Loïc Canitrot, de la compagnie Jolie môme, en procès contre le MEDEF
Loïc Canitrot, membre de la Compagnie Jolie môme, comparaît devant le tribunal de grande instance de Paris. Le responsable de la sécurité du MEDEF accuse ce cofondateur de Nuit debout de lui avoir porté un coup, en juin 2016, lors d'une manifestation des intermittents au siège du MEDEF.
L'audience qui aura lieu ce matin devant le tribunal de grande instance de Paris pourrait bien être le procès du MEDEF. C'est en tout cas l'intention de Loïc Canitrot, membre de la troupe théâtrale Jolie môme, accusé par le responsable de la sécurité du MEDEF, de "violences en réunion". A la barre défileront le philosophe et initiateur de Nuit Debout Frédéric Lordon, l'ancienne porte-parole de Lutte ouvrière Arlette Laguillier et Denis Gravouil, négociateur de la CGT sur l'assurance chômage. Ce procès mobilise en effet de nombreuses organisations syndicales et politiques, des personnalités du mouvement associatif et du spectacle, et des milliers d’individus qui ont signé l’appel “Le Medef nous les brise”.
Les faits remontent au 7 juin 2016. Alors que des dizaines de milliers de personnes défilent dans les rues contre la loi travail (loi El Khomri), une centaine d'intermittents décide de se rendre au siège du MEDEF. En avril, ils ont occupé des théâtres y compris nationaux, comme l'Odéon à Paris. Depuis février, syndicats et patronat renégocient la convention d'assurance chômage de l'UNEDIC. Les intermittent craignent pour la survie de leur régime d'indemnisation car le MEDEF réclame 185 millions d'euros d'économie. Le 28 avril, cependant, l'ensemble des organisations syndicales du secteur ont approuvé un accord qui instaure des droits nouveaux, notamment la prise en compte, sans perte de revenus, du congé maternité ou en cas d'accident.
Mais, pour entrer en vigueur, cet accord unanime, négocié par les syndicats du secteur culturel, doit être signé par les confédérations syndicales qui siègent à l'UNEDIC, dont la CFDT qui s'y oppose, et le MEDEF. Le lundi 7 juin, les intermittents décident donc de passer à l'action et d'occuper le siège du MEDEF dans le 7e arrondissement. L'ambiance est plutôt détendue jusqu'au moment où Philippe Salmon, le responsable de la sécurité de l'organisation patronale, pète un plomb. Il injurie copieusement les manifestants, frappe Loïc Canitrot d’un coup de pied aux testicules, puis s’enferme dans son bureau. Le cerbère du MEDEF appelle la police et porte plainte au motif que Loïc lui aurait asséné un coup de poing.
La police arrive et embarque Loïc. Alors qu'il explique vouloir porter plainte, les policiers lui passent les menottes -"parce que c'est la procédure"- et l'embarquent au commissariat du 7e arrondissement, où il est attaché à un banc. Là, il apprend qu'il est placé en garde à vue. "Tu viens pour porter plainte et tu te retrouves suspect, puis coupable", explique cet intermittent de 46 ans, qui depuis a relu Kafka. Après plusieurs heures passées au commissariat, il est emmené à l'Hôtel Dieu où il passe une échographie afin de vérifier qu'il n'a aucune séquelle du qu'il a reçu dans les parties. Il sera plus tard transféré au commissariat du 15e arrondissement, car un petit groupe de militants manifestaient devant celui du 7e.
Comble de l'absurde, jusqu'à 2h du matin, il n'a toujours pas été auditionné par un officier de police judiciaire et ignore pourquoi il est en garde à vue. Lorsqu'il interroge les policiers, la réponse est toujours la même : "c'est la procédure". A six heures du matin, il est renvoyé au commissariat du 7e arrondissement. Le lendemain, les policiers organisent une confrontation en présence de l'avocat de Loïc, Me Irène Terrel. Car Philippe Salmon, qui présente une légère éraflure au niveau du nez, l'accuse de "violences en réunion". Il n'y a strictement rien dans le dossier, mais sa garde à vue est tout de même prolongée. Il est ensuite présenté au procureur qui semble avoir déjà une idée bien arrêté sur les faits. "Monsieur, déclare ce dernier, vous avez le droit de défendre vos idées mais la violence ne sert à rien". Plus tard, il apprendra qu'un deuxième témoin l'accuse. Celui-ci n'est autre que l'employeur des vigiles du MEDEF et sous-traitant direct de Philippe Salmon.
Le responsable de la "propagande" de la compagnie Jolie Môme est alors transféré au dépôt, en vue d'une comparution immédiate. Le dépôt, situé sous le Palais de justice, est l'un des lieux de détention les plus infâmes de Paris. Des cellules sales, sentant l'urine, sans douche et un unique trou comme WC. "La couverture de ma cellule bougeait toute seule, tellement il y avait du monde dessous", ironise-t-il a posteriori. Lorsque je suis enfermé au dépôt, après 48 heures de garde à vue, c'est la descente aux enfers", se souvient Loïc Canitrot. "A ce moment-là, je me dis que si ça se trouve, le lendemain soir je dormirai à Fleury Mérogis".
Lors de l'audience du 15 décembre 2016, le président du tribunal décide de reporter le procès à septembre 2017 afin que l'instruction soit reprise depuis le début et par un autre service de police. En effet, lors de l'enquête, les fins limiers du commissariat du 7e arrondissement n'ont ni visionné les vidéos des caméras de surveillance (omniprésentes au siège du MEDEF), ni auditionné les témoins présents sur les lieux. Car heureusement, au moment où Philippe Salmon affirme avoir été frappé par Loïc Canitrot, il était entouré de nombreux manifestants.
De son côté, Loïc aura toutes les peines du monde à porter plainte pour le coup reçu aux testicules. Il est renvoyé d'un commissariat à l'autre. A celui du 7e arrondissement, on lui explique qu'à partir du moment où il a annoncé vouloir porter plainte pendant sa garde à vue, sa plainte serait instruite. Son avocate lui apprendra quinze jours plus tard que, contrairement aux déclarations des policiers, aucune plainte n'a été déposée. C'est donc auprès du procureur de la république qu'il portera finalement plainte. "J'ai dû me porter partie civile pour que ma plainte soit instruite", explique le responsable des RP de Jolie môme.. Plus tard, sa plainte sera classée sans suite et il en déposera une nouvelle contre le boute-feu du MEDEF pour "dénonciation calomnieuse". Cette dernière est toujours en cours d'instruction.
Mais ce n'est pas tout. Le MEDEF a aussi porté plainte contre huit intermittents, accusés d'avoir dégradé le rideau de fer de son siège parisien. Les dégradations ont été constatées par huissier, mais les policiers qui se sont rendus sur place ont pour leur part conclu que le rideau de fer fonctionnait et les personnes interpellées ont toutes été relaxées. Elles seront présentes à l'audience pour soutenir Loïc Canitrot.
Ce dernier, qui dénonce une volonté politique de mettre la pression sur celles et ceux qui contestent un ordre social injuste, comme l'ont montré les nombreuses actions en justice à l'encontre de syndicalistes et militants. De son expérience traumatisante -l'arrestation, la garde à vue et l'action judiciaire engagée contre lui- il explique qu'elle lui a beaucoup appris sur le fonctionnement du pouvoir. "Un procès, c'est une épreuve difficile, cela coûte cher financièrement mais aussi en énergie. L'objectif est de dissuader les gens de s'engager dans les mouvements sociaux". Pour ce colosse au calme olympien -il était à la tête de la commission accueil et sérénité de Nuit debout !- les procédures judiciaires ne sont que le prolongement des violences policières, notamment celles qui ont émaillé le mouvement contre la loi travail en 2016. Lui n'a aucun doute que "la justice est l'instrument d'une répression organisée à des fins politiques". Une répression si absurde que, inversant la charge de la preuve, elle l'oblige à démontrer qu'il n'est pas coupable de ce coup imaginaire qui lui est reproché, alors qu'il est lui-même la victime de celui qui l'accuse.
Depuis juin 2016, il croit beaucoup moins en la justice. "Quand tu passes d'une action collective à des poursuites judiciaires individuelles, le risque est de se retrouver isolé. Tu pars pour une action politique et tu te retrouves à la rubrique des faits divers", indique le quadragénaire. Qui réalise qu'il aurait pu finir en prison. "Il se trouve que de nombreux témoins étaient présents sur les lieux, qu'il y a eu des vidéos filmées par des portables, que j'ai une avocate compétente et l'argent pour la payer, ainsi que de nombreux soutiens. Malgré cela j'ai passé 48 heures en garde à vue et une nuit au dépôt et je suis en procédure judiciaire depuis plus d'un an. Alors que, selon lui, il aurait suffi que les policiers visionnent les vidéos de surveillance pour constater qu'il était innocent.
Véronique Valentino
Consulter le dossier mis en ligne sur le site de la Compagnie Jolie môme.