Ceci est mon sang : le livre qui nous réconcilie avec nos règles

Rupi Kaur

Rupi Kaur

Depuis l’aube de l’humanité et partout sur la planète, les règles sont cet obscur objet du dégoût. Voici un livre qui s’intéresse aux ragnagnas sous tous les angles. Et qui démontre que le tabou accolé à ce sang menstruel a toujours été un motif pour discriminer les femmes ett aussi une bonne affaire pour les industriels.

Avoir ses ourses, ses ragnagnas, ses coquelicots ou l’armée rouge dans sa culotte… quelle que soit la façon dont on l’appelle, ce phénomène naturel qui consiste, pour les femmes, à perdre un peu de sang tous les mois (sans en mourir !) reste un tabou dans toutes les sociétés. La journaliste féministe Elise Thiebaut explore un continent longtemps ignoré, alors qu’il rythme la vie des femmes chaque mois pendant une quarantaine d’années. En partant de sa propre expérience, elle explore de façon documentée, pédagogique et avec un humour parfois féroce ou déjanté les dessous des règles, « de celles qui les ont et de ceux qui les font », comme l’explique le sous-titre de cette histoire intime et méconnue. Elise Thiebaut rappelle au passage que l’argument « t’as tes ragnagnas » sert encore à décrédibiliser les femmes dans tous les domaines.

Rupi Kaur - cette photo a été retirée de son compte par Instagram

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Un tabou bien pratique

Car le tabou entretenu autour des règles a longtemps servi à discriminer les femmes. « C’est parce que le sang menstruel est tabou que les femmes souffrent sans remède depuis des millénaires. C’est parce que le sang menstruel est tabou qu’on leur a longtemps interdit de prendre la mer, de chasser, de voter ou d’être élues, de parler en public ou d’assumer des responsabilités politiques ou religieuses », écrit-elle dès l’introduction. Un tabou bien utile aux industriels, comme les géants Procter & Gamble ou Johnson & Johnson, pour nous vendre des tampons et serviettes hygiéniques imbibés de dioxine et de nombreuses autres substances toxiques. Car c’est un fait, les tampons hygiéniques sont sans aucun doute le seul produit qu’on introduit au cœur de son intimité, sans qu’on puisse en connaître la composition. Classés comme produits d’hygiène, les protections périodiques s’affranchissent de toutes les règles -nous y revoilà- qui s’appliquent à la plupart des produits, car elles sont classées comme simples produits d’hygiène.

Le film d’horreur du syndrome du choc toxique

Elise Thiebaut rappelle que les tampons ont longtemps fait des victimes, sans susciter de réactions en France, jusqu’à une période très récente. Le syndrome du choc toxique (SCT) est encore largement méconnu et le lien avec l’utilisation des tampons commence tout juste à être reconnu. Ainsi que la responsabilité des tampons dans l’endométriose, maladie gynécologique qui touche 2% des femmes.  L’auteure exolique donc que les tampons sont extrêmement dangereux pour les femmes porteuses du staphylocoque doré dans leur vagin. Elle revient sur l’histoire du tampon Rely, que la firme Procter & Gamble dut retirer de la circulation en 1980.

Un mannequin amputé à 24 ans

Ce n’a pas empêché le mannequin Lauren Wasser d’être amputée de la jambe, en 2012, à l’âge de 24 ans, suite à une méga-infection. La jeune femme a courageusement posé avec sa prothèse et a initié une bataille judiciaire contre la firme Kimberly-Clark corporation, distributeur des tampons Kotex. Depuis l’épidémie de SCT, les tampons n’ont pas changé de composition. Les firmes ont juste ajouté un message d’avertissement sur la notice, sachant que le marché de la protection périodique représente tout de même 26 milliards d’euros par an… L’auteure rappelle aussi la bataille contre la « taxe rose », qui vit les associations féministes monter au créneau pour que la TVA sur ces produits passe de 20%, comme sur les produits de luxe, à 5 ,5%. La demande initiale était pourtant de passer au taux de 2,1%, voire 0%, qui s’applique sur les médicaments prescrits sur ordonnance.

Des utilisations folkloriques du sang menstruel et de nouvelles protections

On découvrira aussi, dans ce livre qui marie avec bonheur humour et sérieux, le destin de l’ovocyte kamikaze, la malédiction de la mayonnaise, l’histoire des protections périodiques et leurs dangers, jusqu’aux usages étranges du sang menstruel par les religions et aux superstitions qui lui sont associés. On y piochera des informations sur les nouvelles protections périodiques bio, mais aussi la coupe en silicone dont l’usage s’apparente à celui du diaphragme, les éponges naturelles à usage unique (bonjour à Bob l’éponge !), les serviettes lavables ou encore les culottes tendance spécialement conçues pour absorber le flux menstruel et également déclinées pour les personnes trans et queer. Plus intrigant, le flux instinctif libre, qui consiste à retenir le sang des règles dans son vagin pour l’évacuer aux toilettes, apprécié par celles qui entendent se « reconnecter à leur matrice ».

a Fiancée de Joana Vasconselos

a Fiancée de Joana Vasconselos

L’art menstruel existe !

On appréciera aussi les tentatives de femmes artistes pour battre en brèche le tabou. Dans le chapitre « Les règles de l’art », on découvrira le nom de Valie Export, première artiste à avoir utilisé du sang menstruel dans ses performances, dont on aurait malheureusement perdu les rushs, ce qui montre que même l’histoire de l’art elle-même n’est pas exempte des malédictions qui collent aux ragnagnas. Dans le film MenstruatiosnFilm, tourné en 8 mm dans les années 1966-1967, l’artiste urine pendant ses règles sur un tabouret. On découvrira aussi les photos de Rupi Kaur, Qui illustrent cet article. Rappelons qu’elles furent censurées par le réseau social Instagram, qui permet de partager des photos. Autre performance menstruelle, la sculpture la Fiancée de Joana Vasconselos, monumental lustre d’un blanc virginal réalisé avec 25 000 tampons hygiéniques.

Une révolution des règles ?

On retiendra aussi de ce livre touffu sans être jamais ennuyeux, que la médecine se montre étonnamment peu curieuse de comprendre les causes du syndrome prémenstruel, qui pourrit la vie de millions de femmes, mais qui a longtemps été considéré comme imaginaire. Si peu de réelles avancées ont été accomplies dans ce domaine, cela n’empêche pas le traitement dudit syndrome d’être devenu une manne juteuse -n’y voyez aucune allusion scabreuse- pour les laboratoires pharmaceutiques. Définitivement réjouissant ce livre conclut en appelant à une « révolution des règles ». Elise Thiébaut suggère d’affecter l’argent économisé grâce aux nouvelles protections non-jetables, à un fonds qui financerait la recherche sur l’endométriose, peu prisée par l’industrie, mais aussi à des ateliers de danse menstruelle ou d’éducation populaire pour toutes et… tous. Elle appelle aussi à créer une coopérative transnationale pour peser sur les priorités en matière de recherche, mais aussi partager les savoirs, qui circulent pour l’instant sur le mode confidentiel. Et on ne peut être que sang pour sang d’accord avec elle.

Véronique Valentino

Ceci est mon sang - Élise THIÉBAUT - Éditions La Découverte

Elonë (une street artiste de Karlsruhe, Allemagne) : Imaginez si les hommes étaient aussi dégoûtés par le viol qu'ils le sont par les règles

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