Sortir de l'oubli les lesbiennes victimes du nazisme
En Allemagne et en Autriche, un groupe de féministes se bat pour la reconnaissance des lesbiennes comme victimes du nazisme. Elles demandent à ce qu’une sculpture commémorative soit installée à Ravensbrück. Ce qui leur est toujours refusé.
C’est une boule de terre cuite d’une quarantaine de centimètres de diamètre, sur laquelle est tracé un message en lettres blanches: «En mémoire de toutes les femmes et jeunes filles lesbiennes des camps de concentration de Ravensbrück et d’Uckermark. Les femmes lesbiennes étaient considérées comme «dégénérées» et ont été poursuivies et assassinées au motif qu’elles étaient des «asociales», des oppositionnelles et des folles ainsi que pour d’autres raisons. Nous ne vous oublions pas!»
En 2015, dans le cadre des nombreuses célébrations du 70e anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale, des militantes d’un collectif germanophone baptisé «Femmes et lesbiennes féministes autonomes d’Allemagne et d’Autriche» ont déposé cette sculpture sur le site de l’ancien camp de concentration de Ravensbrück en hommage aux nombreuses lesbiennes qui ont été déportées en ces lieux.
«Nous voulons ainsi attirer l’attention sur les souffrances qu’ont enduré les lesbiennes persécutées et assassinées, ainsi qu’exprimer notre attachement et notre tristesse», expliquent Susanne Kuntz et Wiebke Hass, toutes deux membres du collectif. Quelques mois plus tard, la sculpture a été retirée de son emplacement initial par la direction du mémorial et remisée dans ses locaux, à la demande de la Fondation des mémoriaux du Brandebourg.
Bien que le collectif a demandé à maintes reprises que la sculpture puisse de nouveau être placée au grand air, il se heurte jusqu’à présent au refus de la fondation. Motif invoqué par l’historien Alexander Zinn, spécialiste de la persécution des homosexuels sous le IIIe Reich et membre du comité de la fondation, «sur un plan historique, il n’est pas possible de prouver que l’homosexualité féminine aurait été réprimée par les nazis.» Selon lui, la sculpture commémorative proposée par le collectif est «une falsification de l’Histoire».
Art 175 du Code pénal
Bien que certaines historiennes, à l’instar d’Ilse Kokula, Claudia Schoppmann et Insa Eschebach, ont livré de remarquables travaux sur le sort réservé aux lesbiennes sous le IIIe Reich, il s’agit d’un pan de l’Histoire aujourd’hui encore sous-exploré.
Un des principaux arguments des opposants à la reconnaissance des lesbiennes comme victimes du nazisme est que l’homosexualité féminine, contrairement à l’homosexualité masculine, n’était pas passible de poursuites sous le IIIe Reich. Le paragraphe 175 du Code pénal allemand, renforcé par les nazis en 1935, condamnait uniquement les relations sexuelles entre hommes. Ce qui ne signifie pas que les lesbiennes n’étaient pas stigmatisées. Celles qui étaient dénoncées auprès des autorités pouvaient perdre leur emploi ou leur logement.
En 1933, année où Hitler est devenu chancelier, les bars et les cercles lesbiens ont été contraints de fermer leurs portes, et les revues et livres qui traitaient d’homosexualité féminine ont été détruits et interdits.
Pas de triangle rose
Dans les camps de concentration, seuls les détenus homosexuels masculins étaient contraints de porter le triangle rose, le système de classification des prisonniers ne prenant pas en compte les lesbiennes. Mais Insa Eschebach fait remarquer que l’orientation sexuelle des détenues n’était pas pour autant ignorée par l’administration du camp de Ravensbrück : sur certains documents de la SS toujours conservés, la mention «lesbienne» est indiquée à côté du nom de certains prisonnières. Les relations lesbiennes n’étaient pas tolérées dans l’enceinte du camp, indique Insa Eschebach: «La réglementation du camp de Ravensbrück condamnait explicitement les contacts lesbiens. A cela s’ajoutait l’homophobie qui sévissait non seulement au sein de la SS mais aussi au sein de la population carcérale».
En 2008, un mémorial dédié aux homosexuels persécutés sous le nazisme a été inauguré à Berlin, en marge du Tiergarten. C’est un grand bloc de béton à l’intérieur duquel un court-métrage est diffusé en boucle: on y voit s’embrasser aussi bien des couples d’hommes que des couples de femmes. Preuve qu’il est possible de rendre hommage aux victimes homosexuelles du nazisme sans avoir à faire la distinction entre gays et lesbiennes.
Annabelle Georgen
Cet article est paru dans 360°, le magazine LGBT suisse.