L'allocution présidentielle, une suite pour pipeau et orchestre médiatique
A propos de l’allocution présidentielle, quatre choses à noter :
1. Quel que soit le futur du mouvement des gilets jaunes, il a réussi à faire reculer le gouvernement, et trembler un pouvoir qui se croyait les mains libres. C’est la première victoire sociale depuis longtemps, et elle est entièrement due au peuple lui-même. Venue quand il a décidé de ne plus subir, ni quémander, mais d’exiger qu’on lui fasse justice, et de se permettre d’imaginer très loin tout ce qui devrait changer dans notre société (ce que les éditorialistes effarés qu’on ne s’en tiennent pas à des revendications sur le pouvoir d’achat appellent l’irréalisme et l’incohérence des doléances des gilets jaunes). Un peuple devenu conscient de sa force, et devant qui Jupiter lui-même, ravalant son orgueil, a dû comparaître et se justifier, ne sera plus aussi facile à gouverner. C’est essentiel pour l’avenir.
2. Macron a tenu à remettre sur le tapis la question de l'immigration et de l'identité, si chère au Front National et à Eric Zemmour, mais absolument pas au coeur des revendications des gilets jaunes, en dépit de tous les efforts de l'extrême droite. Le but évident est de ramener la division dans un peuple en voie de s'unir contre lui. Et subsidiairement de conforter la position de premier opposant du Rassemblement National, qui lui va idéalement.
3. La culpabilisation des pauvres, jugés responsables de leur sort, reste au coeur du discours présidentiel. Macron accuse les chômeurs d'être responsables de leur sort et du chômage, et les condamne à la misère sous prétexte d'aider d'abord ceux qui travaillent (et donc le méritent). Pour ceux qui n’ont déjà plus rien, aucune aide. Les minima sociaux ? Même pas mentionnés. Pour les contrats aidés supprimés, rien. Pour les chômeurs, rien. Pour ceux qui ne gagnent même pas le SMIC, parce qu’ils n’ont pas trouvé de travail à plein temps, rien. Pour les jeunes, rien. Le mépris. Et la misère. Dans l'espoir de se concilier sur le dos de ceux qui n'ont plus rien ceux qui n'ont presque rien à qui l'on est bien obligé de concéder quelques miettes. Et de diviser le peuple, dans la plus tradition de la droite, pour lui faire oublier que les riches, eux, sont de plus en plus riches, et prospèrent plus que jamais dans l'histoire dans le système libéral qu'ils ont réussi à imposer à tous (à eux, on ne demandera évidemment aucun effort, au contraire).
4. Les riches restent intouchables. Macron sait très bien que rétablir l'ISF ou retoquer l'exit tax serait la défaite symbolique qui signerait l'aveu de son échec à faire avaler au peuple français l'absurde idéologie du ruissellement. Ce ne sont pas quatre milliards qui sont en jeu dans son refus immédiat, absolu et entêté de revenir sur l'ISF. On n'en est plus là. Ce n'est que le symbole de la politique qu'il a toujours entendu mener. S'il tombe, tout le reste s'effondre. Mais on peut mourir pour des symboles.S'il doit faire encore des concessions, il fera tout pour éviter celle-ci. Les Gilets jaunes l'ont bien compris, c'est très stratégiquement qu'ils insistent sur le rétablissement de l'ISF. Les macronistes leur font valoir depuis hier qu'ils n'en seraient pas personnellement plus riches. Mais ils savent que restaurer le principe de l'égalité et la nécessité de la justice sociale est la condition minimale de la construction d'une société plus conforme à ce qui leur paraît décent. Le peuple français, dans sa masse, n'est ni reaganien, ni thatchérien. Et ne veut pas de la révolution promise par Emmanuel Macron, qui veut imposer le modèle du capitalisme à l'anglo-saxonne en France.
L'Autre Quotidien le 11 décembre 2018