des revenus supplémentaires ou par des réductions de dépenses dans certains domaines.
Varoufakis a affirmé que le gouvernement qu’il représentait ne reviendrait pas sur les privatisations qui avaient été réalisées depuis 2010 et qu’en plus certaines privatisations supplémentaires étaient tout à fait envisageables du moment que le prix de vente soit suffisamment élevé et que les acquéreurs respectent les droits des travailleurs.
Varoufakis a également affirmé que le salut de la Grèce était conditionné par son maintien dans la zone euro.
Il s’est bien gardé de mettre en avant, face à ses interlocuteurs, la partie du programme de Syriza qui impliquait que l’État grec prenne le contrôle des banques privées grecques alors qu’il en était l’actionnaire principal.
Une des dimensions véritablement radicales dans le discours de Varoufakis, c’est qu’à plusieurs reprises au début de son mandat il a affirmé que la Troïka n’avait pas de légitimité démocratique et que le gouvernement ne collaborerait pas avec elle. Mais en lisant son livre, on se rend compte très vite qu’en pratique, il a accepté le maintien de la Troïka. Celle-ci n’a disparu qu’au niveau du discours officiel. La seule concession que la Troïka a faite a consisté à accepter qu’on fasse semblant qu’elle n’existait plus. En réalité, elle a continué à fonctionner et ce de manière implacable et palpable. Varoufakis montre qu’elle était présente à tous les moments clés de la négociation et des prises de décision. Elle n’a jamais cessé d’exister ou d’agir.
Varoufakis décrit bien à quel point la dette constituait un fardeau insupportable. Il écrit que, quelques jours avant les élections, il avait calculé le montant qu’il était prévu de rembourser au cours de l’année 2015. Je le cite : « J’ai découvert que pour la seule année 2015, l’État grec aurait besoin de 42,4 milliards d’euros pour « rouler » sa dette, soit 24 % du revenu national. Même en admettant que la troïka débourse ce que stipulait le second renflouement, il nous manquerait 12 milliards. Pour la Grèce, privée de la possibilité d’emprunter à des investisseurs privés, avec des caisses vides et une population exsangue, payer ses dettes se résumait à une chose : piller ce qui restait dans les réserves des fonds de pension, des municipalités, des hôpitaux et des établissements publics tout en mendiant à la troïka des emprunts colossaux, puis s’engager à pressuriser les retraités, les municipalités, les hôpitaux et les établissements publics encore un peu, tout ça pour rendre ses sous à la troïka. Seule une lobotomie aurait pu me persuader que cette solution était dans l’intérêt de notre peuple. » |49| Plus loin, il revient sur le sujet à l’occasion de sa première rencontre avec le président de l’Eurogroupe le 30 janvier à Athènes : « les remboursements prévus pour la seule année 2015 représentent 45 % de la totalité des impôts que le gouvernement espère percevoir ». |50|
Le problème, c’est qu’en s’engageant le 20 février à poursuivre le remboursement intégral de la dette selon le calendrier prévu jusqu’au 30 juin 2015, il a accepté une situation pire que l’enfer décrit plus haut puisque les créanciers ne se sont pas engagés à réaliser le moindre versement. Or il fallait rembourser 7 milliards d’euros d’ici la fin juin 2015. Cette somme de 7 milliards est à comparer avec le coût estimé de l’ensemble des mesures humanitaires promises dans le programme de Thessalonique qui s’élevait à 2 milliards pour l’ensemble de l’année 2015. En réalité, à cause du paiement de la dette, selon mon estimation personnelle, le gouvernement de Tsipras n’a pas dépensé plus de 200 millions d’euros en matière de réponse à la crise humanitaire entre février et juin 2015, ce qui était tout à fait insuffisant. Cela indique très clairement, qu’en acceptant de poursuivre les remboursements sans avoir la garantie de recevoir de l’argent frais de la part des créanciers, la situation ne pouvait être que pire. Cela impliquait aussi que le deuxième mémorandum devrait être suivi par un troisième mémorandum afin que les créanciers accordent de nouveaux prêts qui serviraient à rembourser les anciens.
Varoufakis a beau affirmer qu’une autre issue était possible, celle-ci était tout à fait chimérique car basée sur le fait que les créanciers pourraient être convaincus, par la simple discussion, de permettre à la Grèce de mettre fin aux aspects les plus antisociaux des politiques d’austérité, de la libérer du carcan du mémorandum et de lui permettre de réduire fortement les montants à rembourser au cours de l’année 2015 (sans toucher au stock total). Cela ne tenait pas debout.
La stratégie de négociation adoptée par Varoufakis
La réunion du 30 janvier entre Varoufakis et le président de l’Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem, indiquait très clairement que celui-ci refusait de prendre en compte le mandat donné par le peuple grec au gouvernement de Tsipras. Il refusait de remplacer le mémorandum par un nouvel accord, il refusait même de modifier ce mémorandum. Il indiquait clairement que la Banque centrale européenne pourrait empêcher les banques grecques d’avoir accès normalement aux liquidités.
Afin de tenter de modifier la situation et de trouver des appuis, Varoufakis décide d’aller à la rencontre des dirigeants français et italiens (les deux gouvernements étaient « socialistes » et censés soutenir le gouvernement grec dans sa volonté de desserrer l’étau de l’austérité imposée par la Commission européenne), des dirigeants britanniques qui menaient à ce moment-là une politique de relance économique au prix d’un déficit fiscal grandissant. Ensuite, il se rendrait à Francfort pour rencontrer la direction de la BCE afin d’essayer de l’amadouer. Et enfin, il irait à Berlin.
Avant d’entamer son périple, il tient une rencontre avec le trio Tsipras-Pappas et Dragasakis. Il obtient le feu vert pour ne pas demander un effacement de dette aux dirigeants qu’il va rencontrer. Il obtient aussi leur accord pour ne pas invoquer de droit moral à un allègement de dette. Ce faisant, Varoufakis renonçait à un argument fondamental pour convaincre l’opinion publique internationale et mettre en difficulté les créanciers sur un de leurs principaux points faibles.
Varoufakis reconnaît que cet accord passé en secret avec le trio s’opposait à l’orientation officielle de Syriza : « la position de Syriza était très claire : le parti exigeait ni plus ni moins qu’un effacement inconditionnel de la dette. La moitié des membres voulaient toujours une décote unilatérale de la majeure partie de la dette, la plupart n’imaginaient même pas l’idée d’un échange de dettes, or seul un pacte verbal fragile me liait au trio dirigeant. » |51|
En adoptant cette position, Varoufakis allait à la fois à l’encontre du programme sur lequel Syriza avait été porté au gouvernement et à l’encontre des militants de Syriza.
A partir du 1er février 2015, six jours après le début du gouvernement, Varoufakis entame donc son premier tour d’Europe en tant que ministre. Il est accompagné d’Euclide Tsakalotos. Le dimanche 1er février, à Paris, Varoufakis a un agenda marathon : une réunion officielle avec Michel Sapin, ministre français des Finances, une autre avec Emmanuel Macron, ministre français de l’Économie, ainsi que quatre réunions officieuses avec Poul Thomsen, directeur adjoint du FMI chargé du département Europe, Pierre Moscovici, commissaire européen aux affaires économiques et monétaires, Benoît Cœuré, numéro deux de la BCE, et avec le chef du cabinet de François Hollande. Le lundi 2 février, à Londres, Varoufakis est reçu à Downing Street par George Osborne, le Premier ministre conservateur britannique, et ensuite il donne une conférence devant deux cents financiers invités par la Deutsche Bank. Mardi 3 février, Varoufakis, se rend à Rome, pour rencontrer le ministre des Finances italien, Pier Carlo Padoan. Enfin, le mercredi 4 février, il a rendez-vous à Francfort avec Mario Draghi et les membres du Conseil exécutif de la BCE.
Varoufakis présente chaque fois sa proposition concernant un échange de dettes sans effacement ou réduction du volume |52|. Il précise également aux représentants des milieux financiers que le gouvernement payera rubis sur ongle la dette due au secteur privé (environ 15 % de la dette grecque étaient détenus par des investisseurs privés – banquiers grecs ou étrangers, fonds d’investissements, fonds vautours, etc.).
Varoufakis montre l’hypocrisie d’une série de dirigeants qu’il rencontre. Michel Sapin semble remporter la palme de la duplicité : en privé, il se montre favorable à la proposition de Varoufakis, à l’échange de dettes, à un aménagement important du mémorandum, à la solidarité avec le gouvernement grec, par contre lors de la conférence de presse, il adopte une toute autre posture.
En privé : « Michel (Sapin) m’a répondu comme un vrai compagnon d’armes : – La réussite de votre gouvernement sera notre réussite. Il est important que nous changions l’Europe ensemble et que nous remplacions cette rigueur obsessionnelle par un agenda pro-croissance. La Grèce en a besoin. La France en a besoin. L’Europe en a besoin. J’en ai profité pour mettre en avant les points-clés de la Modeste Proposition. La BCE pouvait restructurer une partie de la dette de la zone euro sans décotes et sans demander à l’Allemagne de payer pour les autres ni de garantir la dette publique des pays de la périphérie. (…). Michel m’a écouté attentivement jusqu’au bout avant d’affirmer que c’était la bonne voie pour l’Europe. Nous avions retardé la mise en œuvre de ce type de politiques, affirma-t-il avec conviction. Il fallait qu’on refonde l’Europe main dans la main. Tout juste s’il ne nous a pas proposé de descendre prendre la Bastille en chantant la Marseillaise ! » |53|.
Lors de la conférence de presse, changement de ton. Selon Michel Sapin, le gouvernement grec devait respecter ses obligations vis-à-vis des créanciers, Tsipras devait appliquer les accords signés par les gouvernements antérieurs.
Selon Varoufakis, lors de son contact privé avec le Commissaire Pierre Moscovici, celui-ci s’est comporté comme dans une discussion entre camarades disposés à unir leurs forces pour changer l’Europe |54|. Varoufakis constatera très vite qu’en réalité, Moscovici ne se comporte pas en allié du gouvernement grec.
Varoufakis ne manque pas, tout au long du livre, d’être élogieux à propos d’Emmanuel Macron, alors ministre français de l’Économie.
Le premier contact avec Benoît Cœuré, membre de la direction de la BCE, est tout à fait révélateur. Celui-ci a tout de suite demandé à Varoufakis si le gouvernement grec avait vraiment l’intention d’appliquer une décote sur les titres grecs que l’institution de Francfort détenait. Cette question pressante d’un dirigeant de la BCE montre que la direction de celle-ci craignait au plus haut point que la Grèce réduise la valeur des titres grecs qu’elle détenait. C’était parfaitement faisable et Varoufakis en avait parlé publiquement à plusieurs reprises avant de devenir ministre. Les titres grecs détenus par la BCE étaient toujours sous juridiction grecque car ils dataient des années 2010-2011. La BCE les avait achetés à environ 70 % de leur valeur et se faisait rembourser à 100 %, de même qu’elle faisait payer des taux d’intérêts tout à fait abusifs. Des titres équivalents détenus notamment par les fonds de pension publics grecs avaient subi un haircut de 53 % en mars 2012 tandis que la BCE avait refusé qu’on lui applique cette réduction. Le gouvernement grec aurait donc eu le droit moral et le droit tout court pleinement de son côté s’il avait appliqué une décote. On verra par la suite que, finalement, le gouvernement grec ne passera jamais à l’action sur ce dossier alors qu’il aurait dû le faire et qu’il aurait pu vaincre.
De manière répétée, le FMI a fait des déclarations qui servaient à enfumer le gouvernement grec et l’opinion publiqueAu cours de la réunion entre Poul Thomsen et Varoufakis, le dirigeant du FMI pour l’Europe a expliqué qu’il était favorable à l’annulation de la dette de la Grèce à l’égard des quatorze États de la zone euro qui s’élevait à 53 milliards €. Alors que Varoufakis mettait en avant son projet d’échange de dettes sans effacement, Thomsen a déclaré : « Mais ce n’est pas assez. Il faut tout de suite annuler une partie de votre dette. Pas d’échanges, pas de dates limites. Vous retirez 53 milliards et vous les effacez. » |55| Il faut souligner que, de manière répétée, le FMI a fait des déclarations qui servaient à enfumer le gouvernement grec et l’opinion publique. Dire à Varoufakis qu’il fallait annuler 53 milliards de dettes bilatérales n’engageait en rien le FMI à concéder lui-même une réduction. C’était une diversion, qui a été utilisée à de nombreuses reprises. De toute manière, le FMI, indépendamment de ces déclarations, a toujours exigé de la Grèce la poursuite des réformes néolibérales brutales.
À Londres, devant un parterre de banquiers et de responsables de fonds d’investissement, Varoufakis explique que les créanciers privés n’ont rien à craindre. Il reprend la thèse de la faillite de l’État grec en 2010 (ce qui est faux comme je l’ai montré dans cet article) qui plaît beaucoup aux milieux financiers, car cela leur permet de concentrer l’attention sur la crise des finances publiques. Il explique à la City de Londres : « c’est vrai, notre gouvernement était divisé. Certains étaient en faveur du Grexit et ne voulaient pas négocier avec l’UE ni avec le FMI, convaincus qu’il n’en ressortirait rien. Mais il y avait les autres, nous, entourant le Premier ministre, dont le but était d’obtenir une solution négociée dans la zone euro. Attention, dis-je pour ajouter une note positive, cette division n’affecterait pas les négociations qui seraient menées par ma garde rapprochée. Nos collègues pro-Grexit ne nous barreraient pas la route, ils seraient patients, car nous étions déterminés à leur prouver qu’un accord viable était possible. À partir du moment où les créanciers officiels de la Grèce étaient prêts à signer un accord avantageux pour les deux parties, le monde de la finance n’avait rien à craindre de mes camarades de la Plateforme de gauche qui gouvernaient à mes côtés. » |56| À plusieurs reprises, Varoufakis a fait passer le message selon lequel la majorité du gouvernement adoptait une position tout à fait raisonnable, qui devait être soutenue car elle permettait de neutraliser, tant à l’intérieur du gouvernement que dans Syriza, ce qu’il considérait comme une extrême-gauche irresponsable. Varoufakis est absolument certain qu’il a convaincu son public : « Comme je l’avais fait remarquer aux financiers de la City (…), la gravité de la crise de l’euro se mesurait à ce paradoxe : c’était un gouvernement issu de la gauche radicale qui proposait des solutions libérales classiques pour résoudre cette crise. » |57|
Dans la soirée du 2 février, Varoufakis dîne avec deux de ses importants soutiens internationaux : le conservateur Lord Lamont et l’ex-spécialiste de la thérapie du choc, Jeffrey Sachs. « Au moment du café et des digestifs, je me disais que pour une fois j’avais peut-être réussi à faire passer le message. Financiers de Londres, politiciens Tory, journalistes d’influence, anciens membres du FMI, tous avaient l’air de comprendre mon point de vue. » |58| Il se félicite d’avoir rassuré les marchés car, le lendemain de son voyage à Londres : « Non seulement la bourse avait augmenté de 11,2 %, mais les actions des banques avaient augmenté de plus de 20 % » |59|.
Lors de son passage à Rome où il a rencontré le ministre des Finances italien, celui-ci lui apprend qu’il a réussi à amadouer le gouvernement allemand et notamment Schaüble en faisant adopter une réforme du code du travail malgré les protestations sociales. « Autrement dit, diminuer les droits des salariés, et permettre aux entreprises d’en débaucher certains avec peu ou pas d’indemnités, et d’en embaucher d’autres avec des salaires plus bas et moins de protections sociales. Le jour où Pier Carlo Padoan avait réussi à faire voter la législation voulue au parlement, qui avait coûté cher au gouvernement Renzi, le ministre allemand était devenu beaucoup plus conciliant avec lui.
– Pourquoi est-ce que vous ne tenteriez pas le même genre de tactique ? me dit-il.
– Je vais y réfléchir. Je vous remercie pour le tuyau. » |60|
Finalement, c’est à cela que conduira la stratégie adoptée par Tsipras et Varoufakis. Dans la déclaration du ministre « socialiste » italien, il y a une profonde vérité. La logique suivie par les dirigeants européens consiste effectivement à infliger un recul profond des droits des travailleurs et une baisse des salaires de manière à ce que les produits européens soient plus compétitifs sur le marché mondial face à la Chine et aux autres grands exportateurs de produits manufacturés et de services. Le sort qui est infligé à la Grèce fait partie de cette stratégie et Varoufakis n’a pas voulu comprendre cela et s’y opposer radicalement. L’énorme dette grecque est fondamentalement l’arme utilisée par les créanciers publics pour faire de la Grèce un exemple de ce qu’il en coûte de prétendre résister au rouleau compresseur et, bien sûr, pour imposer aux travailleurs grecs une réduction brutale de leurs droits.
Dès le 4 février 2015, la BCE sort l’artillerie lourde contre le gouvernement grec
Le 4 février à Francfort, Varoufakis est reçu par des dirigeants de la BCE : Mario Draghi, président de l’institution, et trois membres du directoire – le Français Benoît Cœuré, l’Allemande Sabine Lautenschläger et le Belge Peter Praet. Varoufakis est toujours accompagné d’Euclide Tsakalotos.
Mario Draghi annonce que le conseil des gouverneurs de l’institution monétaire de la zone euro déciderait probablement dans l’après-midi de couper l’accès des banques grecques aux liquidités que la BCE leur octroie. Comme l’écrit Varoufakis : « Il s’agissait d’un acte d’agression explicite et parfaitement calculé. » |61|.
Cela mérite une explication. La Banque centrale européenne fournit des liquidités aux banques de la zone euro. Pour avoir accès à ces liquidités, les banques (qu’elles soient publiques ou privées) doivent déposer des titres financiers qui constituent une garantie. C’est ce qu’on appelle des collatéraux. Elles peuvent déposer différents types de collatéraux : des titres de dettes publiques, des obligations d’entreprises privées, etc. La Banque centrale européenne peut estimer que les banques d’un pays membre de la zone euro ne présentent pas suffisamment de garanties car elles sont en très mauvaise santé ou parce que les titres qu’elles proposent en garantie ne sont pas d’assez bonne qualité. Dans ce cas, elle leur ferme l’accès au crédit. Cela provoque évidemment un sentiment d’insécurité et les déposants, pour se protéger, retirent de manière plus ou moins rapide leurs dépôts.
Il reste une bouée de sauvetage pour les banques du pays concerné : demander à la banque centrale de leur pays de leur donner accès aux liquidités d’urgence. C’est la seule solution, et elle est coûteuse : la banque centrale du pays n’est autorisée à octroyer des liquidités d’urgence qu’en faisant payer aux banques une prime de risque. De plus, le volume des liquidités d’urgence est limité et il est adapté chaque semaine. Lorsqu’une situation s’est dégradée d’une manière telle qu’un pays doit passer par les liquidités d’urgence pour se financer, la direction de la banque centrale du pays concerné se réunit chaque fin de semaine, le vendredi, et décide du volume de liquidités d’urgence qu’elle octroiera la semaine suivante aux banques sur la base d’une analyse de leur situation. Le volume est fixé en accord avec la Banque centrale européenne, qui a le pouvoir de limiter le volume autorisé. Plus grave : à tout moment, la Banque centrale européenne peut donner l’ordre à la banque centrale du pays d’arrêter d’octroyer les liquidités d’urgence. Dans ce cas, le gouvernement est amené à dire aux banques de fermer leurs portes. C’est ce qui est arrivé fin juin 2015 quand la BCE, afin d’influencer le vote des Grecs lors du référendum convoqué pour le 5 juillet, a décidé de mettre fin aux liquidités d’urgence. Cela a contraint le gouvernement grec à décider le dimanche 28 juin 2015 de ne pas ouvrir les portes des banques grecques le lundi 29 juin.
Revenons au 4 février 2015. La décision de fermer l’accès des banques grecques aux liquidités octroyées par la BCE faisait clairement partie d’une stratégie très agressive et rapide de déstabilisation du gouvernement grec. Cette stratégie avait été engagée avant même que les élections n’aient lieu. En effet, fin décembre 2014, alors que le gouvernement grec convoque des élections anticipées pour le 25 janvier 2015, le directeur de la banque de Grèce, Stournaras, ex-ami de Varoufakis, tient délibérément des propos qui alimentent les inquiétudes des déposants grecs. Stournaras, en coordination avec Samaras, cherche ainsi à influencer le choix des Grecs afin qu’ils votent en faveur du maintien des conservateurs de Nouvelle Démocratie au gouvernement après le 25 janvier. En conséquence de cela, les retraits de dépôts s’accélèrent à un rythme rapide |62|. Samaras mène une campagne sur le thème : « si vous votez pour Syriza, les relations avec Bruxelles vont se dégrader, la BCE va couper les liquidités, le chaos est au coin de la rue ». Malgré ce chantage, les Grecs ont porté Syriza au gouvernement mais Stournaras est resté le directeur de la Banque de Grèce – il est le plénipotentiaire de Draghi en Grèce et des dirigeants européens opposés à Syriza |63|. Le gouvernement de Tsipras aurait dû remplacer le directeur de la Banque de Grèce – il ne l’a pas fait, et l’on verra plus loin que Varoufakis explique que c’est lui-même qui a convaincu Tsipras de laisser Stournaras en place |64|.
Ainsi, la BCE décide le 4 février 2015 d’augmenter immédiatement la pression sur le gouvernement Tsipras en prenant des mesures extrêmes. Il ne s’agit pas d’une pression morale ou d’un chantage, mais d’un acte d’agression en bonne et due forme, comme le souligne Varoufakis dans le passage cité.
En effet les effets d’une telle décision sont immédiats. Premièrement, les banques grecques ont dû payer nettement plus cher l’accès au crédit de la banque centrale et donc leur santé financière s’est dégradée. Deuxièmement, le financement à court terme de l’État grec a été rendu plus difficile. En effet, avec les liquidités octroyées par la banque centrale, les banques grecques achetaient des titres à court terme (c’est-à-dire des titres à moins d’un an) émis par le Trésor public grec, ce qui permettait de financer le budget de l’État grec (vu que celui-ci, en vertu des traités européens et des statuts de la BCE, ne peut pas emprunter directement à la banque centrale). Or, puisque la BCE limitait l’accès aux liquidités pour les banques grecques, celles-ci achetaient moins de titres et exigeaient des rendements plus élevés, augmentant pour l’État le coût de ses emprunts.
Ainsi, en réduisant les liquidités des banques grecques et en rendant le coût de financement plus élevé, la BCE rendait plus difficile la tâche du Trésor grec de se financer auprès des banques grecques |65|. Or, le financement privé extérieur était coupé ou extrêmement difficile à obtenir, d’une part, et d’autre part, comme on l’a vu, la BCE avait fait savoir qu’elle ne reverserait pas les bénéfices qu’elle avait promis de reverser à la Grèce (il s’agissait de 2 milliards d’euros qui auraient dû être versé en 2015). Là aussi, il s’agissait d’une décision purement politique. En effet en 2014, la BCE avait reversé une partie des bénéfices au gouvernement Samaras malgré le fait que celui-ci était en retard dans l’application du 2emémorandum. Avant même que le gouvernement Tsipras ne sorte des urnes, des émissaires de l’Eurogroupe et de la BCE avaient fait savoir que les 2 milliards promis pour 2015 ne seraient pas versés.
Enfin, puisque la banque centrale européenne considère que les titres publics perdent de leur qualité car la situation des banques comme de l’État s’aggrave, elle affirme que la situation se détériore, ce qui augmente les retraits de dépôts bancaires et ce qui rend encore plus difficile l’accès de l’État au financement.
Ajoutons une preuve supplémentaire du caractère politique agressif de la décision de la BCE de couper les liquidités normales aux banques grecques. Comme indiqué plus haut, la BCE peut estimer que les banques d’un pays sont tellement en mauvais état qu’il convient de ne plus leur prêter de l’argent sous la forme de liquidités et qu’il faut mettre en place un plan de sauvetage, par exemple en injectant des capitaux (ce qui a été fait via les différents mémorandums). Le problème pour la BCE, c’est qu’en juin 2014, toutes les banques grecques avaient réussi le test auquel l’autorité européenne de régulation et la BCE les avaient soumis. Il est clair que le bulletin de santé des banques grecques avait été volontairement surévalué par la BCE afin de venir en aide au gouvernement de Samaras qui venait de perdre les élections européennes face à Syriza. Ce qui est certain, c’est que la santé des banques était très mauvaise, que ce soit en 2009, en 2014 ou en 2015. Mais il est tout aussi clair que la BCE n’a feint de s’en apercevoir que quelques jours après la mise en place du gouvernement de Tsipras. Il s’agissait de toute évidence d’un choix purement politique.
Le 4 février au matin, comment répond Varoufakis à l’annonce de la fermeture probable de l’accès aux liquidités normales qu’il présente dans son livre comme un acte d’agression parfaitement prémédité ? Il adopte un ton de grande modération. C’est surréaliste.
Voici ce qu’il dit : « J’ai répondu que je respectais profondément le combat qu’il livrait pour défendre l’euro, tout en suivant la charte et les règles de sa banque. C’était un exercice d’équilibre délicat, qui avait permis aux politiciens européens de se reprendre et de réagir à la crise avec clairvoyance, en surmontant les contraintes impossibles de la BCE. (...) – Malheureusement, dis-je, les politiciens n’ont pas su profiter du temps que vous leur avez offert, c’est bien ça ? (...) Vous avez accompli un travail impressionnant pour préserver à la fois la cohésion de la zone euro et la place de la Grèce au sein de cette zone, surtout l’été 2012. Si je suis ici aujourd’hui, c’est pour vous demander de continuer dans le même sens pendant quelques mois encore, afin que nous, politiciens, ayons un temps et un espace monétaire suffisants pour signer un accord viable entre la Grèce et l’Eurogroupe. » |66|
Pas un mot sur l’attitude brutale de la BCE depuis 2010. Rien sur les profits scandaleux réalisés par la BCE suite au rachat des titres grecs entre 2010 et 2012. Au contraire, Varoufakis félicite la direction de la BCE pour son travail impressionnant. Il poursuit en proposant son plan d’échange de titres qui permet d’éviter de réduire la valeur des titres grecs détenus par la BCE.
Draghi refuse cette proposition et ne se laisse pas amadouer par le discours de Varoufakis. Il lui reproche d’avoir évoqué, à plusieurs reprises, la possibilité d’une décote unilatérale des titres grecs détenus par la BCE (on a expliqué de quoi il retournait au début de cette partie). Varoufakis lui répond : « – Non seulement je n’imposerai pas de décote unilatérale à ces obligations, mais ça ne me viendrait même pas à l’idée – si vous ne fermez pas nos banques. » |67|
Comment Draghi pouvait-il interpréter cela ? Logiquement, il pouvait se dire la chose suivante : « je viens d’annoncer à Varoufakis que cet après-midi, on va retirer l’accès aux liquidités normales et celui-ci ne me menace pas d’une réaction. Il essaye de me convaincre de ne pas prendre cette mesure et me propose de prolonger la durée du mémorandum en cours afin de mettre au point un accord sur un échange de dettes et un aménagement du mémorandum. Je lui ai répondu que je n’en voulais pas. Et quand je lui dis que c’est regrettable qu’il ait déclaré à certaines occasions que la Grèce pourrait appliquer une décote unilatérale sur les titres grecs que je détiens (et desquels mon institution retire des profits très élevés), il me répond qu’il n’imagine en aucun cas appliquer une telle décote sauf si je fermais carrément les banques grecques. Conclusion : cet après-midi on peut prendre la décision de fermer l’accès des banques grecques aux liquidités normales sans risque d’une réaction forte du gouvernement grec. En prenant cette décision, je renforce la pression sur le gouvernement, je commence à l’asphyxier et j’augmente mes chances de l’acculer afin de le contraindre à faire des concessions. »
On peut également ajouter la critique suivante concernant la proposition de Varoufakis à la BCE. Alors qu’il a lui-même dénoncé à maintes reprises, avant de devenir ministre des Finances, le caractère inacceptable, abusif et pour tout dire scandaleux de l’opération de la BCE sur les titres grecs achetés pendant la période 2010-2012, il propose à Draghi une opération de « blanchiment ». On remplace ces titres anciens (qui sont pour le moins douteux) par de nouveaux titres qui portent la même valeur (mais à taux d’intérêt plus faible). Il faut bien se rendre compte qu’en faisant cela, Varoufakis rend l’application d’un plan B quasiment impossible (qui incluait sa proposition de décote unilatérale) : en cas d’échec des négociations, il serait ensuite compliqué d’expliquer aux journalistes et à l’opinion publique que le gouvernement grec a le droit d’appliquer une décote unilatérale. En effet, si la Grèce était prête à échanger les titres de sa dette détenus par la BCE contre des titres d’une même valeur, pourquoi trouve-t-elle juste ensuite d’y appliquer une décote ? Il faut une cohérence dans l’argumentation si l’on veut convaincre. Il fallait, en tant que gouvernement, dire haut et fort la vérité sur le scandale que représentaient les titres grecs achetés entre 2010 et 2012. Cette cohérence manquait dans le raisonnement de Varoufakis.
De plus, il est très clair que cette proposition de Varoufakis n’avait strictement aucune chance d’aboutir parce qu’elle aurait constitué un précédent inacceptable pour les tenants de l’austérité. Le problème n’est pas technique : la proposition de Varoufakis ne posait pas de véritable problème technique. L’obstacle était et est encore politique : les dirigeants européens sont totalement opposés à l’idée de permettre aux États européens (qu’ils soient dans la zone euro ou non) de mutualiser leurs dettes car cela enlèverait une arme de pression pour poursuivre l’offensive néolibérale. La proposition de Varoufakis allait totalement à contre-courant de la logique des traités européens les plus récents. Elle n’avait aucune chance d’aboutir et il ne fallait pas fonder la stratégie de la négociation sur cette chimère.
Il fallait avancer la demande contenue dans le programme de Thessalonique : l’effacement de la plus grande partie de la dette en expliquant qu’elle était illégitime, odieuse, illégale et insoutenable. Bien sûr, les dirigeants européens ne pouvaient pas accepter cette demande mais le gouvernement grec pouvait développer une campagne internationale d’explication afin d’obtenir un large soutien dans l’opinion publique. Il pouvait lancer un processus d’audit et déclarer un moratoire le temps que l’audit soit terminé.
Il était fondamental de ne pas mettre le doigt dans l’engrenage des remboursements. Il fallait utiliser le droit international qui permet à un État de déclarer un moratoire des paiements vu l’état de nécessité dans lequel il se trouve |68|. L’existence d’une crise humanitaire constituait la preuve incontestable de l’état de nécessité. Il fallait développer le raisonnement suivant : « Nous lançons un audit (à participation citoyenne) car il s’agit d’analyser pourquoi on en est arrivé à un tel niveau d’endettement – l’opinion publique nationale et internationale doivent savoir. Nous ne préjugeons pas des résultats de l’audit mais il est normal que, pendant sa réalisation, les paiements soient gelés. Donc nous suspendons les remboursements durant la réalisation de l’audit, sauf en ce qui concerne la dette à court terme. Nous avons été élus pour remplacer le mémorandum par un nouveau plan de reconstruction. Donnons du temps à la négociation et, pendant que celle-ci se déroule, souffrez que nous suspendions les paiements prévus sur la dette à long terme. » S’il lançait l’audit, le gouvernement grec pour renforcer sa position face à la Troïka aurait dû dire « J’applique le paragraphe 9 de l’article 7 du règlement 472 adopté par le parlement européen le 21 mai 2013 |69| enjoignant aux Etats membres de l’UE soumis à un plan d’ajustement structurel de réaliser un audit intégral de leur dette afin d’expliquer pourquoi la dette a atteint un niveau insoutenable et afin de déceler des irrégularités éventuelles ».
La suspension de paiement devait être décrétée de manière urgente, par exemple le 12 février 2015. En effet, entre le 12 février et le 30 juin 2015, la Grèce devait rembourser 5 milliards € au FMI (voir tableau).
Échéances des titres détenus par le FMI
747 695 915 € Prêt lié au premier plan de sauvetage du FMI pour la Grèce, en 2010
6 mars 2015 299 084 589 € Prêt lié au premier plan de sauvetage du FMI pour la Grèce, en 2010
13 mars 2015 336 470 163 € Prêt lié au premier plan de sauvetage du FMI pour la Grèce, en 2010
16 mars 2015 560 783 604 € Prêt lié au premier plan de sauvetage du FMI pour la Grèce, en 2010
20 mars 2015 336 470 163 € Prêt lié au premier plan de sauvetage du FMI pour la Grèce, en 2010
9 avril 2015 448 626 883 € Prêt lié au premier plan de sauvetage du FMI pour la Grèce, en 2010
12 mai 2015 747 695 915 €Prêt lié au premier plan de sauvetage du FMI pour la Grèce, en 2010
30 juin 2015 1 532 808 519 €Prêt lié au premier plan de sauvetage du FMI pour la Grèce, en 2010
Si l’on prend en compte les autres versements à réaliser en 2015 au FMI, il faut ajouter 3 milliards € supplémentaires. Quant à la BCE, elle réclamait le remboursement de plus de 6,5 milliards € à réaliser en juillet – août 2015.
Échéances des titres détenus par la BCE et la BEI (Banque Européenne D’Investissement)
20 juillet 2015 : 2 095 880 000 €Titres détenus par la BCE non inclus dans le défaut de paiement de 20123,70 %
20 juillet 2015 : 1 360 500 000 €Titres détenus par la BCE non inclus dans le défaut de paiement de 20123,70 %
20 juillet 2015 : 25 000 000 €Titres détenus par la BEI non inclus dans le défaut de paiement de 20123,70 %
20 août 2015 : 3 020 300 000 €Titres détenus par la BCE non inclus dans le défaut de paiement de 20126,10 %
20 août 2015 : 168 000 000 €Titres détenus par la BCE non inclus dans le défaut de paiement de 2012
Il fallait aussi agir sur les banques. Dans la mesure où la BCE, prenait l’initiative d’aiguiser la crise bancaire grecque, il fallait agir également à ce niveau et appliquer le programme de Thessalonique qui annonçait : « Avec Syriza au gouvernement, le secteur public reprend le contrôle du Fonds hellénique de stabilité financière (FHSF – en anglais HFSF) et exerce tous ses droits sur les banques recapitalisées. Cela signifie qu’il prend les décisions concernant leur administration. » Il faut savoir que l’Etat grec via le Fonds hellénique de stabilité financière était en 2015 l’actionnaire principal des 4 principales banques du pays qui représentaient plus de 85 % de tout le secteur bancaire grec. Le problème, c’est qu’à cause des politiques menées par les gouvernements précédents ses actions n’avaient aucun poids réel dans les décisions des banques car elles ne donnaient pas droit au vote. Il fallait dès lors que le parlement conformément aux engagements de Syriza transforme les actions dites préférentielles (qui ne donnent pas de droit de vote) détenues par les pouvoirs publics en actions ordinaires donnant le droit au vote. Ensuite de manière parfaitement normale et légale, l’Etat aurait pu exercer ses responsabilités et apporter une solution à la crise bancaire.
Enfin il fallait encore prendre deux mesures importantes. Primo, pour faire face à la crise bancaire et financière aiguisée par les déclarations de Stournaras depuis décembre et la décision de la BCE du 4 février, le gouvernement aurait dû décréter un contrôle des mouvements de capitaux afin de mettre fin à leur fuite vers l’étranger. Secundo, il aurait dû mettre en place un système de paiement parallèle. Varoufakis affirme qu’il avait une proposition concrète à ce niveau mais il n’a pas proposé de la mettre en œuvre suite à l’agression de la BCE du 4 février.
Nous reviendrons sur la stratégie alternative à adopter par rapport à la dette et à la crise bancaire plus loin dans la série.
Quant à Varoufakis, dans la soirée du 4 février, après avoir reçu un appel téléphonique de Mario Draghi qui lui confirmait l’arrêt de l’octroi des liquidités normales, il publie un communiqué de presse qui commence de la manière suivante : « La BCE tâche de s’en tenir à ses règles en nous encourageant, nous et nos partenaires, à arriver rapidement à un accord technique et politique, tout en protégeant les liquidités des banques grecques. » |70|. Il caractérise lui-même son communiqué de la manière suivante : « maquiller un choc en non-événement » |71|.
Conclusion :
Varoufakis s’est engagé dans une démarche qui va le conduire avec le cercle étroit de Tsipras à imposer au reste du gouvernement, à Syriza et au peuple grec un accord funeste le 20 février 2015, moins d’un mois après la victoire électorale. Bien sûr, les premiers responsables du contenu destructeur de cet accord sont les membres de la Troïka et nous les avons constamment dénoncés mais Varoufakis-Tsipras auraient pu refuser de signer un accord aussi funeste. Dans le prochain article, nous analyserons le chemin suivi vers la première capitulation devant les créanciers et nous préciserons sur quel chemin alternatif il aurait fallu s’engager de manière ferme.
Remerciements : Je remercie Marie-Laure Coulmin-Koutsaftis, Nathan Legrand et Claude Quémar pour leur relecture attentive et leurs conseils. Je remercie également Pierre Gottiniaux pour la recherche d’illustrations et la réalisation des tableaux.
Eric Toussaint, le 24 janvier 2018
Eric Toussaint est docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international (Comité contre l'abolition des dettes illégitimes) et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France. Auteur de plusieurs ouvrages, il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015 par la présidente du Parlement grec. Cette commission a fonctionné sous les auspices du parlement entre avril et octobre 2015. Suite à sa dissolution annoncée le 12 novembre 2015 par le nouveau président du parlement grec, l’ex-Commission poursuit ses travaux et s’est dotée d’un statut légal d’association sans but lucratif.
Notes
|1| Les trois premiers paragraphe de cette partie sont tirés de l’introduction de l’article précédent : Varoufakis s’est entouré de tenants de l’ordre dominant comme conseillers
|2| Y. Varoufakis, Conversations entre adultes. Dans les coulisses secrètes de l’Europe, Les Liens Qui Libèrent, Paris, 2017, chapitre 5, p. 143.
|3| Pour comprendre de quoi il retourne, lire Éric Toussaint, La BCE se comporte comme un fonds vautour à l’égard de la Grèce
|4| Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 5, p. 144-145. Voir également la note 15 dans laquelle Varoufakis donne plus de détails.
|5| Tsakalotos était considéré comme faisant partie du centre-gauche au sein de Syriza, connu comme le groupe des 53. Comme je l’ai dit dans la partie 3, j’avais fait la connaissance de Tsakalotos au printemps 2014 à Bruxelles et je m’étais tout de suite rendu compte qu’il était opposé à toute attitude radicale sur la question de la dette. Il était clairement opposé à toute idée de Plan B au cas où l’orientation conciliatrice de Syriza à l’égard des créanciers n’aboutirait pas à un résultat en terme de réduction de dettes. La suite a montré clairement que Tsakalotos est devenu complice d’une orientation qui a amené à la capitulation de juillet 2015. Ensuite, il est devenu purement et simplement un politicien de plus à appliquer la poursuite de l’offensive contre les conquêtes sociales.
|6| Stathakis faisait très clairement partie de la droite de Syriza et était un opposant déclaré à la position radicale de Syriza sur la dette, tout comme Varoufakis. Stathakis a été ministre de l’Économie dans le premier gouvernement de Syriza à partir du 27 janvier. Vu son soutien à la capitulation, il a pu continuer sa carrière de ministre et a gardé le même poste dans le gouvernement Tsipras II à partir du 23 septembre 2015.
Varoufakis écrit dans son livre : “Je n’ai jamais éprouvé la moindre animosité vis-à-vis de Stathakis. Sa ligne était claire depuis le début : accepter tout ce que la troïka demandait. » chapitre 14, p. 384.
|7| Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 5, p. 152-153.
|8| Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 5, p. 153.
|9| Y. Varoufakis, op.cit., note 10 du chapitre 6, p. 511
|10| Voir la partie 1 de cette série, Éric Toussaint, “Les propositions de Varoufakis qui menaient à l’échec”
|11| Wassily K. était un ami de Varoufakis qui lui donnait un coup de main au ministère. C’est lui qui un peu plus d’un an auparavant avait averti Varoufakis que Dragasakis était l’ami des banquiers grecs et qu’il fallait s’en méfier.
|12| Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 6, p. 184
|13| Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 6, p. 182
|14| Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 6, p. 181.
|15| Varoufakis relate la scène de la manière suivante : à la fin de la conférence de presse du 30 janvier à Athènes, Jeroen Dijsselbloem “a bondi sur ses pieds pour sortir, furibond, mais j’ai réussi à le bloquer en lui tendant la main. Surpris par mon geste, comme il était obligé de passer devant moi, il l’a serrée maladroitement mais sans s’arrêter. Les photographes ont adoré : la séquence montre un Président d’Eurogroupe malotrus, qui me bouscule avant de me serrer la main comme il se doit. » Il poursuit : « Cette conférence a fait date. Désormais, les rues d’Athènes ne seraient plus les mêmes, en tout cas pour moi. Tous, chauffeurs de taxi, bourgeois propres sur eux, femmes âgées, écoliers, policiers, pères de famille conservateurs, nationalistes, récalcitrants de la gauche de la gauche – une société entière dont la fierté et la dignité avaient été vilipendées par la servilité du gouvernement précédent – m’arrêtaient dans la rue pour me remercier de ces quelques minutes. » Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 6, p. 179
Stathis Kouvelakis, qui était membre à l’époque du comité central de Syriza, décrit le phénomène Varoufakis « il faut dire quelques mots de l’énorme impact du phénomène Varoufakis. C’est quelque chose d’ambigu. Il y a bien entendu de la politique-spectacle dans ce phénomène, et c’est un facteur de dépolitisation de la situation. Mais il n’y a pas que cela : Yanis Varoufakis a été perçu comme porteur d’une différence véritable, irréductible à son look… Et celui-ci a paru aller de pair avec l’affirmation d’une véritable dissension politique. Le phénomène Varoufakis n’aurait certainement pas pris s’il n’avait, lors d’une de ses premières apparitions institutionnelles et en présence du président de l’Eurogroup Jeroen Dijsellbloem, affirmé en substance : « Allez vous faire foutre, on ne veut plus de la Troïka ! ». Il est apparu comme une brèche dans le système, avec des aspects bien entendu très superficiels mais aussi l’expression d’une demande de sortir du cadre politique actuel, qui a pu trouver en lui provisoirement son signifiant. » Stathis Kouvélakis, La Grèce, Syriza et l’Europe néolibérale
Entretiens avec Alexis Cukier, La Dispute, Paris, 2015
|16| Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 4, p. 98
|17| J’ai commenté ces six mesures dans la première partie de cette série, « Les propositions de Varoufakis qui menaient à l’échec »
|18| Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 4, p. 112
|19| Les parties en gras sont dues au choix d’Éric Toussaint
|20| Varoufakis n’était pas pour avancer cette demande et il a proposé un échange de dettes (en modifiant les dates d’échéances de remboursement et en réduisant le taux) sans réduire la valeur nominale du stock de la dette.
|21| Lors de la Conférence de Londres, le 27 février 1953, la République fédérale allemande obtenait, avec le consentement de vingt et un de ses créanciers (dont les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France, l’Italie, la Suisse, la Belgique, la Grèce, etc.), une réduction de sa dette de 62,6 %. Voir : Eric Toussaint, « L’annulation de la dette allemande en 1953 versus le traitement réservé au Tiers Monde et à la Grèce ». Malgré la capitulation de Tsipras, aucune réduction de dette n’a été accordée à la Grèce.
|22| Cela impliquait de ne pas comptabiliser ce genre de dépense pour calculer le déficit. C’est en opposition directe aux normes imposées par la Commission européenne.
|23| La présidente du parlement avait institué une Commission mais le gouvernement ne s’est pas saisi des résultats pour en faire un enjeu prioritaire dans ses négociations avec l’Allemagne.
|24| Cet engagement n’a pas été tenu et le gouvernement a accepté le 20 février 2015 de prolonger la durée d’application du mémorandum jusque fin juin 2015.
|25| Les seules mesures réellement adoptées pendant les six mois du premier gouvernement Syriza Anel ont été les 100 versements qui permettaient aux contribuables endettés auprès du Trésor de réguler leur situation et de retrouver une identité fiscale en règle, seule possibilité d’avoir une activité économique. Cette mesure a été affaiblie dès août 2015, par un article spécifique du 3e memorandum.
|26| L’accès gratuit à l’électricité pour les ménages les plus pauvres n’est toujours pas une réalité en Grèce.
|27| Rien n’a été fait en 2015, année occupée par les « négociations avec les créanciers ». Annoncé par Tsipras en décembre 2016, le « Plan Parallèle » a donné lieu à une allocation de solidarité sociale, instaurée fin 2016, attribuée fin 2017 à 280 000 foyers, correspondant à quelques 620 000 personnes.
700 000 personnes vivant dans des conditions d’extrême pauvreté devraient en bénéficier en 2018 à travers tout le pays. Cette allocation mensuelle est conditionnée par la situation fiscale et immobilière de chaque foyer ; elle est accompagnée de diverses prestations comme l’accès aux repas scolaires, aux soins gratuits et aux médicaments, à des structures municipales de soutien social (épicerie sociale etc). 35,6% de la population grecque vit fin 2017 en dessous du seuil de pauvreté.
|28| L’accès gratuit aux soins hospitaliers et pharmaceutiques est une réalité pour les Grecs assurés sociaux ou non sans distinction, ainsi que pour les étrangers et les catégories sociales en difficulté, depuis mai 2016. Cependant la dégradation du système de santé, systématisée dès le premier mémorandum, se poursuit et provoque des pénuries graves de médicaments, des temps d’attente et un encombrement des services dans les hôpitaux, des fermetures en province de services entiers, faute de personnels et de crédits.
|29| Rien n’a été fait dans ce domaine.
|30| Les retraites ont été réaménagées par la loi Katrougalos de 2016, en commençant par les retraites complémentaires, réduites avec pour objectif d’économiser 1% du PIB d’ici 2019. Aucune nouvelle retraite complémentaire n’a été accordée depuis janvier 2015, tandis que cette loi aménage la suppression progressive du complément EKAS aux plus faibles retraites d’ici 2020.
|31| Au contraire, le 3e mémorandum fait empirer la situation fiscale des petites et moyennes entreprises, en exigeant que 50% de la TVA (augmentée à 24 %) sur le chiffre d’affaire attendu l’année suivante soit payé à l’avance (en décembre pour l’année d’après).
|32| « Remise du fardeau » ou annulation de dettes : mesure établie par Solon, à Athènes, au
vie siècle av. J.-C., au profit des couches populaires accablées de dettes. Voir Daphné Kioussis, « Solon et la crise d’endettement dans la cité athénienne »
|33| Les agriculteurs en particulier se sont retrouvés dans le collimateur du 3e mémorandum signé le 13/07/2015 : augmentation des cotisations sociales sur les retraites (de 7 à 20 %) et paiement à l’avance de 50 % de la TVA sur les bénéfices estimés de l’année suivante, suppression de l’exemption de taxes sur le diesel, suppression d’une série de subventions.
|34| A noter qu’entre 2014 et octobre 2017, vu la poursuite par le gouvernement d’Alexis Tsipras des politiques qu’il dénonçaient en 2014, le montant de l’arriéré est passé de 68 milliards à près de 100 milliards €. Depuis janvier 2017, les saisies de biens immobiliers par l’Agence Autonome des Recettes Publiques qui remplace le service des impôts du Ministère des Finances n’épargnent pas les résidences principales.
L’ensemble des dettes aux impôts s’élevait en août 2017 à 95,65 milliards d’euros dont 5,48 milliards pour la seule année 2017, et 3,8 millions de contribuables endettés. Parmi eux 2.4 millions de contribuables, personnes physiques ou morales, ne sont endettées que pour une somme de 1 à 500 euros, qu’ils sont néanmoins incapables de payer, pour une somme totale de 340 millions d’euros.
|35| L’ENFIA n’a pas été supprimé, il a été légèrement modifié selon des critères en rapport avec la situation géographique et la vétusté du bien, pour des sommes variant entre 400 et 13 000 euros par an.
|36| Le seuil de non-imposition a été fixé après de multiples négociations à 8.600 pour une personne seule, à 9000 euros annuels pour un couple avec deux enfants à charge. La situation va se dégrader car, sous la pression de la Troïka, le gouvernement s’est engagé en juin 2017 à rabaisser le seuil à 5.700 euros et 6130 euros respectivement à partir du 01/01/2019. D’autre part, pour les travailleurs indépendants, les revenus sont imposés dès le premier euro.
|37| Il s’agissait donc d’annuler des dettes dues aux banques par des personnes privées vivant en dessous du seuil de pauvreté.
|38| Cette promesse n’a pas été tenue. Voir Eric Toussaint, « Les « fonds vautours » prospèrent sur la misère en spéculant sur l’endettement des particuliers ». Voir Constantin Kaïmakis, « Grèce : Le mouvement « Je ne paie pas » », Non seulement cette promesse n’a pas été tenue mais la loi qui protégeait les résidences principales contre les mises aux enchères (moyennant un recours juridique onéreux) ne sera plus accessible à partir du 1er janvier 2019. Pire, pour contrer l’opposition citoyenne très active, les enchères se font désormais par voie électronique et les opposants sont passibles de peines de prison allant de trois à six mois.
Enfin, les emprunts en rouge d’Eurobank ont été cédés en juillet 2017 à un fonds suédois Intrum Justitia AB (Intrum) à 3 % de leur valeur, pour une somme de 1,5 milliards d’euros.
http://www.iskra.gr/αίσχος-η....
|39| Varoufakis était opposé à cette mesure, puisqu’il était favorable au transfert des banques grecques vers les créanciers européens. De son côté, le gouvernement Tsipras n’a pris aucune mesure pour que l’État grec exerce tous ses droits sur les banques recapitalisées. De plus, il a laissé le Fonds hellénique de stabilité financière aux mains des alliés des banquiers privés et des dirigeants européens.
|40| Cette banque n’a pas été créée. Varoufakis qui en avait fait une de ses six priorités a accepté que dans l’accord de février 2015 avec l’Eurogroupe ne figure pas la création de cette banque publique de développement. Y. Varoufakis, Conversations entre adultes. Dans les coulisses secrètes de l’Europe, Les Liens Qui Libèrent, Paris, 2017, Chap. 10, p. 285-286
|41| Cela n’a pas été réalisé. Baissé à l’occasion du 2e mémorandum à 586 euros, et 510 euros pour les moins de 25 ans, le salaire de base a été augmenté à partir du 1er janvier 2017 à 684 euros sans distinction d’âge mais il n’a pas été ramené au niveau de 2010-2011, à savoir 751 euros.
|42| Les atteintes au droit du travail se sont succédées depuis 2015 sous la pression des créanciers, à l’occasion de chaque « évaluation » précédant les versements. La loi votée en mai 2017 facilite les licenciements collectifs, en supprimant l’autorisation administrative et le droit de veto du ministre du Travail pour les licenciements, sur la base de la situation sur le marché du travail, la situation de l’entreprise, les intérêts de l’économie nationale. Le droit du travail s’est encore dégradé en janvier 2018 avec l’adoption d’une loi qui réduit objectivement le droit de grève. Enfin, même l’ouverture des commerces le dimanche est maintenue, malgré les protestations répétées d’une majorité de commerçants et de leurs employés.
|43| Cet engagement n’a pas été tenu.
|44| Cela n’a pas été réalisé puisque la banque de développement n’a pas été créée.
|45| Cela n’a été que partiellement réalisé pendant les six premiers mois du gouvernement Tsipras malgré les efforts de la présidente du Parlement. En cause, les pressions exercées par les créanciers et la volonté de Tsipras de mener une diplomatie secrète et de faire des concessions aux créanciers.
|46| Cela a été réalisé par le gouvernement Tsipras en juin 2015 mais en mettant à la tête de l’institution publique un personnage douteux comme le reconnaît Varoufakis. Cette nomination a provoqué de fortes protestions et une grande déception dans les rangs de la gauche.
|47| Cela n’a pas été réalisé.
|48| Varoufakis explique dans son livre qu’il a accepté la décision des créanciers de ne pas mettre ces 11 milliards à la disposition du gouvernement grec et de rapatrier cette somme vers le FESF organisme privé créé par la Troïka et basé à Luxembourg. Il considère que c’est une bataille perdue que de chercher à obtenir ces 11 milliards. Voir Varoufakis, Conversations entre adultes. Dans les coulisses secrètes de l’Europe, Les Liens Qui Libèrent, Paris, 2017, Chap. 9, p. 274 et note 14 du chap 9 page 514.
|49| Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 5, p. 148
|50| Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 5, p. 175
|51| Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 5, p. 186
|52| La proposition principale de Varoufakis en matière de restructuration de la dette s’inscrit, comme il l’indique lui-même, dans la continuité du texte intitulé : « Modeste Proposition pour résoudre la crise de la zone euro ». La réalisation de cette proposition qui consistait à mutualiser les dettes publiques de la zone euro aurait impliqué une décision commune des gouvernements de la zone afin de soulager les finances publiques et d’abandonner des politiques d’austérité.
|53| Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 5, p. 196.
|54| Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 5, p. 191-192.
|55| Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 5, p. 193.
|56| Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 5, p. 202.
|57| Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 5, p. 205-206.
|58| Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 5, p. 204.
|59| Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 5, p. 206.
|60| Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 5, p. 207.
|61| Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 5, p. 208.
|62| Varoufakis écrit : « Depuis le 15 décembre, Stournaras n’avait de cesse d’accélérer la panique bancaire que le Premier ministre, Samaras, avait provoquée : les déposants avaient retiré 9,3 milliards d’euros des banques ; le taux de retrait avait atteint 1 milliard d’euros par jour. Le jour des élections, 11 milliards auraient disparu à l’étranger ou sous le matelas des uns et des autres. Pour compenser ces pertes, les banques avaient dû augmenter leur dépendance à la BCE de plus de 60 milliards. » Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 5, p. 146.
|63| Varoufakis résume le sens des paroles que Stournaras a prononcées le 26 février lors de l’assemblée annuelle des actionnaires de la Banque centrale à Athènes : “Le discours de Stournaras était exactement celui que Samaras aurait tenu s’il nous avait battus le 25 janvier : hymne à la politique du gouvernement précédent, reprise du mensonge pré-électoral suivant lequel la Grèce était en cours de redressement, soumission totale à l’agenda de la troïka, le tout couronné par des menaces à peines voilées contre nous ». Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 10, p. 293. Il écrit également “Quant à Stournaras, c’était l’émissaire de la troïka à plus d’un titre." p. 294-295.
|64| Déjà en 2014, Varoufakis avait affirmé qu’il ne serait pas nécessaire de remplacer Stournaras si Syriza arrivait au gouvernement. Varoufakis raconte un dialogue qui a eu lieu en juin 2014 au cours d’une réunion avec Tsipras, Pappas, Dragasakis, Tsakalotos et Stathakis :
« – Pensez-vous que ce soit un hasard que le Premier ministre ait transféré Stournaras des Finances à la tête de la Banque centrale ? je leur ai demandé. C’est évidemment une nomination étudiée au cas où vous emportez les élections. À ce point-là, Alexis était déchaîné.
– La première chose que je ferai en tant que Premier ministre, lança-t-il, ça sera d’exiger sa démission. Je le virerai à coups de pieds au cul s’il le faut. Pappas, lui, avait des solutions encore plus radicales. De mon côté, je leur ai dit qu’on se fichait de savoir qui gouvernerait la Banque centrale » Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 3, p. 95.
Une deuxième citation de Varoufakis montre qu’il a conseillé à Tsipras de ne pas déboulonner Stournaras :
« Alexis n’arrêtait pas de me dire qu’une de ses priorités serait de lui retirer ce poste. Le pire, c’est que je lui conseillais d’être prudent et diplomate parce qu’il ne pouvait pas débaucher le gouverneur de la Banque centrale sans affronter le Comité exécutif de la BCE. Comme je contenais la fureur d’Alexis contre Stournaras, la direction de Syriza en avait conclu que j’étais très bien disposé vis-à-vis de l’enfant chéri de la troïka à Athènes. » Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 10, p. 301.
|65| Les banques privées reçoivent des liquidités avec lesquelles elles achètent des titres publics pour faire des profits. Ensuite elles déposent ces titres comme collatéraux à la banque centrale afin d’obtenir des liquidités (du crédit) qu’elles utilisent pour acheter d’autres titres publics (en effet les banques grecques octroient de moins en moins de crédit au secteur privé et la part des non performing loansaugmente dans leur portefeuille de crédit atteignant un taux de 45 % en 2015. Donc elles prêtent proportionnellement de plus en plus à l’État car c’est quand même plus sûr que de prêter au secteur privé). Si la banque centrale limite l’accès aux liquidités, les banques achètent moins de titres et elles exigent un meilleur rendement ce qui augmente pour l’État le coût de ses emprunts.
|66| Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 7, p. 208-209.
|67| Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 7, p. 210.
|68| À propos de l’état de nécessité inscrit dans la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités, voir Cécile Lamarque et Renaud Vivien, « Quelques fondements juridiques pour suspendre le paiement des dettes publiques »
|69| Règlement (UE) n° 472/2013 du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2013 relatif au renforcement de la surveillance économique et budgétaire des États membres de la zone euro connaissant ou risquant de connaître de sérieuses difficultés du point de vue de leur stabilité financière.
|70| Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 7, p. 216.
|71| Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 7, p. 215.
Lire les autres articles de la série :
1 - Les propositions de Varoufakis qui menaient à l’échec
3 - Comment Tsipras, avec le concours de Varoufakis, a tourné le dos au programme de Syriza
4 - Varoufakis s’est entouré de tenants de l’ordre dominant comme conseillers
6 - Varoufakis-Tsipras vers l’accord funeste avec l’Eurogroupe du 20 février 2015