Les leçons de l'expérience du mouvement autonome italien face au populisme du Mouvement 5 étoiles

Manifestation "C’é che dice No" le 27 novembre 2016 à Rome

Manifestation "C’é che dice No" le 27 novembre 2016 à Rome

Réalisé quelques jours après l’élection du 8 novembre 2016, cet entretien avec un rédacteur du site web italien Infoaut.org réalisé par le site suisse Renverse revenait sur les multiples confusions entourant le terme de « populisme ». L’entretien aborde aussi la question Mouvement des 5 étoiles (Movimento 5 Stelle – M5s), un parti « populiste » très mal connu dans l’aire francophone. Devenu le premier parti d’Italie, ce parti citoyenniste et anti-establishment, difficilement classable à gauche ou à droite, a forcé beaucoup de militants à réfléchir à l’usage offensif qui peut être fait, non du terme mais du phénomène qu’il manifeste.

Dans la plupart des analyses médiatiques qui ont suivi la victoire de Trump , un mot revient toujours pour caractériser sa ligne politique : le « populisme ». Qu’est-ce que le terme recouvre d’après votre point de vue autonome ? Est-il adéquat pour décrire une réalité et si oui laquelle ?

Lorenzo : Le populisme est un terme qui est devenu complètement vide, il y a beaucoup de confusion dans les discours actuels et il faut donc s’entendre sur sa définition. Si l’on prend le populisme dans sa définition la plus commune, on insiste beaucoup sur sa volonté d’ abolition des corps intermédiaires entre le chef et le peuple ([NdR : Jan-Werner Müller par exemple]) ou alors sur le rapport très médiatisé qu’ils souhaitent faire exister entre un corps électoral et le chef charismatique [NdR : le néo-conservateur Pierre-André Taguieff par exemple]. Le problème c’est qu’avec une définition aussi large, Renzi, Trump, Grillo, Le Pen ou Hollande sont tous des populistes ! On voit que le terme de « populisme » a été tiraillé dans tous les sens, il est donc essentiellement vidé de toute substance, il s’agit donc davantage d’un trait de l’époque. Par contre, ce qui est plus intéressant, c’est la définition négative qui en est donnée. Ce mot est en effet utilisé négativement par un champ politique assez transversal au sein du pouvoir qui y voit le seul trait d’effective déstabilisation systémique. Je pense qu’il faut plutôt le prendre dans ce sens-là, dans cette définition négative. En fait, il faut bien distinguer d’une part, ce que signifie « faire de la politique » à l’époque contemporaine où il existe des traits communs très forts : la simplification du langage, l’abolition des corps intermédiaires, etc. ; et d’autre part, le « populisme » comme champ de bataille, comme terrain où il faut jouer notre option politique, c’est là que ce mot devient utile et intéressant. Le populisme en tant que tel ne décrit aucune configuration effective du pouvoir politique, mais il est symptomatique de quelque chose qui « bouge » et qui fait peur.

Cette réflexion sur le « populisme », la rédaction d’InfoAut dont tu fais partie, l’a mené depuis plusieurs années. Est-ce que tu peux nous en dire plus ?

Ça a été très difficile au départ de réfléchir là-dessus. D’abord à cause de l’attitude du reste des milieux extra-parlementaires. En 2013, le mouvement des Forconi est apparu en Italie et a pris tout le monde de court. Lancé sur Facebook, il revêtait des traits poujadistes et revendiquait une baisse des impôts. C’était un peu la version italienne des « bonnets rouges » français, les deux mouvements ont d’ailleurs eu lieu à quelques mois seulement d’intervalle [NdR : sur les Forconi, voir ce post sur le blog de Serge Quadruppani]. InfoAut s’est alors fait accuser de « crypto-fascisme », d’ « ambiguité » parce qu’on disait que les phénomènes comme les Forconi étaient quelque chose qui allait prendre de plus en plus d’ampleur, qu’il était nécessaire d’avoir notre regard là-dedans et de savoir comment se mouvoir dans ces nouveaux phénomènes. Les Forconi à Turin, ça a été une ébauche de grève sociale, ça s’est déroulé sans les habituels pamphlets radicaux mais c’était une vraie grève métropolitaine qui a bloqué des flux et des nœuds fondamentaux pour l’accumulation capitalistique, certes pendant très peu de temps, mais ça a montré quelque chose.

Souvent on tient à distinguer un « bon » populisme de gauche d’un « mauvais » populisme de droite. Est-ce que tu penses que c’est une définition pertinente ?

Une chose sur laquelle il faut être absolument clair, c’est qu’il n’existe pas de « populisme de gauche » et de « populisme de droite ». Le populisme, c’est un bloc et essayer de le plier dans un sens ou dans l’autre en distinguant par exemple d’un côté le « bon » populisme de Bernie Sanders et de Podemos, et de l’autre le « méchant » populisme du FN et de Trump, ça ne mène nulle part. Prendre le populisme comme un bloc implique de ne pas tenter d’être à la tête de ce phénomène, mais de considérer le populisme comme un tout qu’il faut casser. Pour ce faire, il faut arriver à comprendre sur quels registres de langage il se base, quels besoins il exprime, quels antagonismes – effectivement mystifiés, on est d’accord – il fait surgir dans la société. 
Il faut comprendre en quoi le populisme est significatif dans la vision du monde d’une partie des classes subalternes et populaires d’aujourd’hui, pour arriver à créer des fractures là-dedans et casser ce bloc. Mais surtout pas dans un sens de gauche ou de droite ! Ce qu’il y a de plus intéressant dans le populisme, c’est justement qu’il dépasse la dichotomie droite/gauche. Alors, quand j’entends des militants et des gauchistes qui disent qu’ils veulent « retrouver leurs repères » et pleurent sur la mort du duo politique éternel droite/gauche, je trouve ça consternant. Casser ce bloc signifie l’amener dans des pratiques d’effectives contrapositions sociale, qui ne soient pas simulées ou déléguées du bas vers le haut vers le chef ou les parlementaires. Cette contraposition sociale massifiée, le populisme y fait toujours allusion dans les mots sans jamais donner corps à cela, c’est donc sur ça qu’il faut travailler.

En Espagne, c’est justement ce que Podemos n’est jamais parvenu à faire. Leur projet s’est considérablement redimensionné depuis leur lancement notamment sous le coup de la crise grecque de l’été 2015. De toute évidence, Podemos n’a pas la capacité de jouer contre son propre parti, son propre champ, d’aller au fond de la critique des institutions européennes et supra-nationales. Au final, ils se retrouvent à mystifier un internationalisme européen qui est celui de la classe bourgeoise, ils se sont aplatis sur des positions qui ne leur appartiennent pas. D’où un sentiment de grande faiblesse.

À l’inverse, je pense qu’aujourd’hui il faut se donner pour but d’arriver à comprendre le programme implicite de la classe à notre époque. Les principaux traits que nous avons mis en évidence sont : la fin de toutes les illusions, la fin de la confiance en la démocratie, une contraposition du « haut » vers le « bas ». Et là notre problème, ça doit être de savoir comment transformer cette contraposition haut-bas, ou horizontale du bas vers le bas, en effective contraposition entre les classes. Voilà notre problème, pas celui de « se mettre à la tête du populisme ».

En Suisse aussi, il y a une littérature très fournie sur le « populisme », qui dans la lignée des politologues Hanspeter Kriesi ou Line Rennwald, se demandent comment regagner les électeurs « égarés » dans les partis populistes et/ou d’extrême droite et les ramener dans le giron de la gauche. Est-ce que tu peux nous expliquer le regard que vous portez sur la gauche institutionnelle aujourd’hui en Europe ?

La gauche historique, on n’a pas eu besoin d’attendre l’élection de Trump pour régler nos comptes avec. Le refus de la gauche, c’est quelque chose qui caractérise notre vision politique et notre proposition de rupture et de négation de l’existant depuis toujours, je pense en particulier à nos racines opéraïstes. 

Ceci dit, pour penser le rôle historique de la gauche, il est nécessaire de penser la phase capitalistique dans laquelle on vit aujourd’hui. Comme l’avait vu Mario Tronti à son époque, c’est la classe qui donne le rythme aux époques et le capital suit derrière. Dans ce contexte, la gauche prend toujours le rôle d’entériner et de gérer les transitions entre les différentes phases. Quand la dialectique entre lutte de classes et développement capitaliste était forte – durant les Trente Glorieuses – quel a été le rôle de la gauche ? C’était le rôle du réformisme classique, expansif pour les classes populaires car la lutte de classes était puissante et que la relation dont je viens de parler était en plein essor.

Si on regarde la séquence qui s’est ouverte avec la crise de 2008, quel a été le rôle de la gauche ? Obama, Hollande, Renzi, et même Merkel – un centre-droit très particulier, quasiment social-démocrate – ce sont aussi des réformistes, mais le contenu des réformes a changé. Aujourd’hui, ce sont des pas en arrière dans les conditions de vie, le lien entre réformisme et progressisme est définitivement brisé et nous assistons à la soudure entre réformisme et restauration. Même si les rapports de force ente les classes sont aujourd’hui diamétralement opposés par rapport aux années 1970, le rôle que le Capital a réservé à la gauche demeure le même, celui d’assurer les transitions entre différentes phases de développement. C’est pourquoi la gauche se trouve en position d’extrême faiblesse aujourd’hui : elle fait le sale boulot dans cette phase historique-là.

Sur le versant sociologique, il y a aussi un immense problème avec les sympathisants de gauche dans leur rapport avec les phénomènes qualifiés de populistes. Ça sent le mépris de classe à plein nez et ils vont parfois très loin, en particulier durant les contextes post-électoraux. On peut inclure là-dedans tous les discours du type les électeurs « ont mal voté », sont « ignorants », ils « ne savent pas écrire », etc. En Italie, ils ont l’habitude de singer la manière dont les votants du Mouvement des 5 étoiles écrivent, avec des fautes d’orthographe et beaucoup de points d’exclamation. Ce genre de moquerie représente une véritable involution historique. Au vingtième siècle, les milieux catholiques sociaux et les milieux communistes faisaient exactement l’inverse, ils cherchaient à amener l’ouvrier au parlement, ils prenaient au sérieux leur tâche d’éducation populaire, etc. [NdR : L’historien Xavier Vigna a très bien montré ça pour le cas français dans son livre L’espoir et l’effroi.]  À l’inverse, voir une personne « ignorante » rend aujourd’hui ces gens de gauche complètement fous, ça leur donne envie de gerber. C’est un mépris de classe très clair, il n’y a aucun doute là-dessus. C’est symptomatique d’un déplacement complet des référents de la classe intellectuelle de gauche.

Après l’élection de Trump, beaucoup d’analyses ont insisté sur l’importance du vote des blancs en sa faveur. On a parlé de « whitelash », un retour de bâton raciste de l’Amérique blanche. Qu’en penses-tu ?

Il ne faut pas prendre le racisme américain à la légère. Mais soyons clairs, dans cette phase historique, le rôle des autonomes est d’être contre la tranquillité systémique, le statu quo. Tout ce qui bouge effectivement les lignes de front à l’intérieur de la société est bon à prendre. Il me paraÎt trompeur de faire des comparaisons avec les années 1930 et la montée du fascisme. Dans ces années les démocraties était une configuration du pouvoir très nouvelle qui n’avait aucune vraie stabilité, on ne peut pas agiter ce spectre car les phases historiques sont complètement différentes. Les représentants du populisme sont d’ailleurs complètement compatibles avec le système capitaliste démocratique.

Le premier réflexe des intellectuels, surtout de gauche, est de raisonner sur les figures du populisme : Trump et son passé de milliardaire, de violeur, etc. C’est une attitude essentiellement de déconstruction, malencontreusement reprise par la quasi-totalité des activistes « radicaux », qui se propose de révéler « la grande illusion du populisme ». Mais celle-ci devrait être l’approche des intellectuels, des journalistes et des académiciens, pas celle des militants politiques ! Nous, on devrait plutôt se demander comment peux-t-on agir là dedans, dans cette reconfiguration de la géographie du pouvoir, dans cette mutation des attentes d’une partie des classes populaires. Trump est un personnage exécrable, aucun doute là-dessus, mais il est plus fécond de regarder ses référents sociaux à l’intérieur de la société. Ce qui est intéressant, c’est qu’une partie de ses électeurs – sans raisonner en terme de majorité et de minorité – a trouvé dans ce vote la manière – comme avait dit Michael Moore avant le vote – d’avoir l’impression de lancer son « cocktail molotov » à travers ce candidat. Je pense que l’élément racial, il faut d’avantage le penser comme une partialité qui ne doit pas nous suffire. Trump ou le FN, c’est souvent des électeurs de plus de 40 ans, peut-être chômeurs, qui ont connu une autre époque, vécu des déceptions et qui voient dans leur vote une possibilité de revanche sur le système. Qui manque à l’appel ? Les noirs américains bien sûr, mais aussi les jeunes. Sur la question des jeunes, on fait face à un nœud que l’on arrive pas encore à problématiser. On observe dans ce segment de la classe une totale étrangeté pas seulement par rapport à la politique mais par rapport à la vie publique en général, à tout ce qui dépasse la famille, les proches et les affects personnels. C’est vraiment un bouchon à faire sauter.

D’un autre côté, est-ce que les termes de la sociologie électorale sont satisfaisants ? Pas sûr quand on voit que les femmes n’ont pas plus voté pour Clinton ou que certains immigrés ont choisi de voter pour Trump. Ce qui est intéressant, c’est que ça exprime l’envie de revanche et de leur faire mal. La vérité de ce vote peut se résumer ainsi : « ceux qui nous gouvernent nous font mal, maintenant on va leur faire mal à notre tour ». Certains camarades ne comprennent pas ça quand ils abordent la question du vote : ils se bornent à dire des banalités du type « Trump c’est un politicien comme les autres, il ne va pas aider les gens ». Bien entendu, mais la question n’est pas là !

Derrière le vote « populiste », il faut aussi voir une manifestation de notre propre faiblesse. Depuis le début de la crise, aucun groupe antagoniste n’a été capable de problématiser la question de la rupture, la volonté de pouvoir social, de pouvoir faire, de pouvoir leur faire payer. On est souvent resté dans des raisonnements très gradualistes, « les luttes partent d’en bas », « elles se construisent petit à petit », etc. Tout juste, mais est-ce suffisant ? En Italie, on a adoré le « Que se vayan todos » argentin. Et hop, un parti politique lancé depuis un blog (!) apparaît avec le mot d’ordre « qu’ils rentrent tous à la maison ces politiciens de merde ». En quelques mois, des personnes complètement inexpérimentées sont arrivés à devenir le premier parti politique d’Italie. Ça devrait conduire le milieu « subversif » à s’interroger sur sa capacité à avoir un impact sur le réel et à comprendre ce qui bouge dans la matérialité des rapports sociaux.

Et la xénophobie ?

Aujourd’hui, la xénophobie c’est encore autre chose. Elle dérive d’un sentiment qui peut se résumer ainsi : « moi je vaux quelque chose » ; et que le mec qui vient d’arriver « je vaux mieux que lui ». Le fond derrière, c’est donner une valeur à sa propre existence, ne pas se laisser faire. On doit arriver à agir là-dedans, et surtout, distinguer la xénophobie du pur racisme et suprémacisme blanc. C’est le cas dans les protestations contre les centres d’accueil de migrants qui se multiplient en Italie ces derniers temps. Le cas de figure est le suivant : 30 réfugiés arrivent dans un village, on est en Italie, il n’y a pas de revenu minimum, pas de RSA, l’État est perçu comme distant, essentiellement parasitaire et sans aucune attache. Or, pour ces populations, la personnification de l’État, c’est l’accueil des migrants. Ça mine une croyance peut-être naïve en la souveraineté, à savoir « si tu es à l’intérieur de la communauté, on ne te laissera pas tomber ». C’est une sorte d’exclusivité a-classiste par opposition aux « autres » qui peut se résumer ainsi : « Moi personne me donne rien, eux, ils ont une maison, trois repas par jour, c’est inacceptable ! Est-ce que je vaux moins que lui ? Non, je me rebelle contre ça ». Après il y a aussi un racisme pur et dur de refus de l’autre, mais il ne faut pas perdre de vue que dans ces protestations xénophobes, il y a une forte perception de la dévalorisation de soi-même par rapport aux migrants.

Dans un édito d’InfoAut publié après les élections communales italiennes de juin 2016 où le Mouvement des 5 étoiles avait remporté les mairies de Turin et de Rome au détriment du centre gauche, vous avez écrit que « ceux qui ont pas ri devant la mine défaite des membres du Parti démocrate sont des ennemis de classe ». Pourquoi ?

Bon, c’est clair il y a un plaisir malin à voir bafouiller tous ces commentateurs. C’est ça, l’expulsion des indéboulonnables maires centristes italiens : ils comprennent qu’ils ne sont plus intouchables et tu vois la défaite sur leurs visages. Après tu peux réagir à ces élections en voulant sauver la démocratie ou la participation démocratique. Nous, on en est plutôt venus à penser que ces élections sont déjà quelque chose qui fait bouger les lignes de front dans la société et qui font peur à ceux qui nous gouvernent, le parti transversal qui gère effectivement la globalisation (où on l’a dit la gauche a eu rôle absolument crucial).

À rebours du discours sur « l’irrationalité » de ces votes, est-ce que vous y voyez une forme d’intelligence ? Ou tout au moins un refus sur lequel on peut construire des processus politiques ?

Oui absolument. Ces votes ont bien sûr une forme mystifiée, mais comme toute la politique bourgeoise et démocratique. Et là j’aimerai aborder les conséquences pratiques de nos raisonnements. Maintenant, après 20 ans de mairie de centre-gauche (Parti démocrate – PD), le Mouvement des 5 étoiles a récolté entre 60 et 70 % de voix dans certains quartiers populaires de Turin. Qu’est-ce qu’on est sensés faire dans ce contexte ? Le collectif politique dont je fais partie, Askatasuna, s’est toujours construit en opposition avec la dimension institutionnelle sous toutes ces formes, on n’a jamais fait de compromis là-dessus car c’est le point central de notre option politique [pour en savoir plus sur les origines d’Askatasuna, cf. « S’ouvrir sur les luttes, sur la rue » dans le numéro 1.4 de L’Autrement).

Pourtant, ce nouveau contexte nous oblige à adapter notre manière de nous rapporter et de nous affronter avec la dimension institutionnelle. Aujourd’hui, si on attaque le M5s frontalement et qu’on travaille pour les faire tomber – alors qu’ils ont tout l’appareil médiatique, le système des partis et les cadres intermédiaires de l’administration publique contre eux – on serait perçu comme l’allié objectif de la machine de pouvoir du PD, du parti transversal des grands travaux comme le TGV Lyon-Turin (TAV), des procureurs, de l’ordre des multinationales. On ne pourrait plus entrer dans aucun quartier populaire et on perdrait toute forme de reconnaissance sociale.

On préfère donc voir dans le populisme quelque chose qui ouvre des attentes qui grandissent, à savoir que « les choses peuvent changer ». Pendant des années en Italie, le pouvoir a organisé une baisse continue ce que l’on est prêt à accepter pour survivre : la génération née dans les années 1990, elle n’a vécu que cela. Le fait qu’il y ait à nouveau des attentes envers l’avenir, envers sa propre vie et qu’elles grandissent, ça, c’est de l’or pour nous ! Tout en sachant qu’elles ne pourront en aucun cas se réaliser effectivement dans un vote : c’est une banalité mais il faut le dire pour ne laisser aucune ambiguïté là-dessus.

Quels modes d’intervention concrets ont été réalisés à Turin dans cette perspectives de casser le bloc populiste et de prendre au mot leurs promesses électorales ?

Les prendre au mot, c’est exactement ça : être présent au moment où le populisme entre en crise avec lui-même. Durant leur campagne, les M5s ont dit qu’ils allaient s’occuper des quartiers populaires. Ce n’était pas que du bla-bla, ils ont fait du porte à porte chez les habitants des HLM délabrés pendant des jours pour leur dire « on s’occupera de vous ». Cet automne, on a organisé la Comité du quartier Lucento-Vallette des manifestations en bas du service municipal qui s’occupe des logements sociaux en exigeant les rénovations promises tout de suite. Et ça a marché une semaine après ! À ce moment-là, les habitants se sont dits que « la lutte ça marche » et qu’il faut recommencer à gagner des choses.

Un autre exemple est le cas de cette famille – un père seul avec 3 enfants – qui a été victime d’une expulsion locative à Turin en octobre passé. Le propriétaire est un magnat de l’immobilier qui loue des appartements minuscules pour des prix très élevés, surtout à des immigrés. L’expulsion avait eu lieu un matin et la serrure avait été changée. Le groupe de solidarité est arrivé, le camion des déménageurs a été endommagé, les déménageurs ont été obligés de remonter les meubles qu’ils avaient emportés et de rendre l’appartement au père. On est ensuite allé vers le M5s en leur disant « Vous aviez dit que vous arrêtiez les expulsions locatives, il faut maintenant tenir vos promesses ! ». Il faut arriver à les rattraper là-dessus, être un pas devant eux. Il est essentiel qu’on arrive à comprendre le moment où le populisme entre en contradiction avec lui-même et à ce moment-là impulser quelque chose qui nous rend plus fort, une option politique d’effective activation sociale. Le mot d’ordre que nous défendons, c’est d’abord ceux qui luttent. Pas les italiens, les immigrés etc. [NdR : en Suisse italienne, une initiative populaire intitulée « Les nôtres d’abord » pour la préférence nationale à l’emploi a été adoptée en votations il y a quelques mois] Ceux qui luttent viennent avant les autres, c’est difficile mais c’est là qu’on doit arriver.

Manifestation "C’é che dice No" contre un meeting de Renzi à Florence

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