Pourquoi la réforme du code du travail (qui devait créer des emplois) est une arnaque

Le gouvernement et le MEDEF nous ont vendu la réforme du code du travail comme indispensable pour en finir avec le chômage de masse. Aujourd’hui, ils semblent beaucoup moins catégoriques. Et pour cause, aucune étude sérieuse ne montre un lien entre flexibilisation du marché du travail et création d’emploi.

C’était en août dernier. Sur un plateau de LCI, trois économistes planchaient sur les conséquences à attendre de la réforme du code du travail. Et là, surprise, voici que Christopher Dembik, économiste chez Saxo Banque, mais aussi Nicolas Goetzman, responsable du pôle économie chez Atlantico, deux économistes pas franchement de gauche, vendent la mèche qui ne demanderait à coup sûr qu’à être allumée : la réforme du code du travail ce serait d’abord plus de chômage à court terme. On s’est frotté les yeux, passé les oreilles au coton tige, avant de vérifier qu’on avait bien entendu. Raison invoquée pour ces dégâts collatéraux qui ne devrait pas réjouir le gouvernement : les entreprises saisiraient l’occasion d’une réforme qui entend « sécuriser les licenciements » pour se débarrasser de leurs salariés en sureffectif. Ce n’est pas vraiment ce que met en avant le gouvernement.

Créations d'emplois ? Pas certain selon le gouvernement et le MEDEF

Je suis certaine que vous avez entendu, comme moi, Emmanuel Macron déclarer pendant la campagne électorale et au tout début de son mandat, que le dégraissage de cet épais et poussiéreux Code du travail allait créer des emplois et permettre d’en finir avec le chômage de masse. Dans son interview fleuve au Point, qui date de cet été, le message se fait plus subliminal. Pas de créations d’emploi mises en avant, mais tout de même, de quoi Macron parle-t-il quand on lui pose la question de savoir ce qui rend si indispensable la réforme du code du travail ? De la France qui serait le seul grand pays d’Europe à connaître un chômage de masse. Outre que c’est faux, l’Italie et l’Espagne ayant des taux de chômage plus élevés que les nôtres alors qu’elles ont considérablement allégé la protection de l’emploi, cela revient à admettre, au moins implicitement, que cette réforme a pour objectif la création d’emplois. Argument repris d’ailleurs clairement par Edouard Philippe début septembre. Dans une interview au Jdd, il explique que « les cinq ordonnances [réformant le code du travail] répondent aux objectifs que nous nous étions fixés : apporter plus de souplesse à notre droit du travail pour libérer les énergies, favoriser la création d’emplois, tout en créant de nouvelles sécurités ».

Pas de tsunami en faveur de l'emploi

Ces derniers temps, lorsqu’ils sont directement interrogés sur les implications des ordonnances en matière de création d’emploi, les responsables gouvernementaux ou patronaux évacuent la question en expliquant que la réforme du code du travail ne suffit pas à elle seule à créer des emplois, qu’elle n’est qu’un morceau d’un puzzle qui permettra dans son ensemble de redresser l’emploi, par la formation professionnelle et la réforme du chômage, notamment. Thibault Lanxade, vice-président du MEDEF, interviewé sur RTL le 12 septembre dernier, excluait un tsunami de l’emploi, au profit d’une marée montante. Poussé dans ses retranchements, il concluait que « les embauches sont liées au carnet de commande et à la croissance ». L'enjeu de la réforme serait météorologique, puisqu'il s'agirait en fait de créer un climat de confiance. Qui lui créerait des emplois. On est dans le billard à trois bandes. Il faut dire qu'une étude de l'Insee réalisée auprès des entreprises montre que que près de la moitié de ces dernières (47%) rencontrent des difficultés à embaucher. Mais les barrières à l'embauche liées à la législation encadrant le marché du travail ne sont citées que par 14% des chefs d'entreprise, contre 28% pour l'incertitude économique, 27% pour l'indisponibilité de personnel formé et 23% pour le coût de la main d'œuvre. 

Plus d'emplois précaires, moins de productivité

Certes, la croissance semble repartir, à 1,6% sur l’année 2017 et 1,8% en 2018, selon le FMI. Un niveau faible, mais qui aurait permis de créer 300 000 emplois en un an, dont plus de 276 000 dans le secteur privé. Pour Philippe Waechter, de Natixis, « le contexte conjoncturel est extrêmement favorable », y compris dans l’industrie. Selon Mathieu Plane, de l’OFCE, le seuil à partir duquel la France crée des emplois, serait désormais plus bas, aux environs de 1% de taux de croissance, à la place de 1,5% auparavant. Or, les emplois créés sont des emplois à très faible productivité. Ce que montrait déjà une étude de l’OCDE parue en 2007, qui explique qu’il y a une corrélation négative entre croissance de l’emploi et croissance de la productivité. En clair, plus l’économie crée d’emplois, plus la productivité de ceux-ci baisse. Pour l'instant, la productivité horaire de la France est l’une des plus élevée au monde : une heure de travail d’un salarié français rapporte plus qu’une heure d’un salarié anglais, américain et même allemand. Or, une baisse de la productivité nuit à l’efficacité économique et au bien-être global, puisque ce sont les gains  de productivité qui ont historiquement permis de faire baisser la durée du travail et l’âge de la retraite. Pour Mathieu Plane, par ailleurs, la question n’est pas celle des créations d’emploi, plutôt dynamiques, mais celle de la qualité des emplois créés. « Quand on regarde les intentions d’embauche des entreprises, ce sont majoritairement des CDD, et des CDD de moins d’un mois à 70%, ou de l’intérim. On n’a jamais eu autant d’intérimaires en France ».

Réduire la dualité du marché du travail ?

Alors la flexibilité du marché du travail va-t-elle créer des emplois ? Selon Philippe Waechter, « en modifiant l’incertitude, en permettant une organisation plus en phase avec l’entreprise, cela crée des conditions plutôt favorables, dans une conjoncture plutôt robuste ». Avant d’admettre que le lien entre flexibilité et création d’emplois est « moins clair qu’on ne le voudrait ». Le même compte plutôt sur la formation, comme élément clé, pour fluidifier le marché du travail. Pour Mathieu Plane, les mesures concernant le contrat de travail ne modifient pas le volume d’emploi global. Pour lui, « la question serait plutôt de savoir si les mesures concernant le marché du travail vont permettre de réduire sa dualité », entre salariés en CDI et salariés précaires. Or, poursuit-il, « il n’est pas démontré qu’en dérégulant le marché du travail, on va améliorer la situation des gens qui sont les plus précaires ». L'économiste attend de voir si les CDI de chantier vont se substituer aux CDD très courts ou si ce sont les CDI qui vont être mangés par ce type de contrats…

Des licenciements et des pertes de revenu

Pour Philippe Waechter, le problème est la réactivité en matière d’embauches. Réactivité qui joue cependant dans les deux sens, pour embaucher lorsque la conjoncture est favorable, mais aussi pour dégraisser lorsqu’elle se gâte. C’est ce que montre une autre étude de l’OCDE, plutôt favorable au processus schumpétérien de destruction créatrice -si cher à Emmanuel Macron-, qui explique qu’une moindre protection de l’emploi se traduit par une rotation plus intense de la main d’œuvre. Comprendre : les ajustements se font plus rapidement en matière d’embauches et de licenciement, afin de permettre aux entreprises de réagir plus rapidement aux demandes des consommateurs. La même étude conclue que « tous les travailleurs ne bénéficieront pas de ces réformes », car « l’assouplissement des réglementations trop strictes régissant le licenciement individuel et collectif feront probablement augmenter le nombre de travailleurs licenciés ». Et ajoute qu’il « est probable néanmoins que ceux qui perdront leur emploi à la suite de ces réformes subiront des pertes de revenu aussi bien pendant la recherche d’un nouvel emploi que lorsqu’ils seront revenus sur le marché du travail ».

Très loin de la flexisécurité à la mode scandinave

Cette étude de l’OCDE, qui pourtant va dans le sens d’une plus grande flexibilité, ne permet pas vraiment de conclure qu’un assouplissement du marché du travail permet de booster les embauches. Ce qui est aussi l’avis du FMI, qui table davantage sur la croissance, mais aussi sur des mesures macro-économiques comme le taux de change, la politique fiscale, les politiques industrielles et d’investissement, ou encore la politique budgétaire. Mathieu Plane ne dit pas autre chose. Tout en assurant que si, avec une croissance faible, « vous réduisez les droits sociaux, notamment en matière de chômage, et qu’on vous oblige à prendre n’importe quel job, cela peut réduire le chômage, mais l’une des conséquences est une précarisation du travail forte ». C’est en partie ce qui s’est produit en Allemagne avec une augmentation des inégalités et du taux de pauvreté. Or, rappelle le directeur adjoint du service analyse et prévisions de l'OFCE, le modèle scandinave de flexisécurité repose lui, non seulement sur la formation, mais aussi sur une indemnisation correcte du chômage. Ce qui est le cas au Danemark où les salariés sont indemnisés à hauteur de 90% de leur salaire.

Plus de chômage à court terme et à long terme on sera tous morts

Quant aux effets à court terme, Eric Heyer, économiste à l’OFCE expliquait au Monde le 8 juin dernier, que « dans les pays qui ont choisi de flexibiliser leur marché du travail, le chômage a toujours augmenté dans un premier temps ». Ce qui fut le cas de l’Allemagne immédiatement après les réformes Hartz, adoptées entre 2003 et 2005. Le chômage était dans un premier temps passé de 8 à 12%. Il faut aussi rappeler que le licenciement et le Cdi sont bien plus « rigides » en Allemagne qu’en France, ce qui montre que le lien entre flexibilité et niveau de chômage n’est pas si clair qu’il paraît. Rappelons aussi qu’en 2008, le taux de chômage en France était de 6,8%, tout cela avec un Code du travail bien plus protecteur qu’aujourd’hui. Inconvénient supplémentaire de la réforme du code du travail, selon Eric Heyer, c’est qu’elle a un effet récessif à court terme, ce qui freine l’activité. Effets récessifs qui peuvent être limités par des politiques budgétaires accommodantes, ce qui fut le cas de l’Allemagne qui laissa filer ses déficits. Il était encore de 6% du PIB en 2010. Ce choix n’a pas été retenu par Emmanuel Macron, qui prévoit 16 milliards d’économies en 2018. Pas plus qu’il n’est possible de dévaluer massivement la monnaie, comme l’ont fait la Suède et le Canada.

La vraie raison des ordonnances Macron : les Gopé

Si les ordonnances Macron n’ont pas vocation à créer des emplois, alors quelle en la vraie raison ? Pour Eric Heyer, il y a des problèmes aux Prud’hommes, mais que la réforme du code du travail ne règle pas, notamment la durée des procédures. Pour le directeur du Département prévisions et analyse de l’OFCE, les raisons de cette réforme du marché du travail sont à chercher du côté des Gopé, les grandes orientation de la politique économique, documents préparés chaque année par la direction des affaires économiques de la Commission européenne. Quel est leur contenu ? « Stabilité des prix, assainissement des finances publiques et renforcement des incitations à la discipline salariale », ce qui s’oppose à toute augmentation du SMIC, que leur ont concédé tous les gouvernements qui se sont succédé jusqu’à aujourd’hui. Avec, comme point central : la réforme du marché du travail. On leur devait déjà la loi El Khomri en 2016. L'effet de ce type de réforme sur le chômage, s'il existe, ne se ferait sentir qu'à moyen et long terme. Sauf, que, comme le disait Keynes, à long terme nous serons tous morts. A court terme, en revanche, elles pourraient avoir l'effet inverse. Et, de toute façon, selon la plupart des économistes, la croissance, même faible, si elle se poursuit, permettra d’atteindre mécaniquement l’objectif que s’est fixé Macron à la fin de son quinquennat, c’est-à-dire 7,6 % de taux de chômage. En revanche, l’ensemble des mesures prévues auront d’ici là contribuer à saper notre modèle social. Malin, non ?

Véronique Valentino