Le travail, pénible ? pas en Macronie
Décrié par le patronat, le compte pénibilité, qui devait permettre aux salariés travaillant dans des conditions difficiles de partir à la retraite plus tôt, sera largement raboté et son financement reporté sur la Sécurité sociale. Une partie des critères disparaît purement et simplement, tout comme le mot lui-même. Logique, puisqu’en Macronie, le travail ne peut en aucun cas être « pénible ».
« Le pragmatisme semble avoir prévalu ». C’est en ces termes que le MEDEF a salué l’annonce par le premier ministre Edouard Philippe de la réforme du compte pénibilité. Dans une lettre reçue le 8 juillet dernier par les organisations patronales et syndicales, le premier ministre détaille sa réforme du compte pénibilité. Le compte pénibilité, créé sous le quinquennat Hollande, et mis en place par étapes à partir de 2015, est un compte sur lequel les salariés du privé cumulent des points en fonction de la pénibilité des tâches qu’ils accomplissent, afin de partir plus tôt à la retraite, de se former pour changer de poste ou de travailler à temps-partiel sans perte de salaire.
Ce sont les critères récusés par le MEDEF qui sautent
Le dispositif est maintenu tel quel pour six critères (travail de nuit, travail répétitif, travail alterné, travail exercé en milieu hyperbare, bruit et températures extrêmes). En revanche, quatre autres critères sautent : la manutention de charges lourdes, les postures pénibles, les vibrations mécaniques et les risques chimiques. Ces quatre critères sont précisément ceux qui étaient le plus décriés par le MEDEF, qui les jugeait inapplicables parce que difficilement mesurables. A coup d’exemples tarabiscotés, l’organisation patronale avait tourné en dérision la mesure de ces facteurs de risque pour la santé des salariés. Pourtant, à qui fera-t-on croire qu’on ne puisse pas mesurer le temps passé par un salarié à porter des charges lourdes sur les chantiers, chez les livreurs ou les déménageurs ?
Un compte de prévention qui porte bien mal son nom
Non seulement ces facteurs de risque sortent du compte à points, mais le départ anticipé ne sera plus possible que lorsque le salarié souffre déjà d’une maladie professionnelle reconnue avec un taux d’incapacité permanent de plus de 10 %. De quoi laisser songeur sur la vocation de prévention du nouveau compte professionnel. En effet, le « compte prévention pénibilité » est rebaptisé « compte professionnel de prévention » tout court. Logique, puisque le candidat Macron, présentant son programme devant le MEDEF, avait expliqué qu’il « n’aimait pas le terme », qui « induit que le travail est une douleur ». Exit donc l'étymologie du terme, du latin tripalium, instrument de torture à trois pieux utilisé par les Romains pour punir les esclaves rebelles. « Le mot "pénibilité" ne "correspond pas à ce dont nous avons besoin parce que le travail c'est l'émancipation, c'est ce qui vous donne une place », avait-il ajouté.
La pénibilité financée par la Sécurité sociale
Autre conquête obtenue par le MEDEF, la réforme de son financement. Exit la modeste cotisation de base de 0,01% des rémunérations acquittée par l’ensemble des entreprises et la taxe additionnelle de 0,02% prévue pour les employeurs ayant exposé au moins un de leur salarié à la pénibilité au-delà des seuils fixés. Désormais, c’est la sécurité sociale, via sa branche accident du travail et maladie professionnelle, qui financera les droits acquis par les salariés. Notons que cette branche de la sécurité sociale est pour l’instant la seule qui soit excédentaire depuis 2013, avec un surplus de 900 millions par an. Le premier ministre a d’ailleurs précisé que cet excédent devrait permettre de financer la réforme, du moins « à court terme ».
Des entreprises moins incitées à faire de la prévention
Un véritable hold up en faveur du patronat, puisque c’est désormais la solidarité nationale qui financera des risques entièrement imputables aux entreprises. Ce nouveau mode de financement appliqué à quatre facteurs de risques lourds, est un changement de philosophie total du compte pénibilité, puisque les entreprises n’étant plus tenues de financer sa mise en œuvre, elles seront moins incitées à prévenir les risques en question. Il faudra donc surveiller de près les obligations de prévention qui seront exigées des entreprises.
Une simplification, vraiment ?
En outre, l’argument de la simplification fait sourire, puisqu’on aura désormais deux systèmes, un pour une part des risques, qui continuent à abonder le compte en points, un autre pour les risques dont ne voulait pas le MEDEF, qui ne donneront lieu à un départ anticipé qu’une fois le salarié malade. Or, comme le notait malicieusement Martial You de RTL, ces deux systèmes peuvent parfaitement se cumuler dans la réalité du travail. Quid, en effet, du salarié maniant un marteau piqueur (vibrations mécaniques) par grande chaleur ?
Un compte pénibilité torpillé dès sa mise en oeuvre
Le gouvernement acte donc une pseudo simplification d’un dispositif que le patronat avait de toute façon torpillé dès sa mise en œuvre en 2015. Au 1er janvier 2017, plus de 700 000 comptes pénibilité avaient été ouverts sur les 3,3 millions de salariés concernés, selon l’étude d’impact réalisée en 2013 par le gouvernement de l’époque, mais plus de 8 millions selon la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES). Seules 13 branches professionnelles sur 700 avaient mis en place un référentiel permettant de calculer la pénibilité pour leurs salariés. Parmi les plus concernées, les branches du bâtiment ou de la métallurgie, par exemple, qui n’ont rien fait. Et Macron avait annoncé un moratoire sur la mise en oeuvre du compte pénibilité dès le lendemain de son élection.
25 ans de pénibilité cumulée
C'est d'autant plus choquant, quand on y pense, que l'avancée que représentait la prise en compte de la pénibilité, évaluée en points, était, dans sa mise en oeuvre, une avancée plutôt modeste. Pour le comprendre, il faut aller dans les détails de la comptabilisation des fameux points pénibilité (le diable se cache souvent dans les détails). Un facteur de pénibilité donne droit à 4 points par an, huit points si vous cumulez deux facteurs de risque ou plus. Le compte étant plafonné à 100 points maxi. Sur l'ensemble d'une carrière, si vous subissez un critère de pénibilité, cela représente tout de même 25 ans de pénibilité cumulée, près de 13 années si vous cumulez deux critères ou plus. Et ce total de 100 points vous permet tout au plus de partir deux ans avant la date normalement fixée pour votre départ en retraite. Cela n'a rien de maximaliste dans les faits, mais suffisamment pour provoquer des cauchemars ches les patrons du MEDEF.
Une espérance de vie inégale
A entendre les cris d’orfraie du MEDEF, on en oublierait presque les raisons qui ont conduit à mettre en place le compte pénibilité. A savoir les inégalités fondamentales en matière de retraite et surtout de longévité. Selon l’Observatoire des inégalités, à 55 ans, un cadre peut espérer vivre 30,9 années, contre 26,7 pour un ouvrier. Et si l’on considère l’espérance de vie en bonne santé, les écarts sont encore plus grands. L’écart d’espérance de vie à 35 ans est de six ans, mais il est de 10 ans pour l’espérance de vie sans incapacité. Des écarts entre milieux sociaux qui tendent même à s’accroître chez les hommes. C’est cette injustice en termes de longévité que la philosophie du compte pénibilité visait à résoudre. Mais Pierre Gattaz, le président du MEDEF, avait ouvertement appelé à ne pas appliquer une réforme qu’il a dès le départ qualifié d’usine à gaz. Et dès son entrée en fonction, Emmanuel Macron avait annoncé un moratoire sur son application.
Des syndicats floués une fois de plus
Alors que Laurent Berger de la CFDT s’est réjoui que la prise en compte de la pénibilité du travail ne passe pas purement et simplement à la trappe, Philippe Martinez de la CGT réclamait un débat national sur le travail afin de revoir un certain nombre de critères et d’y inclure le burn out. Un souhait qui a peu de chances d’être entendu du gouvernement. La réforme du compte pénibilité, qui doit entrer en vigueur dès 2018, fera partie des ordonnances réformant le code du travail cet été.
Véronique Valentino