Fusillade raciste à Macerata : en Italie, l'influence des néo-nazis de Casa Pound

Samedi dernier, un militant néo-fasciste a ouvert le feu à Macerata (Italie centrale), blessant six personnes originaires d'Afrique. A un mois des élections législatives italiennes, cet épisode sanglant illustre la montée de l'extrême droite dans le pays, symbolisée par la Ligue du Nord, Forza Nueva et dernièrement Casa Pound.

C'est une expédition punitive qui aurait pu faire de nombreux morts et qui secoue l'Italie, à un mois des élections générales. Samedi 3 février, au matin, un homme de 28 ans, connu pour appartenir à la mouvance néofasciste, a pris le volant de son Alfa Romeo 147, armé d'un pistolet semi-automatique Glock 9x21. Dans sa course folle à travers les rues de Macerata, une ville de 43 000 habitants située sur les rives de l'Adriatique, il a tiré une vingtaine de coups de feu, blessant six personnes, cinq hommes et une femme originaires du Mali, du Ghana et du Nigéria. Parmi ses victimes, quatre ont été grièvement blessés et l'un est en situation d'urgence absolue. Des locaux du parti démocrate ont aussi été visés.

L'auteur des tirs, qui a vidé deux chargeurs, a été rapidement identifié. Luca Traini, qui avait endossé une écharpe tricolore, a hurlé "Viva Italia" et effectué le salut fasciste devant le monument aux morts de la commune, lors de son interpellation par la police en tout début d'après-midi. Selon certaines sources, il était secondé par un deuxième homme qui lui n'a pas été arrêté.

Sur ses motivations, Luca Traini a affirmé avoir voulu venger Pamela Mastropietro, une jeune fille de Macerata, victime d'un fait divers qui a bouleversé toute l'Italie. Le corps de la jeune fille, une esthéticienne de 18 ans échappée d'un centre de réinsertion sociale, avait été retrouvé démembré, trois jours auparavant. Un suspect a été arrêté. Il s'agit d'un dealer, un demandeur d'asile d'origine nigériane. «J'étais en train de me rendre en voiture à mon club de gym quand j'ai entendu à la radio l'histoire de la jeune fille de 18 ans. D'instinct, j'ai fait demi-tour, je suis rentré chez moi, j'ai ouvert le coffre-fort et j'ai pris le pistolet. J'ai décidé de tous les tuer», a raconté aux enquêteurs le tireur, cité par le journal Il Corriere della Sera.

L'homme, un géomètre de 28 ans, était d'ailleurs connu pour ses fréquentations néofascistes. Crâne rasé, tatouage d'inspiration néo-nazie sur la tempe, cet ancien videur de boîtes de nuit affilié à un stand de tir est aussi un lecteur de Mein Kampf. Son profil illustre la montée de l'extrême droite dans la péninsule italienne. A son domicile, les enquêteurs ont non seulement retrouvé un exemplaire de Mein Kampf, mais aussi un livre sur le dictateur Fasciste Benito Mussolini et des croix celtiques.

skynews-italy-luca-traini-macerata_4222603.jpg

En 2017, Luca Traini avait été candidat aux élections locales, sous l'étiquette de la Ligue du Nord, parti ouvertement xénophobe. Pourtant, Matteo Salvini, le leader de la Ligue du Nord, a minimisé l'événement, en profitant même pour pour déplorer l'invasion "migratoire" de l'Italie. De son côté, Silvio Berlusconi, dont le parti Forza Italia est allié à celui de Matteo Salvini, a dénoncé le "geste d'un déséquilibré", niant toute "connotation politique claire".

La fusillade de Macerata illustre les dangers que fait courir la montée des idées d'extrême droite en Italie. Les faits rappellent ceux qui se sont produits à Florence en décembre 2011, lorsqu'un militant du Casa Pound Italia (CPI) avait fait feu sur un groupe de vendeurs ambulants sénégalais, tuant deux d'entre eux et en blessant trois autres, avant de se donner la mort. Là encore, la presse appartenant à Berlusconi avait dénoncé le geste d'un déséquilibré, niant la dimension politique de l'acte commis par Gianluca Casseri. Casa Pound est en effet le nouveau visage de l'extrême droite italienne, qui se revendique "sociale" et n'hésite pas à s'approprier des figures de la gauche révolutionnaire, comme celle de Ernesto "Che" Guevara, Antoine de Saint-Exupéry ou Bobby Sands, militant irlandais décédé après une longue grève de la faim sous le gouvernement Thatcher.

Tout commence en 2003 par l'occupation d'un immeuble à Rome. Le squat se revendique comme destiné aux Italiens de souche en situation de précarité. Le nom Casa Pound fait référence à l'écrivain américain Ezra Pound qui, dans les années 1940, avait proclamé ouvertement son soutien à la "République sociale" de Mussolini. Casa Pound, dont l'emblème est la croix celtique, a ensuite multiplié les occupations d'immeubles et obtenu le statut d'association d'utilité sociale. Il est aujourd'hui présent dans une dizaine de villes italiennes. Le mouvement s'est impliqué dans diverses situations d'urgence comme le tremblement de terre de l'Aquila en 2009.

Intégré depuis 2006 au sein du parti Movimiento sociale fiamma tricolore -ouvertement fasciste- le Casa Pound est fortement impliqué sur le front culturel, avec des groupes de rock, une troupe de théâtre, une galerie d'art et une salle de cinéma qui s'en réclament ouvertement. Le président de CasaPound, Gianluca Iannone, est d'ailleurs le chanteur du groupe Zetazeroalfa. Depuis 2004, il a aussi obtenu une forte exposition médiatique dans la presse et des émissions de télé populaires. En Italie, le Casa Pound est à l’origine de nombreuses violences à l'égard d'étrangers et de militants de gauche. Ses militants ont aussi investi les locaux romains de la RAI, en novembre 2008, pour protester contre la diffusion d'une vidéo montrant des jeunes du Blocco Studentesco - un syndicat étudiant directement issu du Casa Pound - en train d'agresser des étudiants lors des manifestations d'octobre contre la réforme universitaire.

Mais le Casa Pound joue aussi un rôle important dans la diffusion des idées d'extrême droite hors d'Italie, notamment en France, dans la région lyonnaise, avec la création du Bastion social. Ils sont également proches des Identitaires et de Egalité et réconciliation le site de Alain Soral. Casa Pound s'efforce d'unifier l'extrême droite européenne et diffuse un confusionnisme mêlant revendications sociales et xénophobes, se revendiquant comme un "altermondialisme d'extrême droite" et un "fascisme du troisième millénaire". En Italie, ils ont obtenu une reconnaissance politique, en présentant des candidats sur les listes du PDL (partito della liberta), le parti de Silvio Berlusconi, aux élections municipales de 2011, depuis dissous dans Forza Italia. Si le score des candidats de Casa Pound est encore modeste - ils ont présenté leurs propres listes aux élections générales de 2013 -, la menace est bien là.

Véronique Valentino