Les dangers de la fusion Bayer-Monsanto qui ridiculise le droit de la concurrence européen
Le 12 mars prochain, au plus tôt, la commission européenne annoncera sa décision concernant le rachat de Monsanto par la firme allemande Bayer. Si cette fusion des deux géants de l'agrochimie voyait le jour, le monstre ainsi créé prendrait le contrôle de la totalité de notre système alimentaire. Avec des conséquences redoutables pour l'environnement et la santé, mais aussi pour l'agriculture. Une étude réalisée par l'University college of London montre en outre que cette fusion devrait être déclarée illégale du point de vue du droit de la concurrence de L'Union européenne.
Non au monstre à deux têtes Baysanto ! C'est l'intitulé d'une pétition européenne qui a déjà recueilli plus de 280 000 signatures. Pas de quoi donner des sueurs froides à Bayer, qui a enregistré un bénéfice bénéfice net record pour 2017, en hausse de 62% à 7,34 milliards d'euros pour un chiffre d'affaires stable à 35 milliards d'euros, comme l'annonçait hier le site Internet de Challenges. Sur fond de rachat de Monsanto, leader mondial des semences, la firme allemande a annoncé le 27 février qu'elle verserait des dividendes en hausse à ses actionnaires -c'est le huitième hausse consécutive selon son patron Werner Baumann-, ce qui n'a pas empêché un repli de la valeur des actions. Le titre a reculé de 3,2%, alors que le groupe a dû annoncer que le rachat de Monsanto (dont le coût est estimé à 66 milliards de dollars) que l'opération ne se ferait pas avant le deuxième trimestre 2018, alors qu'elle l'avait annoncé pour fin 2017. Le groupe allemand a d'ailleurs provisionné deux milliards de dollars, qui seraient versés à Monsanto, en cas d'échec de cette méga fusion, entre le numéro un mondial des semences et le numéro deux des pesticides.
Si les opinions publiques sont vent debout, en Allemagne, en France et aux Etats-Unis, il n'en va pas de même des autorités de la concurrence. Aux Etats-Unis, la commission des investissements étrangers a déjà estimé que le rachat de Monsanto par Bayer, qui a reçu la bénédiction de Trump (ce qui n'étonnera personne) n'était pas contraire aux intérêts américains. L'autorité brésilienne de régulation de la concurrence, la Cade, a également approuvé, le 7 février dernier, le mariage des deux géants de l'agrochimie. Reste donc la Commission euroépenne, via sa commissaire à la concurrence, Margrethe Vestager. Les déclarations de Margrethe Verstager n'ont pas suffi à rassurer. "Les semences et les pesticides sont essentiels pour les agriculteurs et, en définitive, pour les consommateurs, avait rappelé la commissaire chargée de la politique de la concurrence, avant de préciser : "Nous devons garantir une concurrence effective, de manière à permettre aux agriculteurs d’avoir accès à des produits innovants de meilleure qualité et à des prix compétitifs".
En août 2017, la Commission européenne a donc ouvert une enquête sur ce rachat, qui aboutirait à une situation de quasi monopole sur un marché déjà très concentré. Mais en octobre, on apprenait la suspension temporaire de cette procédure d'enquête, afin de laisser le temps aux deux sociétés de fournir des informations jugées importantes par Bruxelles. Ce qui a permis de repousser la date butoir fixée pour l'annonce de la décision européenn, qui pourrait ne pas intervenir avant début avril. Pas de quoi rassurer les opposants, qui ont en mémoire deux autres méga-fusions dans l'agrochimie, approuvées par Bruxelles en mars 2017. La Commission avait autorisé la fusion des géants américains Dow et Dupont, qui a donné naissance à un mastodonte pesant 130 milliards de dollars en Bourse. Avant de valider le rachat du suisse Syngenta par le géant chinois ChemChina pour 43 milliards de dollars, la plus grosse acquisition jamais lancée par un groupe chinois à l'étranger.
Les associations de défense de l'environnement ont de leur côté mis en avant une étude, réalisée par des experts de l'University college of London, selon laquelle, au regard du droit européen de la concurrence, la fusion Bayer-Monsanto ne devrait pas être autorisée. Cette recherche menée par Ioannis Lianos, professeur de droit international de la concurrence et politique publique à l’UCL, met en avant plusieurs arguments : l'enracinement des deux géants sur un marché déjà fortement concentré, le risque de voir les prix augmenter pour les agriculteurs, le risque de voir émerger des plateformes proposant des services intégrés tout-en-un, et celui de voir la concurrence et l'innovation paralysés du fait de l'abus de position dominante des kadors de l'agrochimie qui pèse sur toute la chaîne agricole.
Outre ces risques économiques, le nouveau géant constituerait une menace sans précédent pour le climat et la biodiversité. La fusion du numéro un des semences et du numéro deux de l'agrochimie "rendrait les agriculteurs moins capables et moins susceptibles de cultiver leurs terres de manière durable", explique les experts, qui ajoutent que "l'on peut s’attendre à l’augmentation de l’utilisation des intrants agricoles tels que les herbicides et pesticides pétrochimiques".
Pour ce qui est des risques de concentration accrue, les chiffres de l'étude sont éloquents . "Si la fusion Bayer-Monsanto est validée, écrivent les experts, trois méga-multinationales seulement posséderont et vendront près de 64% des pesticides et herbicides, et 60% des semences brevetées au monde". Quant à la puissance conjuguée des deux leaders de l'agro-industrie, l'UCL rappele que "Bayer détient 206 brevets de caractères OGM dans l’UE et Monsanto 119 ; Monsanto étant, d’ores et déjà, en situation de monopole sur le marché américain, avec 96 % des caractères brevetés sur le coton". Pour ce qui est des vertus prêtées au capitalisme pour sa capacité à fournir le marché au meilleur prix, le mythe ne tient pas. Au contraire, "on estime « sans aucun doute » que la fusion aurait pour conséquence une hausse des prix et une entrave significative à la concurrence en matière de prix, de produits et d’innovation. réduction du choix de semences pour les agriculteurs, avec des « effets (négatifs) considérables » sur la viabilité des petites exploitations".
Mais ce qui fait froid dans le dos, c'est le développement de plateformes informatiques destinées au marché lucratif de la « smart agriculture ». L'objectif est de rendre les exploitants agricoles -à ce stade on ne peut plus parler de paysans- technologiquement dépendants de Monsanto qui détiendrait et contrôlerait leurs données, sous prétexte d'optimiser les rendements. "Le but est que les entreprises agricoles abandonnent la simple production d’intrants agricoles pour devenir des plateformes à guichet unique en proposant aux exploitants une formule de services tout compris, tout en les guidant dans toutes les décisions". Le Big brother de l'agriculture n'est pas loin.
Pour les amis de la terre, "l'agriculture industrielle est un cercle vicieux : toujours les mêmes cultures sur des champs à perte de vue, qui nécessitent toujours plus d’engrais et de pesticides". Avec une érosion des sols, dont on a vu, avec les récentes inondations, à quel point elle est une menace aux conséquences désastreuses. Une menace globale sur l'environnement, car, "parallèlement, ajoutent les Amis de la terre, "ce modèle agricole entraîne [non seulement] un phénomène d’érosion des sols mais aussi "une rupture totale de la chaîne alimentaire pour les insectes, les oiseaux et les animaux de petite taille". C'est donc une catastrophe de grande ampleur qui se profile si l'Union européenne devait donner son feu vert à la constitution de ce monstre à deux têtes que serait "Baysanto".
Véronique Valentino
Lire le résumé de l’étude légale sur la fusion Bayer-Monsanto, ici