Contrats aidés : attention, méga plan social en cours

Le gouvernement accuse les contrats aidés d’être inefficaces en termes d’accès à l’emploi et coûteux. Deux critiques qui reposent sur des données partielles et des arguments fallacieux. Aujourd’hui, face au tollé, il fait marche arrière et parle de mieux les cibler. Mais le premier ministre entend malgré tout sabrer dans ces emplois qui profitent pourtant à la collectivité.

DI1QzceXUAEyizF.jpg

Les contrats aidés sont-ils « onéreux » et « peu efficaces », comme le prétendent le premier ministre et la ministre du travail ? Sont-ils une « perversion du droit du travail » comme le clame Emmanuel Macron dans l’interview qu’il a accordée au Point la semaine dernière ? Le gouvernement a en tout cas dû mettre un peu d’eau dans son vin, réalisant qu’en rayant d’un trait de plume des dizaines de milliers d’emplois aidés, il marchait sur des œufs. Au point de désorganiser la rentrée scolaire à la Réunion, où 19 maires sur 24 avaient dû reporté la reprise des cours de cinq jours. En métropole, ce sont surtout les maires de communes rurales qui sont montés au créneau. Sans ces emplois, impossible d’assurer les activités périscolaires, les études surveillées, la cantine ou encore le gardiennage dans certaines écoles. Les associations sont également sévèrement touchées. Pour tenter d’éteindre l’incendie, Edouard Philippe a dû annoncer dimanche dernier, sur l’antenne de France Inter, que la suppression d’un poste de cuisinier travaillant pour les restaus du cœur de Grenoble ne correspondait pas « aux orientations fixées ». « Des contacts ont été pris » pour rétablir le poste, a ajouté le premier ministre. Mais les autres ? Ce qui est ahurissant, comme pour la baisse des APL, c’est non seulement le manque d’anticipation, mais aussi l’incompréhension du fonctionnement des associations et des communes rurales ainsi que l’ignorance totale de ce que vit une grande partie de la population.

Des dizaines de milliers de contrats supprimés

Le gouvernement a donc dû rectifier un peu le tir. La ministre du travail avait déjà annoncé le 25 août que les contrats aidés seraient davantage ciblés sur les personnes les plus éloignées de l’emploi et sur certains secteurs : urgence sanitaire et sociale, accompagnement des élèves handicapés et collectivités d’Outre-mer. Le gouvernement a dû consentir in extremis une rallonge de 400 millions d’euros et porté le nombre de contrats pour 2017 de 280 000 à 310 000. Une goutte d’eau sachant que fin 2016, plus de 490 000 personnes étaient employées en contrats aidés (contrats d’avenir pour les jeunes sans qualification, insertion par l’activité économique (IAE), CUI-CIE pour le secteur marchand et CUI-CAE pour le non-marchand). Certes, le précédent gouvernement n’en avait budgété que 280 000 pour 2017 et les deux tiers des crédits avaient été épuisés dès le premier trimestre de l’année. Mais l’usage était jusqu’ici d’ajuster le budget aux besoins. Or, en annonçant une réduction de près de la moitié de ces contrats en milieu d’année, le gouvernement d’Edouard Philippe a plongé dans le désarroi de nombreux salariés, jeunes, séniors, chômeurs de longue durée, habitants de quartiers prioritaires, bénéficiaires de minima sociaux et personnes handicapées.

Des emplois utiles à la collectivité

Cela n’a pas empêché Edouard Philippe de confirmer une diminution encore plus forte des contrats aidés financés en 2018, qui devraient passer sous la barre des 200 000. Pour le premier ministre, « ces contrats sont en réalité des emplois précaires financés par l’Etat, donc par le contribuable ». Ce qui n’est pas totalement faux mais qui ne manque pas de sel, venant d’un gouvernement qui a placé en tête de ses préoccupations la facilitation des licenciements. C’est ignorer que les contrats aidés visent au moins trois objectifs. En période de chômage, ils permettent de créer des emplois rapidement. Ils ont aussi vocation à « favoriser l’emploi des personnes particulièrement éloignées du marché du travail », comme le note la Dares, dans une synthèse de mars 2017. « En abaissant leur coût du travail via des aides à l’employeur, marchand ou non-marchand, et en rendant ces candidats ‘plus visibles’ par les employeurs, note le rapport, les contrats aidés cherchent à rééquilibrer le marché du travail en leur faveur ». Enfin, la plupart des emplois créés, tant par les associations que par les communes, sont des emplois utiles à la collectivité.

Des chiffres fallacieux et des arguments de mauvaise foi

Mais ces contrats sont-ils aussi inefficaces que le suggère la ministre du travail ? Selon cette dernière, un bénéficiaire sur quatre seulement, dans le secteur non-marchand, retrouverait un emploi durable. Chiffre issu d’un rapport de la Cour des comptes, sauf que la ministre oublie de préciser que celui-ci ne porte que sur l’insertion des jeunes, qui ne représentent que 33% des bénéficiaires, tous contrats confondus. Quid des 49% de personnes âgées de 26 à 49 ans et des 18% de séniors de plus de 50 ans qui ont retrouvé un emploi grâce à ces dispositifs ?

Des résultats pas si mauvais

Selon une étude de la Dares de mars 2017, les résultats ne sont pas si dramatiques. 67% des personnes ayant été recrutés en CUI-CIE (secteur marchand) et 41% des CUI-CAE (non-marchand) avaient retrouvé un emploi six mois après la fin de l’aide de l’Etat. Une différence qui s’explique par le fait que les bénéficiaires d’un CUI-CAE sont plus souvent bénéficiaires de minima sociaux ou sans diplôme. Autant de personnes confrontées à des difficultés importantes d’accès à l’emploi. Si l’étude de la Dares reconnaît que dans le secteur marchand les employeurs auraient de toute façon recruté, bénéficiant d’un « effet d’aubaine », il n’est pas certain qu’ils auraient en revanche recruté les profils concernés. A savoir des plus de 50 ans qui représentent 30% des embauches en CUI-CIE. Les contrats d’avenir ont pour leur part bénéficié à des jeunes peu diplômés et expérimentés. Auraient-ils trouvé un emploi sans cela ? C’est la vraie question. Mais les conclusions de la Dares sont beaucoup moins péremptoires que celles de la ministre du travail, puisque les auteurs reconnaissent que « ces taux d’insertion ne permettent pas d’estimer et de comparer l’efficacité de ces dispositifs ». On est loin de l’échec total décrit par Muriel Pénicaud.

Une politique de l’emploi moins coûteuse que le CICE

L’autre argument c’est que les contrats aidés coûteraient cher à l’Etat. Selon la Cour des comptes, qui les étrille à plaisir, leur coût serait passé de 3,4 milliards d’euros en 2014 à 4,2 milliards en 2016. Cela peut sembler beaucoup, mais ne correspond qu’à 1% du budget de l’Etat. Rappelons que les exonérations de charges accordées aux entreprises représentaient 30 milliards d’euros en 2010. Un montant qui s’est encore accru depuis la création sous François Hollande du CICE. Le crédit d’impôt compétitivité emploi devait créer un million d’emplois, comme l’annonçait fièrement le pin’s porté par Pierre Gattaz, le président du MEDEF, lors de l’annonce du pacte de responsabilité de Hollande. Or, selon les meilleures estimations, il n’aurait permis de créer ou de maintenir que 50 000 emplois à 100 000 emplois en 2013 et 2014, pour un coût de 20 milliards par an . Soit au minimum 200 000 euros par emploi créé…

Des cadeaux aux plus riches et des navets pour les pauvres

A titre d’exemple, la réforme de l’ISF représente un manque à gagner de trois milliards d’euros au minimum pour l’Etat et non deux milliards comme annoncé. Et l’allégement de la taxation du capital, grâce à l’instauration d’une taxe forfaitaire unique de 30%, coûtera quatre autres milliards, selon l’OFCE. Négligeable pour les plus pauvres, modéré pour les classes moyennes, l’effet des mesures promises par Emmanuel Macron profitera surtout aux 10% les plus riches. Et même aux très riches, puisque selon l’OFCE, ce sont les 280 000 ménages les plus aisés, qui tireront le mieux leur épingle du jeu. La suppression des contrats aidés, elle, a déjà des conséquences dramatiques pour les personnes concernées.

Une purge budgétaire extrêmement brutale

Alors les emplois aidés dans tout ça ? La réalité est que la volonté de Macron et de son gouvernement de réduire le déficit pour faire passer la dette sous la sacro-sainte barre des 3%, dans l’espoir de pouvoir négocier avec Angela Merckel, entraîne des coupes claires dans les budgets de l’Etat. On a déjà pu constater la disparition de ministères comme celui du logement, de la ville, de la jeunesse ou de la fonction publique. Il faudra aussi observer attentivement le projet de loi de finances pour 2018, la baisse du nombre de contrats aidés n’étant que l’une des conséquences d’une purge budgétaire qui s’annonce extrêmement brutale. Si les contrats aidés sont effectivement des contrats précaires et mal payés, ils sont devenus indispensables pour une grande partie de leurs bénéficiaires, qui sans eux resteraient au chômage, mais aussi au secteur associatif et aux collectivités locales, notamment les plus petites et celles des zones rurales ou des quartiers prioritaires. Et cela pour deux raisons : la baisse des ressources des collectivités et celle des subventions aux associations.

Des collectivités locales et des associations exangues

La suppression de la taxe professionnelle a fortement affecté les ressources des  collectivités publiques ces dernières années. Une situation qui va s’aggraver avec la suppression de la taxe d’habitation promise par Macron. Sans compter les coupes décidées en catimini. Après avoir promis lors de la Conférence nationale des territoires, le 17 juillet dernier, qu’il ne baisserait pas les dotations de l’Etat en 2018, Macron a signé un décret annulant 300 millions d’euros destinés aux collectivités territoriales. D’année en année, les ressources que l’Etat accorde aux collectivités se réduisent comme peau de chagrin, ce qui ne permet plus aux plus petites d’investir. D’où le recours croissant aux contrats aidés, qui deviennent pour des communes étranglées financièrement l’une des seules manières de gérer l’emploi. Quant aux associations, la baisse des crédits finançant le service public, avait historiquement amené les collectivités à déléguer de nombreuses missions au secteur associatif. Or, les subventions aux associations ont chuté, notamment celles accordées par les… communes. Culture, social, insertion, etc. : quel que soit le domaine, les subventions baissent. Les financements qui restent sont accordés sur projet et appel d’offres, ce qui pénalise les petites associations. Pourtant, le secteur associatif représentait en 2014 plus d’un million de structures et un emploi sur dix dans le privé, soit 1,8 millions.

25 000 emplois aidés dans le secteur de la santé

C’est donc un méga plan social qui est en train de s’accomplir silencieusement depuis plusieurs années. Dramatique, car historiquement les associations ont été amenées à assumer de nombreuses missions d’intérêt général. Dans les écoles, ce sont 45 000 auxiliaires de vie scolaire qui accompagnent les élèves handicapés. Le secteur de la santé emploierait 25 000 contrats aidés, dont la moitié en EHPAD. Les personnels qui y travaillent dénoncent des situations de maltraitance du fait du manque d’effectifs. Ce qui n’empêche pas Christophe Castaner, porte-parole du gouvernement, de dénoncer la substitution d’emplois titulaires par des emplois précaires, oubliant que la dotation aux établissements de retraite publics devrait baisser de 200 millions d’euros par an… Ce qui ne devrait pas aider les EHPAD à embaucher. Cet exemple suffirait à démontrer la mauvaise foi intrinsèque de cette critique des emplois aidés par un gouvernement qui vient de publier des ordonnances réformant le Code du travail pour accroître la flexibilité, nouveau nom plus glamour de la précarité.

Véronique Valentino

Lire l'étude de mars 2017 de la Dares sur les contrats aidés : http://dares.travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/2017-021v2.pdf