Pour Amnesty, la question de l'austérité relève des droits humains

Outre les violations graves des droits humains par la quasi totalité des Etats de la planète que Amensty dénonce depuis des années, son dernier rapport annuel pointe un autre danger : l'austérité, qui détruit les droits économiques et sociaux, mais aussi civils et politiques. Amnesty dénonce les responsabilités de ces politiques de réduction des déficits et annonce, si rien n'est fait, une "apocalypse de l'austérité".

"La question de l’austérité relève des droits humains". C'est ce qu'écrit Amnesty international dans l'introduction de son rapport annuel 2017/18, rendu public le 22 février dernier. Page 14, le court chapitre intitulé "Réflexions sur l'austérité", commence par l'exergue suivant : « Je me sens seule, comme si on m’avait abandonnée dans le noir sans rien ni personne à qui demander de l’aide… J’ai peur de ce que cela veut dire pour l’avenir de mes enfants. » – Sarah. Explication : "En décidant de réduire le budget alloué aux services d’assistance juridique en 2012, le gouvernement du Royaume-Uni a privé Sarah de l’aide dont elle avait besoin pour se défendre dans le cadre d’une affaire judiciaire complexe concernant la garde de ses enfants. Elle est l’une des millions de personnes dans le monde affectées par les politiques d’austérité menées par certains gouvernements. L’ampleur même de l’austérité et les statistiques qui s’y rapportent peuvent nous empêcher d’appréhender correctement ses conséquences sur le quotidien des personnes et de leur famille".

Certes, Amnesty défend l'ensemble des droits humains. Mais c'est la première fois qu'elle condamne de façon aussi claire les atteintes aux droits humains résultant des politiques économiques mises en oeuvre par une bonne partie des gouvernements, dans les pays développés comme dans les pays émergents. Le site de l'ONG rappelle que "tous les êtres humains doivent pouvoir jouir des droits fondamentaux inscrits en 1948 dans la Déclaration universelle des droits humains", ceux du pacte des droits civils et politiques, mais aussi du pacte des droits économiques, sociaux et culturels.

Deux pactes, juridiquement contraignants pour les Etats, qui découlent, comme le rappelle Amnesty, des querelles idéologiques de la guerre froide, lorsque les pays occidentaux insistaient sur les droits civils et politiques, quand les pays du bloc soviétique défendaient eux les droits économiques et sociaux. "Ce n’est que lors de la Conférence de l’ONU sur les droits humains, à Vienne en 1993, écrit l'ONG sur son site, "que ce clivage fut finalement surmonté et l’indivisibilité des droits humains rétablie". Avec ce corollaire : «Tous les droits humains sont généralement valables, indivisibles, ils dépendent les uns des autres et forment un tout cohérent.»

C'est ce lien d'interdépendance entre les politiques d'austérité et leurs conséquences, y compris en termes de droits civils et politiques, que rappellent ces "réflexions sur l'austérité". L'austérité, écrit Amnesty, "entraîne également des atteintes aux droits civils et politiques, par exemple lorsque des gouvernements réagissent de manière draconienne à des manifestations ou à d’autres formes de dissidence, ou lorsqu’ils réduisent le budget des services qui permettent d’accéder à la justice, comme l’assistance juridique". "Trop souvent, les autorités dédaignent ces droits [économiques et sociaux] et prennent des décisions dont les conséquences pèsent le plus lourdement sur celles et ceux qui vivent dans la pauvreté, tout en mettant en danger le bien-être de la société dans son ensemble", dénonce l'ONG, pour qui "l’austérité est un problème d’envergure mondiale." Avant de constater qu' "en 2017, de nombreuses mesures d’austérité ont été appliquées dans des pays de toutes les régions du globe, où elles ont en particulier restreint les droits économiques et sociaux de la population". 

Pour ce qui est de l'Europe, Amnesty note qu'au Royaume Uni, 120 000 personnes sont mortes du fait des coupes budgétaires concernant la santé et l'aide sociale. Avant d'annoncer la publication, pour le premier semestre 2018, de "travaux sur l’impact des politiques d’austérité sur la protection et la réalisation des droits socio-économiques dans plusieurs pays", notamment sur le droit à la santé en Espagne. Ces réflexions sur l'austérité citent ainsi une infirmière espagnole, auditionnée par l’organisation : « Nous avons tous souffert des coupes budgétaires : le personnel infirmier, les médecins, les patients, les familles, tout le monde. »

Amnesty ne fait pas que déplorer les coupes budgétaires dans les politiques publiques d'éducation, de santé, d'aide sociale ou même d'aide juridictionnelle. Elle note aussi que celles-ci s'accompagnent de la hausse de diverses taxes, qui frappent de plein fouet les plus pauvres. L'exemple donné est africain, mais il pourrait tout aussi bien s'appliquer à des pays occidentaux : "en Afrique subsaharienne, les budgets alloués aux aides pour les plus démunis et la protection sociale ont été réduits alors que les taxes à la consommation, comme la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), ont augmenté, frappant souvent le plus durement les personnes vivant dans la pauvreté", constate l'ONG. Avant de pointer du doigt la responsabilité du FMI, qui "conseille" à de nombreux Etats la mise en oeuvre de politiques "d'ajustement structurel", alors qu'en 2012, ce dernier avait lui-même admis que ces politiques "pouvaient nuire à la croissance économique nécessaire pour financer les services publics".

"Pour pouvoir bénéficier de prêts du FMI", rappelle Amnesty, "le gouvernement égyptien a augmenté les prix des biens et des services de première nécessité". Et de rappeler cette condamnation par le rapporteur spécial des Nations-Unies sur l'extrême pauvreté et les droits de l'homme du plafonnement des dépenses budgétaire sur 20 ans, adopté par le Brésil en 2016 : « En toute logique, il est quasiment inévitable que la réalisation progressive des droits économiques et sociaux devienne impossible [à l’avenir]. » Dans ce panorama de l'austérité dans toutes les régions u globe, on apprend aussi que même "l’Arabie saoudite et le Qatar, deux pays pourtant riches en ressources naturelles, ont revu leur budget à la baisse en vue de réduire le déficit de l’État, privilégiant l’efficacité économique plutôt que la protection sociale".

Et Amnesty de pointer du doigt le fait que certains experts prévoient rien de moins qu'une "apocalypse de l'austérité". Des politiques dont l'impact est pourtant négatif et pas seulement pour les pauvres, puisque elles nuisent à la croissance. Selon Amnsety, "un rapport prévoit que, dans les trois prochaines années, plus des deux tiers des pays du monde subiront les conséquences de l’austérité", avec "plus de 6 milliards de personnes [qui] seront alors affectées et le produit mondial brut sera amputé de 7 %". L'obligation de garantir l'application des droits humains par les Etats n'empêchent pas l'austérité "en tant que telle", selon Amnesty, mais les gouvrenements devraient au minimum "étudier d'autres solutions" avant de mettre en oeuvre ce type de mesures économiques et sociales. Et conséquence : il incombe aux autorités qui les mettent en oeuvre de "rendre des comptes". Avant d'inviter les détenteurs de droits -et donc nous tous et toutes- d' "exiger de leur gouvernement qu’il réponde à certaines questions clés". Lesquelles renvoient directement aux processus de prise de décision dans nos démocraties représentatives : "dans quelle mesure la situation a-t-elle fait l’objet d’un examen approfondi ? Le processus a-t-il été participatif et transparent ? Quelles conséquences potentielles ont été envisagées, notamment sur les personnes les plus marginalisées sur les plans économique et social, et quelles mesures d’atténuation ont été prises ?"

"Les normes relatives aux droits humains imposent aux États de mettre en place des mesures pour veiller à ce que personne ne passe au travers du filet de protection sociale minimal requis pour garantir à chacun une vie digne", rappelle Amnesty, qui cite le nombre croissant de sans-abri, la multiplication des banques alimentaires et des associations caritatives. Avant de s'en prendre, bille en tête, à l'évasion fiscale et "les pratiques agressives d'optimisation fiscale dans le monde", dont l'ampleur a encore été mise en évidence récemment par les "Paradise papers". "Selon les estimations, accuse Amnesty, "le Brésil perd à lui seul jusqu’à 80 milliards de dollars des États-Unis par an à cause de l’évasion fiscale. L'ONG de défense des droits humains ne se contente d'ailleurs pas de mettre en cause les classiques "paradis fiscaux connus du grand public". Elle dénonce aussi l’Irlande, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, Singapour et la Suisse, entre autres, accusés de "faciliter l’évasion fiscale". Avant de citer ce chiffre vertigineux des 10 000 milliards de dollars, estimation de ce que coûte chaque année l’évasion fiscale à l'échelle mondiale.

Conclusion de Amnesty, qu'on n'avait pas connue si énervée en matière de politiques économiques : "il est nécessaire de réfléchir sur des solutions radicales". Et de suggérer en conclusion, la mise en oeuvre d'un revenu de base, qui garantirait à chacun une somme suffisante d'argent pour vivre", mais aussi d'autres mesures moins dans l'air du temps et notamment que "l’État finance tous les services essentiels plutôt que de laisser cette responsabilité au marché".

Conclusion de Amnesty, qu'on n'avait pas connue si énervée en matière de politiques économiques : "il est nécessaire de réfléchir sur des solutions radicales". Et de suggérer en conclusion, la mise en oeuvre d'un revenu de base, qui garantirait à chacun une somme suffisante d'argent pour vivre", mais aussi d'autres mesures moins dans l'air du temps et notamment que "l’État finance tous les services essentiels plutôt que de laisser cette responsabilité au marché". Des idées que les Etats devraient envisager sérieusement "comme des moyens de remplir leurs obligations en matière de droits humains", préconise l'ONG.

On ignore ce penseront de ces conseils, Macron, Edouard Philippe, et les autres Etats et institutions de l'Union européenne, qui se sont au contraire donné pour mission de privatiser à tout va et de casser les modèles sociaux. Amnesty aura cependant pris la peine de répondre par avance aux classiques objections : "où trouver l’argent pour financer de telles mesures ?" et "est-ce que cela ne va pas simplement encourager certaines personnes à vivre aux crochets de l’État alors qu’elles pourraient travailler ?" soulignant que ces solutions permettraient au contraire de réaliser des économies sur le long terme, notamment sur le plan social. Et Amnesty de saluer les personnes et les organisations [qui] ripostent et défendent les droits humains". "Leurs voix et les solutions qu’elles proposent doivent être prises en considération", conclue l'organisation basée à Londres, qu'on aurait pas crue ralliée aux idées altermondialistes.

Valentino Véronique

Lire le rapport 2017/18 de Amnesty international