Réforme du Code du travail : la grande braderie des accords d’entreprise

Non seulement la réforme du Code du travail va faciliter les licenciements, mais elle va ouvrir un véritable boulevard à la négociation d’entreprise. Avec un risque de dumping social généralisé et l’institutionnalisation d’un marché du travail à deux vitesses.

Autoriser les employeurs à négocier au plus près de leurs intérêts, c’est-à-dire dans l’entreprise. C’est l’un des points centraux de la réforme du Code du travail qu’ont présenté jeudi dernier le premier ministre et la ministre du travail. Parmi les dispositions du texte -160 pages- des cinq ordonnances qui entreront en vigueur dès la fin septembre, deux dispositions vont s’avérer particulièrement dévastatrices pour le droit du travail. La négociation d’accords directement au niveau de l’entreprise, pour tout ce qui ne dépend pas des branches professionnelles, devrait entraîner une course au moins-disant social. Quant à la possibilité de négocier sans les syndicats dans les entreprises de moins de 50 salariés, elle va organiser durablement un marché du travail à deux vitesses. Explications.

Les branches professionnelles renforcées aux dépens du Code du travail

Dorénavant, les principales mesures concernant les salariés seront élaborées au niveau des branches ou directement au sein de l’entreprise. Seront négociables par les branches professionnelles, les salaires minima, les classifications, le recours aux CDD, à l’intérim et aux CDI d’opération, c’est-à-dire un élargissement du CDI de chantier hors secteur du bâtiment, qui était jusqu’à présent le seul ou ces CDD sans prime de précarité avaient cours. Les branches définiront aussi la durée du temps partiel, celle des périodes d’essai, la mutualisation de la prévoyance et des autres fonds paritaires, mais aussi l’égalité hommes-femmes et l’insertion professionnelle des personnes handicapées ou les conditions de désignation des élus du personnel.

Des accords d’entreprise pour tout le reste

Si la réforme du Code du travail réforme en profondeur l’architecture du droit du travail, elle n’a officiellement pas touché à certains éléments : le SMIC, la durée du travail qui reste fixée à 35 heures, le contrat de travail à durée indéterminée, l’égalité hommes-femmes et les dispositions concernant les travailleurs handicapés. Officiellement du moins, car les accords d’entreprise pourront déroger largement à la loi pour peu que cela soit nécessaire « au fonctionnement de l’entreprise ou en vue de préserver, ou de développer l’emploi ». Autant dire dans tous les cas. Les entreprises pouvaient déjà augmenter la durée du travail sans augmenter les salaires en cas de difficultés économiques. Elles le pourront encore plus facilement demain. Des mesures bien connues dans l’industrie automobile. A l’usine Smart de Hambach, en Moselle, après refus des syndicats mais validation par un référendum d’entreprise, le temps de travail est passé de 35 heures à 39 heures, payées 37, courant 2016. Dans d’autres entreprises la baisse du salaire horaire s’est faite par la suppression de RTT. Mais l’objectif reste le même : diminuer le coût du travail tout en augmentant la productivité.

Le grand fourre-tout des accords d’entreprise

Les accords d’entreprise pourront décider du montant des primes, excepté celles prévues pour les travaux dangereux ou insalubres, qui relèvent de la branche professionnelle. En revanche, les primes d’ancienneté, de 13e mois, de garde d’enfants ou pour le travail de nuit, pourront être négociées au niveau de l’entreprise. D’autres mesures auront également un impact à la baisse sur les salaires. Il sera par exemple possible de modifier le calendrier des négociations et leur contenu. Exit donc les négociations annuelles obligatoires qui obligeaient employeur et syndicats de salariés à se mettre d’accord chaque année sur des thèmes prévus par le Code du travail dans les entreprises de plus de 50 salariés : rémunérations, durée et organisation du travail, égalité hommes-femmes, maintien dans l’emploi des salariés handicapés, etc. Exemple révélateur régulièrement cité par la ministre Muriel Pénicaud : le cas d’une entreprise comprenant majoritairement des trentenaires, qui pourrait décider de remplacer une prime d’ancienneté prévue par la convention collective par une prime de garde d’enfants. Naturellement, la ministre n’envisage à aucun moment que l’entreprise puisse accorder les deux à ses salariés. On imagine déjà les conflits qui pourraient naître entre salariés jeunes et plus âgés lorsqu’il s’agira d’arbitrer entre prime d’ancienneté ou prime de garde d’enfants…

Des accords majoritaires simplifiés

Le contenu potentiel des accords d’entreprise est donc extrêmement vaste, tout ce qui ne relève pas de la branche professionnelle pouvant être négocié au niveau de l’entreprise, mais leur mode de négociation et de validation est un autre sujet d’inquiétude. Dans les entreprises de plus de 50 salariés, ce qui change c’est que les accords d’entreprise devront être signés par des organisations syndicales représentant au moins 50 des voix contre 30% auparavant ou par des organisations minoritaires après validation par référendum. L’organisation du référendum sera possible à l’initiative de l’employeur, mais les syndicats majoritaires pourront s’y opposer.

Des négociations sans syndicats dans les TPE-PME

Mais c’est dans les petites entreprises que la réforme du Code du travail va le plus loin. Dans les PME de moins de 50 salariés, les patrons pourront discuter avec un élu du personnel non syndiqués. Jusqu’ici, la négociation dans ces entreprises n’était possible qu’avec un élu mandaté par un syndicat. Enfin, dans les TPE de moins de 20 salariés, le chef d’entreprise pourra discuter directement avec un salarié non élu, puis soumettre les accords au vote sur tous les sujets : rémunération, durée et organisation du travail, primes, etc. Jusqu’ici cette possibilité n’existait que sur certains sujets spécifiques, comme le travail du dimanche ou l’intéressement. Les accords devront être ratifiés par les deux tiers des salariés.

L’institutionnalisation d’un marché du travail à deux vitesses

C’est donc un marché du travail à deux vitesses qui va s’organiser. Il existe déjà en partie, mais la réforme va encore accroître le fossé qui sépare les grandes entreprises des TPE-PME. Dans les premières, des rémunérations élevées, un 13e ou 14e mois, des primes et des aménagements du temps de travail négociés par des élus du personnel compétents. Dans les secondes, des salariés peu protégés, des salaires qui peinent à décoller du SMIC, des heures supplémentaires non payées et l’entrave généralisée au droit syndical. Ce sont deux sociétés qui évolueront en parallèle, sans jamais se croiser. Quelle chance y a-t-il pour que des jeunes sortant d’une famille de CSP+, ayant suivi des études supérieures dans un établissement réputé et possédant un diplôme prestigieux, comprenne la réalité des jeunes galériens sans qualification, appelés à enchaîner CDD et périodes de chômage ? Poser la question, c’est déjà y répondre.

Véronique Valentino

Consulter le texte des ordonnances réformant le Code du travail : http://www.gouvernement.fr/les-ordonnances-pour-renforcer-le-dialogue-social