Fausse bombe en marge de la COP 21 : la montagne accouche d'une souris

Le délégué CGT et militant du Secours rouge arabe Georges Louis a été condamné vendredi à un stage de citoyenneté. Confondu par son ADN, il était accusé d'avoir déposé, en décembre 2015, une fausse bombe pour protester contre l'interdiction des manifestations lors de la COP 21.

C'était jeudi dernier. En marge d'une manifestation en soutien des lycéens de Bergson, victimes de violence policière et pourtant condamnés par la justice alors que leurs droits, en tant que mineurs, ont été bafoués. Alors que les manifestants se rassemblent place Stalingrad à l'appel de la coordination contre la répression et les violences policières, on apprend que Georges Louis, militant CGT déjà condamné à cinq mois de prison avec sursis pour des faits de violence à l'encontre des forces de l'ordre (voir notre article de décembre dernier), avait été arrêté la veille.

Natacha, sa compagne, originaire du Chili, racontait comment la police était intervenue à leur domicile de Montrouge pour perquisitionner le mercredi matin aux environs de cinq heures du matin. Après avoir défoncé la porte, la douzaine de policiers (deux fourgons plus des véhicules civils) de la compagnie de sécurisation et d'intervention ont entièrement retourné l'appartement. Ils ont saisi les deux portables du couple ainsi que deux ordinateurs et ont emmené Georges Louis, qui sera placé en garde à vue le jour même au commissariat de la plaine Saint Denis.

Débute alors une longue attente, car à ce moment-là, personne ne sait pourquoi Georges Louis est de nouveau placé en garde à vue. Beaucoup supputent que cette nouvelle arrestation est liée à son procès en décembre dernier. On décide de se rendre en soutien devant le commissariat de la Plaine Saint-Denis. Là, après nous avoir assuré que Georges Louis a pu rencontrer son avocat, des policiers nous indiquent "il a fait une connerie", sans plus de précision. A ce moment-là, même sa compagne Natacha ignore tout des raisons de l'interpellation.

C'est à 23 heures, en écoutant le journal de France inter, alors que nous dînons ensemble dans un restaurant situé près de la gare du Nord, qu'on apprend qu'un militant d'extrême gauche, âgé de 44 ans, a été placé en garde à vue pour avoir posé une fausse bombe artisanale, près de la gare RER du Bourget lors de la COP 21, en décembre 2015. Selon Emmanuel Leclerc, son ADN aurait matché avec celle retrouvée sur les lieux. L'homme arrêté "serait un activiste déjà bien connu dans les milieux de l'extrême gauche", relève le journaliste de France Inter, qui ajoute qu'il aurait reconnu les faits et sera déféré vendredi en comparution immédiate devant le tribunal de Bobigny.

L'information est confirmée par le Parisien, à l'origine de ces révélations avec France Inter. A lire le quotidien, la culpabilité de Georges Louis ne fait aucun doute, puisqu'il a reconnu les faits. Le Parisien précise cependant que la bombe n'avait pas vocation à exploser, puisqu'elle n'était pas connectée. L'engin déposée dans un sac près de la gare RER se composerait d'une bonbonne de gaz, d'une canette remplie d'éthanol, de clous, de fils et d'un téléphone, scotchés ensemble, mais sans système de mise à feu connecté. En fait, le lendemain, au tribunal de Bobigny, on apprendra qu'il n'y a jamais eu de clous, l'information ayant visiblement été ajoutée pour dramatiser la "tentative d'attentat".

Après l'écoute du journal de 23 h, les proches de Georges Louis, amis et camarades, peinent à croire que le militant CGT, très actif dans le mouvement social, ait pu commettre un acte de cette nature. Certains suspectent une tentative de manipulation de la part de la police ou que, peut-être, dans le prolongement de sa condamnation en décembre dernier, les policiers aient pu juger bon de perquisitionner ses moyens de communication pour recueillir des renseignements supplémentaires sur son activité militante. Mais le trouble est palpable, car selon les deux médias à l'origine des révélations, le militant aurait reconnu les faits. Quant à son ADN, on se souvient qu'elle avait été prélevée lors de son arrestation le 10 octobre dernier, lors d'une manifestation contre les ordonnances Macron. On se donne donc rendez-vous le lendemain après-midi au tribunal de Bobigny pour en savoir plus.

Pourtant, plusieurs points intriguent. Comment comprendre, si, comme l'expliquent Le Parisien et France Inter, la gravité des faits est avérée, que l'accusé puisse être jugé en comparution immédiate ? En effet, la comparution immédiate s'applique pour des faits simples et clairs, lorsqu'une enquête poussée n'est pas nécessaire. De plus, elle est décidée par le procureur. Nous apprendrons le lendemain que l'accusé et son avocat ont accepté la comparution immédiate.

L'appartement de Georges Louis après la perquisition du 17 janvier 2018.

L'appartement de Georges Louis après la perquisition du 17 janvier 2018.

 

Le lendemain, vendredi 19 janvier, débute la longue session des comparutions immédiates devant la 13e chambre correctionnelle du tribunal de Bobigny, spécialisée dans les affaires de stupéfiants, un point intriguant de plus. Dans la salle, les soutiens sont nombreux. Après une journée de travail et de longues heures la nuit précédente à essayer de retrouver les documents, demandés la veille par son avocat, dans le maelström laissé par les policiers dans l'appartement perquisitionné, Natacha arrive vers 16h, pour expliquer que l'avocat, Me Jean-Louis Chalanset, ne pourra se présenter au tribunal qu'en fin de journée.

Aux environs de 17h30, Me Chalanset arrive enfin. Le temps d'éplucher le dossier et le procès commence. Georges Louis fait son entrée dans le box de verre. La présidente du tribunal lit l'acte d'accusation. On apprend donc que le 8 décembre au matin, alors que débute la COP 21, un gendarme de la brigade cynophile a repéré un sac plastique près de la station RER du Bourget. Le chien ayant marqué l'arrêt, les démineurs sont appelés et trouvent dans ce sac une bonbonne de gaz du type réchaud quasi vide, une canette contenant de l'éthanol, de l'acétone et autres produits inflammables, ainsi qu'un téléphone portable, scotchés ensemble. Mais, relèvent-ils, aucun détonateur n'est connecté.

Deux ans après les faits, Georges Louis peine à s'expliquer. La fausse bombe artisanale n'avait pas vocation à exploser, reconnaît la présidente du tribunal, mais aurait pu provoquer un mouvement de panique. Non, selon le militant, qui explique l'avoir déposé le soir en pensant qu'elle serait retrouvée dès le matin, ce qui s'est effectivement produit. D'une voix faible il explique avoir voulu protester contre les interdictions de manifester et les interpellations de militants en marge de la COP 21, mais nie avoir voulu commettre une tentative d'attentat. Il espérait simplement attirer l'attention sur les conséquences de l'état d'urgence et ses répercussions sur le droit de manifester.

Une explication pas vraiment du goût de la procureure qui tentera de faire croire que la fausse bombe aurait pu malgré tout provoquer une explosion si quelqu'un avait jeté un mégot dessus. Ce que contredira l'avocat. Après avoir évoqué le contexte -des dizaines de militants écologistes perquisitionnés et assignés à résidence et des manifestations interdites lors du sommet sur le climat- Me Chalanset rappelle que la France a été condamnée par de nombreuses instances internationales. Dernière condamnation en date, celle du Comité des droits de l'homme de l'ONU, le vendredi matin. A Genève, le comité a dénoncé "des mesures d’exception mises en place depuis trois ans (..) de manière abusive et discriminatoire, sans prouver leur efficacité".

Si cet acte de protestation était tout à fait maladroit, selon Jean-Louis Chalanset, il n'avait rien à voir avec les attentats terroristes de novembre 2015, qui a rappelé que "le droit de se révolter est légitime". Il a contesté les arguments du parquet expliquant que l'engin n'avait aucune chance d'exploser, à moins que des explosifs ne soient employés pour le désamorcer. Enfin, concernant la panique qu'aurait pu déclencher le geste du militant, il a rappelé qu'à cette période, il y avait eu des dizaines de faux attentats et que les autorités n'auraient eu aucun intérêt à annoncer publiquement ce simulacre d'attentat. 

Contre "l'apprenti artificier", la procureure a requis de la prison ferme, car "la gravité des faits l'impose". Elle a demandé une condamnation à 18 mois de prison, peine aménageable, afin de tenir compte de l'insertion sociale de l'accusé. Elle proposait la pose d'un bracelet électronique, ce qui permettrait de "garder un oeil" sur Georges Louis. Une réquisition qui n'a pas été suivie par le tribunal qui l'a finalement condamné à un stage de citoyenneté de six mois à ses frais. Une condamnation pour le principe d'un acte surtout symbolique, accueillie avec soulagement -et même un début d'applaudissement- par l'accusé et ses proches. Sous réserves que le parquet ne fasse pas appel du verdict. Après 48 heures de fièvre, la montagne a donc accouché d'une souris. Les juges, comme le parquet, qui n'a pas fait preuve de maximalisme pour cette fois, seront tombés d'accord pour ne pas condamner lourdement un militant politique sans doute monté un peu vite en pression.

Véronique Valentino