Quand la bourgeoisie sud-américaine dévoile son vrai visage, il a celui de Pinochet et de Bolsonaro

« Les artistes et les féministes encouragent la pédophilie. » « L’ex-président Fernando Henrique Cardoso – responsable du plus important programme de privatisation de l’histoire du Brésil – et le multimillionnaire américano-hongrois George Soros financent le communisme. » « Les écoles publiques, les universités et les moyens de communications ont été investis par une `patrouille idéologique´ d’inspiration bolivarienne. » Et encore « le nazisme est issu de la gauche. » Bienvenue dans le Brésil de la deuxième décennie du XXIè siècle, un pays où un candidat à la présidence, jair Bolsonaro, fait publiquement l’apologie de la torture, se vante de son homophobie, et recueille 46,06 % des voix au premier tour des présidentielles, avec le soutien enthousiaste des milieux financiers.

"Je veux une intervention militaire maintenant !" - les manifestations pour obtenir la destitution la présidente Dilma Rousseff ont été le point de départ du grand retour en force de l'ultra-droite brésilienne, après trois mandatures consécutives du…

"Je veux une intervention militaire maintenant !" - les manifestations pour obtenir la destitution la présidente Dilma Rousseff ont été le point de départ du grand retour en force de l'ultra-droite brésilienne, après trois mandatures consécutives du Parti des Travailleurs de 2003 à 2016.

Dans le Brésil d’aujourd’hui, de tels messages se répandent tous les jours sur les réseaux sociaux et rameutent les exaltés, pareils à ceux qui ont tenté d’agresser la philosophe Judith Butler à São Paulo, en criant « au feu la sorcière ». Dans ce pays secoué par la corruption et par une profonde crise politique, qui commence juste à sortir de la dépression économique, il est tout à fait possible de voir la police se présenter dans un musée pour y confisquer une œuvre d’art. Ou que le conservateur d’une exposition attende l’arrivée des forces de sécurités venues pour l’emmener faire une déposition devant une commission qui enquête sur la maltraitance infantile.

« Cela était encore impensable il n’y a pas si longtemps. Même lors de la dictature de telles situations n’existaient pas. » Après une vie entière dédiée à l’organisation d’expositions artistiques, Gaudêncio Fidelis s’est vu stigmatisé, traité quasiment comme un délinquant. Son crime fut d’organiser à Porto Alegre, un festival dénommé Queermuseu, au cours duquel des artistes reconnus réfléchissaient à propos de sexe. Une vague de protestation contre le festival s’était rapidement organisée sur les réseaux sociaux, sous le prétexte que l’on y faisait l’apologie de la pédophilie et de la zoophilie. Le sponsor de l’espace, la Banque Santander, avait alors pris la décision de l’annuler par peur d’un boycott massif de ses clients.

« Je ne connais aucun autre cas dans le monde où une exposition de cette dimension ait été interrompue comme ça, si soudainement », regrette Fidelis.

Le conservateur reste sous le coup d’une décision judiciaire demandant à la police de l’amener à comparaître devant la commission du Sénat sur la maltraitance infantile. Comme lui, ont aussi été convoqués le directeur du Musée d’Art Moderne de São Paulo ainsi qu’un artiste auteur d’une performance dans laquelle il apparaissait nu. Le parquet est même allé jusqu’à ouvrir une enquête suite à la diffusion d’images où on le voyait allongé sur le sol tandis qu’une petite fille lui touchait les pieds. “Pédophile”, s’écria-t-on à nouveau sur les réseaux. La même accusation a aussi été lancée contre une icône de la musique brésilienne, le chanteur et compositeur Caetano Veloso.

Le responsable de toutes ces investigations parlementaires concernant de supposés abus sur des enfants, est le sénateur et pasteur évangélique Magno Malta, connu pour son extrémisme et sa manière très exaltée de s’exprimer. Quant aux organisateurs des scandales sur les réseaux, ils n’ont rien de religieux. Il s’agit d’un groupe de jeunes qui, il y a un an, lors des impressionnantes manifestations pour la destitution de la présidente Dilma Rousseff, avaient réussi à mobiliser une grande partie du pays.

Avec leur esprit potache et leur air pop, les jeunes du Mouvement Brésil Libre (MBL) semblaient incarner le nouveau visage d’un pays neuf, qui rejette la corruption et défend le libéralisme économique. Du jour au lendemain, ils sont devenus des symboles nationaux. En un peu moins d’un an, cette image a complètement changé. Ce qui était auparavant perçu comme un mouvement de régénération démocratique est devenu une puissante machine qui exploite sa capacité à diffuser des campagnes sur les réseaux sociaux contre des artistes, ou à défendre la vente d’armes, ou à vilipender les journalistes et les professeurs accusés de diffuser les idées de l’extrême gauche ou le communisme. Outre les légions d’internautes qui les suivent, ils disposent aussi de puissants soutiens, comme ceux des maires de São Paulo et de Porto Alegre. Ou du patron de l’un des plus grands magasins de vêtements du Brésil – Flávio Rocha, qui a écrit un article sur le danger représenté par ces expositions qui feraient partie intégrante d’un supposé « plan mis au point par les sphères les plus sophistiquées du gauchisme, pour introduire le communisme au Brésil ».

« Jusqu’aux années 90, ces campagnes étaient menées par des collectifs extrémistes évangéliques, mais nous nous trouvons aujourd’hui devant un nouveau phénomène, le conservatisme laïc », explique Pablo Ortellado, professeur de l’Université de São Paulo. « Ce type de guerres culturelles à lieu en ce moment dans le monde entier, surtout aux États-Unis, même si le cas brésilien possède ses caractéristiques propres. Ils ont profité des canaux de communications organisés en leur faveur pendant les manifestations contre Dilma Rousseff. Ils ont ensuite surfé sur la vague, créant un nouveau mouvement conservateur, avec un discours antisystème et très opportuniste, parce qu’eux-mêmes croient pas eux-mêmes beaucoup à la majorité des choses qu’ils disent. Cela est extrêmement préoccupant. J’ai 43 ans et je n’avais encore jamais rien vu de semblable. »

C’est dans ce climat que les brésiliens seront convoqués dans un an, devant les urnes afin de choisir leur nouveau président. Le professeur Ortellado craint que 2018 ne soit « une campagne violente dans un pays super polarisé ».

«Les artistes méritent le peloton d’exécution»

Personne n’est mieux placé que le député et ex-militaire Jair Bolsonaro pour parler des artistes : « Ils méritent d’être fusillés ». Fusiller est une activité qui excite le désormais candidat à la présidence, le même qui, en d’autres temps, regrettait que l’ex-président Fernando Henrique Cardoso n’ait pas été exécuté, lorsqu’il était un opposant à la dictature qui gouvernait le pays de 1964 à 1985. L’année dernière, Bolsonaro avait dédié [1] son vote en faveur de la destitution de Dilma Rousseff à l’un des plus grands bourreaux de la dictature. Et récemment, il posait encore, dans une posture arrogante vêtu d’un tee-shirt arborant le slogan : « Droits de l’homme, fumier de la vermine sociale ».

Cet individu est en très bonne position dans les sondages, disposant à l’heure actuelle, de 20% des intentions de vote, n’étant devancé que par l’ex-président Lula da Silva. Les études de l’institut de sondage DataFolha, révèlent que 60% de son électorat est composé de jeunes de moins de 34 ans. Le phénomène Bolsonaro, explique Mauro Paulino, directeur de DataFolha, « se nourrit de la peur qui s’est emparée de la société brésilienne ». Près de 60% de la population affirme vivre sur un territoire contrôlé par une faction criminelle. 60 000 brésiliens sont assassinés chaque année. Les partisans de la libéralisation des ventes d’armes ont vu leur nombre augmenter de 30% à 43% depuis 2013.

Mais en dehors de ces questions de sécurité, et bien que l’écho des groupes anti-conservateurs ne cesse de croître, il n’existe toujours pas de données suffisantes pour affirmer que le pays a assimilé ces positions réactionnaires. D’ailleurs, au cours des quatre dernières années, les défenseurs des droits des homosexuels sont passés de 67% à 74%.

Xosé Hermida, pour América 2.1
Source : Carta Maior - le 23/11/2017 – Texte original : 
https://www.cartamaior.com.br/?/Editoria/Politica/O-discurso-de-odio-envenena-o-Brasil/4/38885
Traduction : Jean Saint-Dizier pour Autres Brésils
Relecture : Roger Guilloux

[1] NdT : Lors d’une session qui fit date dans les annales de l’assemblée où chaque député qui s’exprimait pour la destitution de la présidente élue, le faisait de manière très mélodramatique en dédiant, devant les caméras, son vote à la famille, au Brésil, ou même à Dieu et à tous ses saints...