Apple perd contre Attac !

Vendredi 23 février, le tribunal de grande instance de Paris a débouté le groupe américain Apple, qui lui demandait d'interdire aux militants de l'organisation altermondialiste de pénétrer dans ses magasins pour des actions militantes. Attac souhaitait en effet dénoncer l'évasion fiscale massive mise en oeuvre par le groupe à la pomme. Non seulement la multinationale a été déboutée, mais en outre, les juges ont reconnu le caractère d'intérêt général des actions d'Attac.

C'est ce qu'on appelle une poursuite-baîllon. Des actions judiciaires intentées par des compagnies ou des institutions contre des individus ou des groupes de pression, en vue de les neutraliser ou de les censurer quand ils dénoncent publiquement leurs activités. Le 21 décembre 2017, Apple France avait assigné Attac en référé (procédure qui permet une intervention en urgence de la justice), suite à une occupation de l'Apple Store Opéra, à Paris. 

70 membres de l'association pour la Taxation des Transactions Financières et pour l'Action Citoyenne (ATTAC) avaient alors manifesté à l'intérieur du magasin Apple Store Opéra, entraînant l'évacuation et la fermeture du magasin pendant plusieurs heures. L'organisation altermondialiste entendait dénoncer "l'évasion fiscale massive pratiquée par la marque à la pomme" et son refus de s'acquitter d'une pénalité de 13 milliards d'euros, que lui réclamait l'union européenne.

En octobre, la Commission européenne avait en effet assigné l'Irlande devant la Cour de justice de l'Union européenne, pour ne pas avoir fait le nécessaire afin de récupérer 13 milliards d'euros d'arriérés d'impôts de la part du fabricant de l'I-phone. En effet, l'Irlande est attaquée pour sa politique fiscale à l'égard des grands groupes, car elle a fixé un taux d'imposition très bas. Celui-ci est en effet de 12,5%, alors que la moyenne de l'impôt sur les sociétés est de 23% en Europe. Or, dans les faits, les taux d'impôts irlandais sur les multinationales sont bien inférieurs à ce taux officiel, car ils sont négociés au cas par cas. Ainsi, selon Margrethe Vestager, en 2014, Apple avait profité d’un taux d’impôt sur les sociétés de 0,005 % en Irlande.

En août 2016, la commissaire européenne à la concurrence, Margrethe Vestager, avait jugé que l’accord fiscal conclu entre la multinationale à la pomme et Dublin, en vigueur entre 2003 et 2014, avait permis à Apple d’économiser 13 milliards d’euros d'impôts et pouvait être considéré comme une aide d’Etat, illégale en Europe. Apple et les autorités irlandaises ont fait appel de cette décision. L'irlande, qui conteste la décision, a fait verser les sommes dues sur un compte sous séquestre, en attendant le résultat de procédures qu’elle espère bien gagner. Mais les changements dans la politique fiscale en Irlande et au Luxembourg, aurait depuis, selon les "Paradise papers", amené l’entreprise à transférer ses bénéfices dans l'île de Jersey.

C'est pour dénoncer l'évasion fiscale mise en oeuvre par Apple, que les militants d'Attac ont mené des actions dans les magasins de la firme, afin de prendre à témoin ses clients et au-delà, l'opinion publique. Le référé déposé par Apple France a donc été étudié par le tribunal de grande instance de Paris vendredi dernier. Les juges, qui statuaient en délibéré, ont donc étudié les demandes d'Apple d'interdire à l'association ATTAC de pénétrer à l'intérieur des magasins exploités par Apple Retail France sur tout le territoire national, sous astreinte de 150 000 € par violation de l'interdiction.

Apple soutenait l'existence d'un dommage imminent, mettant en péril la sécurité de ses employés et de ses clients. Or, Apple n'a pas été en mesure de prouver ce dommage imminent ni les dégradations entraînées par ces occupations de magasins, où des slogans avaient été peints au blanc de Meudon. Pour Attac, les pièces produites n'établissent ni la matérialité du dommage, ni l'existence de dégradations, le blanc de Meudon apposé sur les vitrines se nettoyant à l'eau claire. L'organisation dénonçait par ailleurs la violation de la liberté d'expression et la liberté de manifestation, garanties par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme.

Or, la cour a nié l'existence d'un dommage imminent, revendiqué par Apple, au motif qu' "un dommage purement éventuel ne saurait donc être retenu pour fonder l'intervention du juge des référés". Elle a par ailleurs nié qu'il puisse y avoir dommage puisque l'action entreprise par Attac n'était pas illégale. Les juges ont estimé "que la pénétration de l'association ATTAC au sein du magasin Apple Store Opéra a eu lieu sans violence", que "l''évacuation du magasin a eu lieu spontanément (...) sans intervention des forces de l'ordre" et qu' "aucune dégradation n'est invoquée par la société Apple".

Les juges ont appliqué le droit infligeant un sévère camouflet à la multinationale à la pomme. Ils ont en effet estimé que "la simple pénétration de militants dans l'enceinte du magasin Apple Store Opéra, ou dans d'autres magasins situés en France, sans violence, sans dégradation, et sans blocage de l'accès du magasin à la clientèle, ne suffit pas à caractériser un dommage imminent justifiant de limiter le droit à la liberté d'expression et à la liberté de manifestation des militants de l'association Attac". Et légitimé l'action des militants altermondialistes, reconnue comme ayant été menée "dans le cadre d'une campagne d'intérêt général sur le paiement des impôts et l'évasion fiscale".

La manœuvre de la firme californienne, qui pèse 800 milliards de dollars à Wall street, a donc été totalement désavouée. Celle-ci a donc été logiquement condamnée à payer les frais de justice engagés par Attac contre cette procédure-baîllon. "Même condamnés, nous aurions poursuivi nos actions contre l'évasion fiscale d'Apple, nous les aurions simplement adaptées. Apple s'inquiétait d'une montée en puissance, cette décision nous donne justement envie de poursuivre," avait assuré Raphaël Pradeau, porte-parole d'Attac, qui ne compte pas en rester là et souhaite intensifier ses actions.

Véronique Valentino

Lire l'ordonnance de référé rendue par le TGI de Paris le 23/02/2018