Postface du 28 juin 2017

L’an dernier, tandis que nous campions depuis trois jours près de Trois-culs-aux-cèpes, village que nous croyions abandonné, nous aperçûmes une silhouette glisser entre les murs pour nous épier.
Nous doublâmes la garde de nuit et, le lendemain, explorâmes le village de fond en comble.
Dans une baraque bourrée de livres et de papiers épars, nous dénichâmes Nivard, être chétif et apeuré, presque un fantôme.
Il était d’une nature sauvage, mais en ma qualité de scribe il consentit à me recevoir presque chaque soir dans sa cabane-bibliothèque et à me faire la conversation.
Il vivait à Trois-culs depuis quarante ans, et depuis dix ans il y était seul.
Hormis de courtes excursions pour se ravitailler en tubercules sauvages et en insectes, l’essentiel de sa nourriture, il restait chez lui pour se vautrer dans ses archives, dont il croyait qu’elles lui permettraient, s’il les analysait avec rigueur, de reconstituer l’Histoire-Jadis ainsi que la chaîne des événements jusqu’à aujourd’hui.
La veille de notre départ il me confia une liasse de cinq récits, les quatre premiers trouvés tels quels dans les archives, le dernier rédigé par lui-même. – Puisque d’autres hommes que moi survivent, dit-il, et qu’il existe à l’est une vraie ville, veuillez-y favoriser la diffusion de ces histoires, curieuses à plus d’un titre.
Ce sont ces pages que je vous transmets aujourd’hui, reliées comme livre.

Bien à vous,
Perceval,
381 après Reset, Ty-Ping

P.S. Je me suis permis, en quittant Trois-culs-aux-cèpes, d’emporter la Remington sur laquelle écrivait Nivard. Ce ne fut pas un vol. Plutôt un legs par anticipation. Nivard était déjà très malade quand nous l’avons rencontré, il est sans doute mort aujourd’hui, il n’y avait donc aucun intérêt à ce que la machine restât là-bas. Elle sera plus utile ici. Je la tiens à votre disposition. (Je reste, quant à moi, fidèle à ma vieille Underwood.)

Christophe Ségas, Remington, roman paru en juin 2017 au Nouvel Attila