A propos du "Manifeste contre la normalisation gay" de Alain Naze
Depuis quelques années, la question LGBT s’est frayée un chemin sur le devant de la scène. Les associations LGBT se sont fortement mobilisées pour le mariage homosexuel. Pourtant, si cette reconnaissance obtenue via une revendication d’égalité peut sembler un progrès incontestable, elle n’en est pas moins porteuse d’une réduction de la socialité gay à une norme hétérosexuelle qui ne peut que l’appauvrir.
Le titre et l’introduction de ce manifeste circonscrivent clairement la problématique de l’auteur : Il s’agit ici d’avoir un autre regard sur les critères et étapes du phénomène de la « Normalisation Gay » en occident et dans d’autres pays du monde (coming out, PACS, Mariage pour tous) ainsi que sur l’impact du rayonnement des mouvements LGBT dans certains pays orientaux en voie de développement.
L’auteur traite du processus de ‘reconnaissance’ du genre et de l’identité gay par la voie du « droit », que ce soit en occident ou à l’international, afin d’en questionner l’ambivalence, les paradoxes et l’éventuelle pérennité de l’hétéronormalité qui en constitue les fondements.
En préambule, l’auteur recadre son opposition face à cette « normalisation gay » comme une proposition d’alternatives de type d’évolution sociale à celle-ci, et non comme une polémique homophobe (ou un déni des modalités de ghettoïsation subtilement installées dans les mégapoles depuis les années 90).
Il contextualise ce mouvement de « normalisation de la communauté gay occidentale » en relevant le fait que ce processus de « normalisation » s’est construit en référence à des formats et valeurs d’une hétéronormalité qui, plus que jamais, fait référence en termes de normes et de droits.
Ainsi le fait de se marier entre individu de même sexe (et la nature éventuellement prescriptive de ce droit) est considéré comme une liberté « octroyée » par le pouvoir (type de « liberté » condamné par Pasolini parce qu’elle épouse les formes mêmes du pouvoir) et comme le dit Alain Naze « …du pouvoir consumériste… » (aurait précisé Pasolini) … ou « du pouvoir normatif… » (aurait dit Foucault).
L’auteur ancre ainsi son argumentation en faisant référence à des auteurs témoins de cette « normalisation » des années 60 à nos jours (Pasolini, Hocquengheim, Foucault).
C’est l’acceptation passive de cette « normalisation », de ce rapport pervers et ambivalent d’homogénéisation face au pouvoir hétéronormé de nos sociétés contemporaines que ce manifeste remet en cause.
Cette atmosphère de tolérance contemporaine avec ses airs de fausseté rappelle les mots de Pier Paolo : « … Dans la tolérance on définit les différences, on analyse et isole les anomalies, on crée les ghettos. Je préfèrerai être condamné injustement que toléré (P61/extrait de l’interview avec Natalia Aspesi cité par Nico Naldini « Pier Paolo Pasolini. P367/368).
Puis Guy Hocquengheim : « La rupture avec les amours interclassistes…. se veut…. la condition du salut homosexuel ».
Nous citerons l’auteur Alain Naze :
(P 70)
« … ce n’est pas la suppression d’un interdit qui fait la liberté en tant que telle, et cela pose déjà la question de la traduction en termes juridiques de la logique d’une émancipation sexuelle : l’interdit de se marier entre personnes du même sexe constitue-t-il une barrière à abattre nécessairement pour gagner en liberté ? »
(P71)
« …si l’on place sur deux plans distincts la logique des désirs et celle des interdits juridiques, on peut penser que la première se déploie indépendamment de la seconde. Et toutes les lois sur l’égalité entre les citoyens ne changent rien au fait que le désir se déploie sur un plan tout autre que juridique et contractuel, sur un plan toujours susceptible de réintroduire des éléments essentiellement a-démocratiques… »
« … c’est donc négativement que le droit peut participer à une émancipation sexuelle, notamment en cessant d’interdire certaines pratiques – mais la liberté ne deviendra effective que dans les formes prises par ces pratiques, et que la loi, par définition, ne peut pas anticiper… »
(P72)
En envisageant que « la possibilité pour les homosexuels de vivre en couple marié comme une forme de progrès, en termes de liberté… on tend à conférer à la loi un rôle normatif, à lui faire dessiner un nouvel horizon possible pour les homosexuels…
Or ce que ce nouvel horizon charrie dans ses soutes, c’est bien un modèle de relations sexuelles envisagées à partir du couple ; par conséquent considérer qu’il constitue un progrès réel en termes de liberté pour les homosexuels, c’est ne pas apercevoir la réduction normative et hétérocentrée qui s’opère à travers ce nouveau droit… »
En ce qui concerne l’homologation LGTB des vies gay, Alain Naze rejoint Pasolini sur l’apparent paradoxe de la nécessité de transparence de la vie privée, au même titre que la vie publique, alors que faire toute la lumière sur ses préférences sexuelles dans nos sociétés est plutôt susceptible de contraindre nos libertés.
Cette citation de Pasolini nous donne l’occasion d’aborder la problématique d’aliénation de cette « normalisation » gay à l’échelle du globe, notamment avec l’exemple du Maghreb et de l’Inde. Je ne m’étendrai pas sur la perception de l’auteur à propos de l’instrumentalisation de la galaxie LGBT dans le monde au service d’un nouvel impérialisme occidental notamment par « la propagation de la dualité sexuelle homo/hétéro comme condition d’une libération des opprimés », car le travail ‘historique’ des LGBT peut avoir des effets positifs inattendus sur l’évolution des mentalités, surtout dans des pays émergents ou la volonté de normalisation sociale d’homosexuels des classe moyenne et supérieures peuvent impacter positivement sur l’acceptation d’identité sexuelles différentes.
Je rejoins quand même Alain Naze sur ces propos par les connaissances et expériences de la vie des homosexuels indiens en secteur urbain ces dix dernières années qui (dans la majeure partie, de la classe moyenne et pauvre) fuient comme la peste toute accointance avec les organisations LGBT locales.
Le déni, l’ignorance ou l’incompétence de ces organismes à tenir compte des différences culturelles structurant ces sociétés est extrêmement dangereux pour ces populations vulnérables. Sans parler du modèle ethnocentriste disséminé dans ces pays.
Ces cultures s’organisent souvent sur un rapport de dualité public-privé ; mettre en avant des comportements de la sphère du privé dans celle du public, sur une scène ou les préjugés et les croyances religieuses règnent en maître, est perçu comme une déclaration de guerre délibérée face aux normes hétérocentrées véhiculées par ces préjugés et croyances. Celles-ci, qui sont bien plus figées que certains de leurs représentants tentent vainement de nous le faire croire, mettent clairement en danger ceux qui seraient tentés de les revendiquer. Ce n’est sans doute pas l’objection principale, si l’on considère qu’il est utile de lutter pour revendiquer de nouveaux droits. Plus dangereux, cependant, est la réduction de pratiques sexuelles et affectives qui se calquent sur le moule des amours hétérosexuelles monogames, seules à revendiquer une transparence in fine totalitaire. A l’instar de l’auteur, et dans la lignée d’un Pasolini, nous préférerions la liberté de choisir les chemins de traverse et leur clair-obscur.
Karmand de Visme
Manifeste contre la normalisation gay, de Alain Naze, paru en septembre 2017 aux éditions La Fabrique.