Debt collective aux USA : unis, les endettés peuvent peser contre les créanciers

Interview d’Ann Larson et Laura Hanna (membres de Debt Collective) par Patrick Saurin (CADTM)

Debt CollectiveStrike Debt et Rolling Jubilee : comment sont nés ces mouvements et quel est le rapport entre eux  ?

Le Debt Collective est l’aboutissement du travail militant et d’organisation qui a commencé avec Occupy Wall Street en 2011. Beaucoup d’entre nous, qui avions participé à ce mouvement, partagions le constat que l’endettement, un phénomène qui touche des millions d’Étasuniens, pouvait servir de fondement à une organisation. Après la fin d’Occupy Wall Street, nous avons continué à travailler ensemble, à nous former et à former d’autres citoyens au sujet du problème que constitue l’endettement de masse, afin de rechercher des tactiques et des stratégies d’organisation qui pourraient permettre aux personnes endettées d’exercer un rapport de forces face aux créanciers. Nous avons formé Strike Debtcomme un moyen de mener ces recherches. Nous avons étudié différents types de dettes, notamment la dette médicale (des millions d’Américains sont endettés parce qu’ils ont souffert d’une maladie ou ont eu un accident), les prêts sur salaire (des prêts à très court terme assortis d’un taux d’intérêt très élevé), les amendes, les honoraires et les dettes contractées envers la justice ou l’administration pénitentiaire du fait d’une condamnation à une mise à l’épreuve. Strike Debt a compilé le fruit de ses recherches dans un ouvrage, The Debt Resisters’ Operations manual (Manuel à l’usage des personnes qui résistent à la dette), publié pour la première fois en 2012. Strike Debt a également lancé une initiative intitulée Rolling Jubilee, qui vise à racheter et à abolir des dettes impayées vendues sur le marché secondaire. Aux États-Unis, les dettes sont souvent rachetées et revendues à très bas prix par des agents de recouvrement, qui ensuite, essaient d’obtenir le plein remboursement auprès de la personne endettée. Rolling Jubilee a levé des fonds par le biais du financement communautaire (crowdfunding) et a ainsi annulé 33 millions d’euros de dettes rachetées sur le marché secondaire. Strike Debt et le Rolling Jubilee ont été fondés pour démythifier la dette, remettre en question les politiques d’austérité et constituer une première étape vers l’organisation entre personnes endettées. En 2015, nous avons lancé notre première campagne pilote en tant que Debt Collective. Nous avons collaboré avec d’anciens étudiants d’universités à but lucratif pour lancer la première grève nationale de la dette. Ensemble, nous avons exigé que le gouvernement fédéral annule leurs prêts étudiants. La campagne a obtenu le soutien de plusieurs membres du Congrès et a reçu une couverture médiatique nationale et internationale.


Jusqu’à présent, quels ont été les principaux succès à l’actif de ces groupes  ?

La campagne du Debt Collective aux côtés des anciens étudiants a abouti à l’annulation de certaines de leurs dettes, à hauteur de 600 millions de dollars. La campagne a également conduit à une modification de la loi fédérale : les étudiants endettés disposent désormais d’un droit à contester leurs prêts fédéraux s’ils estiment qu’ils ont été trompés ou escroqués par leur école. Malheureusement, l’administration Trump essaie aujourd’hui de revenir sur ces avancées. Jusqu’à présent, les travaux du Debt Collective ont également contribué à un changement des perceptions chez les citoyens des États-Unis depuis quelques années. Les actions de nos membres ont participé à faire connaître au grand public la notion de résistance à la dette et ont démontré concrètement que les personnes endettées pouvaient avoir du pouvoir en unissant leurs forces et en s’organisant en collectif.


Quels types de relations ces initiatives entretiennent-elles avec d’autres mouvements sociaux aux États-Unis  ?

Le Debt Collective se trouve actuellement aux prémices de la construction d’une organisation par et pour les personnes endettées. Nous menons des actions de soutien à des organisations anticapitalistes, antiracistes et anti-impérialistes et nous nous intéressons à des projets d’économie solidaire. Nous souhaitons tisser des liens de coopération avec des groupes de personnes concernées qui revendiquent la justice en matière de logement et qui défendent les droits des travailleurs. Par exemple, nous travaillons actuellement à un programme de collaboration, qui commence cet automne (ndlr : en 2017), avec une organisation de travailleurs immigrés dans le sud, une région où les problèmes de l’endettement et du racisme sont très étroitement liés. 

Quels liens ces initiatives entretiennent-elles avec les organisations de lutte contre la dette en dehors des États-Unis  ?

Nous menons des actions en solidarité avec des militants et des organisations anti-austérité hors des États-Unis. Bien que nous soyons une nouvelle organisation qui s’est jusqu’à présent concentrée sur des actions nationales, nous avons très envie d’apprendre d’autres militants et de collaborer au niveau international. 

La campagne de Bernie Sanders et le mouvement qu’elle a inspiré ont-ils eu un effet sur les mouvements de lutte contre la dette  ? Si oui, dans quelle mesure  ?

La campagne de Bernie Sanders a transformé la situation politique aux États-Unis. Il s’est ouvertement défini comme socialiste démocrate. Avant Bernie, vous revendiquer socialiste, en une quelconque mesure, vous exposait automatiquement au ridicule et à la dérision. Des millions de gens, en particulier les jeunes, connaissent désormais une autre définition du socialisme, qui recouvre les idées défendues par Bernie : la gratuité de l’université, la couverture universelle des soins de santé, un salaire minimum plus élevé et une taxation plus importante sur Wall Street. Le projet politique de Bernie Sanders tranchait radicalement avec le libéralisme bourgeois porté par Hillary Clinton. Les fiascos du libéralisme sont apparus clairement à un nombre croissant de progressistes au fil de la campagne présidentielle, surtout après la victoire de Trump. Bien que nous ayons assisté à l’expérience d’autres partis comme Syriza, dont nous devons tirer les leçons, le succès populaire inattendu de Bernie Sanders permet d’envisager de nouvelles possibilités pour les États-Unis.

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En quoi la question de la dette est-elle centrale aux États-Unis aujourd’hui  ?

Les personnes qui vivent aux États-Unis doivent souvent s’endetter pour financer leurs besoins élémentaires. L’État n’assure pas beaucoup de prestations sociales. Les travailleurs n’ont pas vu leur rémunération augmenter depuis près de quarante ans. Les services publics sont supprimés ou privatisés, l’«  État-providence  » des années 1960 n’est plus. Cette offensive néolibérale a notamment été menée par le biais de campagnes médiatiques de droite qui, au fil des dernières décennies, ont réussi à convaincre de nombreuses personnes qu’elles ne méritaient rien qu’elles ne puissent se payer elles-mêmes, à leurs propres frais. La droite politique a également contribué à convaincre certaines personnes de tenir pour responsable les immigrés ou d’autres groupes des milieux populaires de leurs problèmes financiers. La dette est un symptôme de ces forces structurelles plus larges et nous voyons dans l’endettement une occasion parfaite de nous former nous-mêmes aux causes réelles de nos problèmes et de bâtir ensemble un rapport de force contre nos créanciers.


Quels sont les objectifs et les perspectives des différents groupes qui luttent contre la dette  ?

Pour comprendre à quoi ressemble cette lutte aux États-Unis, il est important de comprendre que la droite politique domine le discours anti-dette depuis des décennies. C’est le Parti républicain qui est connu pour pester contre les déficits, exiger des budgets équilibrés, et donc promouvoir l’austérité. Depuis que le Parti démocrate s’est soumis à la droite, de nombreux Étasuniens sont convaincus que leur pays dépense trop et que nous risquons de nous ruiner. Une partie du travail des organisations sur la dette consiste donc à mener des campagnes publiques de formation des citoyens et de produire un contre-discours médiatique à même de saper les mensonges de la droite au sujet de la dette et des déficits. L’un de nos principaux objectifs est de faire changer les gens d’avis sur leurs droits économiques et la nécessité d’engager des dépenses publiques, afin que les personnes n’aient pas à s’endetter pour satisfaire leurs besoins fondamentaux. 

À quoi ressemble la vie quotidienne des militants qui s’organisent pour lutter contre la dette  ?

Elle peut être difficile parce que la plupart des personnes lourdement endettées, c’est-à-dire celles qui, a priori, sont les plus susceptibles de rejoindre une organisation comme la nôtre, sont très pauvres. Ce sont des personnes qui luttent en permanence, mentalement, physiquement et émotionnellement contre un système brutal et implacable d’extorsion, de négligence et de désinformation.

Propos recueillis par Patrick Saurin et publiés le 22 janvier par le CADTM

Patrick Saurin a été pendant plus de dix ans chargé de clientèle auprès des collectivités publiques au sein des Caisses d’Épargne. Il est porte-parole de Sud Solidaires BPCE, membre du CAC et du CADTM France. Il est l’auteur du livre « Les prêts toxiques : Une affaire d’état ». Il est membre de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce, créée le 4 avril 2015.

Le CADTM, ex Comité pour l'abolition des dettes du tiers-monde est le Comité pour l'abolition des dettes illégitimes. Le CADTM, basé en Belgique, est une ONG de développement qui utilise la dette comme angle d’analyse pour aborder les problèmes de développement et proposer des alternatives en vue de l’émancipation des peuples.