Marcus, condamné à six mois de prison ferme pour avoir manifesté pacifiquement contre Bolloré

Cet après-midi, Marcus, un militant fortement investi dans les luttes sociales, anticoloniales et auprès des exilés, comparaît en appel pour avoir participé à une manifestation pacifique en 2016, lors de l'assemblée générale des actionnaires du groupe Bolloré. En première instance, en juin 2016, Marcus avait écopé de six mois de prison ferme. Il est accusé de violences sur deux policiers alors qu'il a lui-même été brutalisé par la police.

A 36 ans, Marcus cumule une expérience militante impressionnante. Ce militant noir, d'origine ivoirienne, se considère d'ailleurs comme un trait d'union entre les luttes sociales, celles concernant les ex-colonies françaises et le soutien aux exilés. Son premier engagement, c'était en 2002 lors de la première guerre d'Irak. Puis il y a eu le CPE (contrat première embauche qui devait établir un SMIC jeunes), la loi travail en 2016, l'engagement sur le camp de migrants de la Chapelle et bien d'autres investissements militants.

Avec un tel pedigree militant, on ne sera pas surpris d'apprendre que ce membre de la brigade antinégrophobie était depuis longtemps dans le viseur de la police, ce qui lui a valu plusieurs interpellations en fin de manif. Celui qui a manifesté plus d'une fois contre la politique néo-coloniale, notamment dans son pays d'origine, la Côté d'ivoire/. S'il refuse de prendre position pour Laurent Gbagbo, mais il a à plusieurs reprises manifesté contre l'ingérence française en faveur de Alassane Ouattara, le candidat du FMI et des puissances occidentales.

En 2011, cela lui a valu plusieurs gardes à vue pour outrages, rébellion et violences à l'encontre de membres des forces de l'ordre, alors qu'il avait lui-même été bastonné par des CRS. Lors d'un rassemblement panafricaniste qui se poursuit dans le RER à Châtelet les halles, il s'interpose entre manifestants et agents de sécurité de la RATP. Il sera condamné à deux semaines de TIG.

Le 22 novembre 2015, il participe à un rassemblement organisé place de Bastille à République en faveur des réfugiés, mais interdit par la préfecture. Pendant une heure, le rassemblement se déroule sans heurts, puis dégénère, lorsque les CRS tentent de bloquer les manifestants. Depuis longtemps repéré par la police, il explique que l'un des CRS présents ce jour-là l'aurait averti. "Eloigne-toi de là parce que mes responsables ils te veulent", aurait déclaré le policier.  Ce jour-là, il est gazé, comme l’ensemble des manifestants, mais reçoit aussi des coups de pieds. 

Deux semaines plus tard, Marcus est convoqué au commissariat. Lorsqu'il se rend sur place, il est immédiatement placé en garde à vue. Identifié comme l'un des meneurs, ce militant qui attire l'attention avec sa coupe afro, refuse de donner son ADN et de répondre aux questions des policiers. Lors du procès, en juin 2016, la procureure requiert huit mois de prison dont quatre avec sursis. Elle ne sera pas suivie par le tribunal qui le condamne finalement à 500 euros d'amende pour participation à une manifestation interdite et 140 euros de frais de justice. Il faut se rappeler que ces condamnations-là -TIG, amendes, rappel à la loi et autres sanctions alternatives à la prison- ne sont jamais anodines. Lors d'un nouveau procès, elles seront non seulement rappelées, orientant la décision du tribunal, mais en cas de sursis, elles peuvent aussi conduire à ce que l'accusé soit condamné à de la prison ferme. C'est ce qui avait abouti à la condamnation à de la prison ferme de Frédéric Raguénès, vidéaste pacifique, qui avait finalement été relaxé en décembre dernier.

Car le 3 juin 2016, il participe à une nouvelle manifestation. Une centaine de personnes dont il fait partie se sont rassemblées devant la Tour Bolloré à Puteaux, à l'appel de ReAct, un réseau qui combat les injustices sociales et environnementales. Les manifestants entendent dénoncer la mainmise de Bolloré sur les terres africaines, réservées pour la production intensive d'huile de palme et d'hévéa, qui menace l'agriculture vivrière locale. Les militants rassemblés entendent sensibiliser les actionnaires du groupe qui tient ce jour-là son assemblée générale. Marcus est présent, il est venu avec son mégaphone, qu'il prêt aux militants de ReAct.

Alors qu'un groupe se tient à l'entrée principale, Marcus est affecté à une porte latérale. Là, il discute paisiblement avec un actionnaire, lorsque le groupe principal placé devant l'entrée principale décide de quitter les lieux, oubliant les autres manifestants. Le petit groupe isolé est encerclé par la police. Alors qu'un policier l'interrompt, Marcus explique qu'il souhaite simplement continuer la conversation qu'il a entrepris avec l'un des actionnaires. Ce que les policiers qui répliquent violemment -Marcus reçoit une gifle vigoureuse qui manque de casser ses lunettes- est interprété comme un outrage.

 

Les policiers expliquent alors au petit groupe de manifestants qu'ils encerclent que la manifestation est terminée et ceux -ci comprennent que les autres sont partis. Marcus décide alors de courir dans leur direction pour récupérer son mégaphone sans réussir à les rattraper. Il fait donc marche arrière et retourne vers les manifestants oubliés devant la porte latérale. C'est là qu'il est violemment plaqué au sol et frappé à terre. Conduit au commissariat de Puteaux, il apprend qu'il est accusé de violences par deux policiers, dont l'un a obtenu six jours d'ITT. Selon Maqrcus, celui-ci s'est lui-même blessé à la main alors qu'il tentait de lui faire lâcher son téléphone, qu'il récupérera cassé.

Au commissariat, il refuse de parler. Il est placé deux jours en garde à vue, puis passe la nuit au dépôt avant d'être emprisonné deux jours à Nanterre. Ce qui lui vaut de perdre son job en intérim, qui devait déboucher sur un CDI. Poursuivi pour outrage, rébellion et violences, il est jugé en comparution immédiate et condamné à à six mois de prison ferme. Il ne sera relâché le jour même du procès qu'aux environs de 23 heures. Il est aussi condamné à verser 1 100 euros de dommages-intérêts aux policiers et 400 euros d'amende, pour outrage et rébellion et refus de signalétique et de prélèvement ADN. La vidéo sur laquelle s'appuie la justice pour emprisonner Marcus n'a jamais été produite. En revanche, sur la vidéo publiée le lendemain de la manifestation sur Youtube, il est visible qu'à aucun moment le militant ne se débat.

Ce mardi, les soutiens du militant marcheront du Château de Versailles à la Cour d'appel pour protester contre cette condamnation injuste d'un militant pacifique. Une page Facebook "Libérez Marcus" a été créée ainsi qu'une cagnotte sur le pot commun afin de financer les frais de sa défense.

Véronique Valentino

Consulter la page Facebook "libérez Marcus" ici