Code du travail : vous avez aimé le 49-3, vous allez adorer les ordonnances

Emmanuel Macron a prévenu : il veut s’attaquer au Code du travail et vite. Objectif, promulguer des ordonnances dès le mois de juillet, pour une réforme bouclée fin août-début septembre. Une méthode bien peu démocratique sur un sujet explosif.

Vous l’avez sans doute remarqué. Depuis quelques jours, tournent en boucle sur toutes les télés ces images de Emmanuel Macron faisant ses débuts sur les planches, alors qu’il était encore lycéen. Nul doute que ses capacités de comédien lui ont abondamment servi et qu’elles continueront à lui être utiles. Le Justin Bieber de la politique, lancé avec les mêmes méthodes marketing, s’est illustré par sa capacité à délivrer des messages d’un creux abyssal, ce qui ne signifie pas qu’il n’ait pas de programme (voir notre article du 24 avril dernier), comme cela a longtemps été dit. Au rayon des formules de convenance, cette expression qui a fait florès : Emmanuel se présentant comme le « renouveau démocratique ». Rien de moins. Comme pour beaucoup de slogans macroniens, difficile de dire ce que l’expression recouvre vraiment chez lui. Mais les premières mesures qu’il s’apprête à mettre en œuvre sont pourtant très peu démocratiques. L’ex-ministre de l’Economie de Hollande ne s’en est pas caché : il veut réformer le Code du travail par ordonnances. Le 8 mai dernier, alors que des centaines de personnes manifestaient à Paris contre le nouveau président, Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, déclarait à France Info : « quand on veut gouverner sans les citoyens, on procède soit par 49.3, soit par ordonnance ».

Le précédent de la loi travail

Les ordonnances ont indéniablement un avantage : elles permettent d’éviter les allers-retours entre l’Assemblée et le Sénat, normalement prévues dans le cadre du processus législatif ordinaire et d’éviter que le texte de loi présenté ne soit amendé. Concernant une réforme du Code du travail qui se veut une « loi travail XXL », selon l’expression du leader de FO, Jean-Claude Mailly, c’est en effet un choix rationnel de la part du nouveau président. D’autant que Emmanuel Macron était déjà derrière cette loi qui a jeté des milliers de personnes dans les rues et suscité une répression policière féroce. Une loi travail adoptée en vertu de l’article 49-3 de la Constitution, tout comme auparavant, promulguée en août 2015, la loi… Macron.

Valls a abusé du 49-3

Cette « loi pour l’activité, la croissance et l’égalité des chances économiques », véritable fourre-tout législatif qui comptait plus de 400 articles, prévoyait déjà un barème indicatif des indemnités accordées pour licenciement abusif, tout comme l’extension du travail le dimanche, la libéralisation du transport par autocar, l’assouplissement des règles encadrant la publicité sur l’alcool, ou encore la réforme des professions réglementées. Autant de mesures présentées comme indispensables pour libérer la croissance et l’activité. Deux ans plus tard, la croissance est toujours atone, bien que les experts annoncent sa reprise. Après 1,1% en 2016, le gouvernement a prévu 1,5% en 2017, contre 1,4% pour le FMI et l’OCDE et 1,3% pour la Banque de France.

Court-circuiter le parlement

Mais revenons au 43-3 et aux ordonnances. L’article 49 alinéa 3 de la Constitution, prévoit que « le Premier ministre peut, après délibération du Conseil des ministres, engager la responsabilité du Gouvernement devant l'Assemblée nationale sur le vote d'un projet de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale ». « Dans ce cas, ajoute le même article, ce projet est considéré comme adopté, sauf si une motion de censure, déposée dans les vingt-quatre heures qui suivent, est votée dans les conditions prévues à l'alinéa précédent ». Autrement dit, il s’agit d’un chantage exercé en toute légalité (c’est dans la constitution de 1958) sur le parlement. En effet, sauf si une motion de censure est déposée dans les 24 heures et votée, le projet de loi, sur lequel le gouvernement engage sa responsabilité, est réputé adopté par le parlement. En l’occurrence, le gouvernement prend peu de risques, sauf à ne pas disposer de majorité à l’assemblée. Rappelons que dans aucune autre démocratie, le gouvernement ne dispose d’une arme comparable. Arme pourtant utilisée jusqu’ici par quasiment tous les gouvernements de la cinquième république. L’article 49-3 a été utilisé 85 fois depuis 1958 sur 50 textes de loi.

Motion de censure : rarissime

C’est en ce qui concerne les modalités de vote de la censure du gouvernement, que l’article 49-3 révèle son caractère particulièrement antidémocratique. La motion de censure doit être présentée par au moins 1/10e des députés (soit 58 actuellement) et votée par la majorité de l’effectif total de l’assemblée, soit au moins 289 voix. Contrairement aux lois ordinaires dont le vote est soumis à la majorité des suffrages exprimés, dans le cas d’une motion de censure les députés qui ne prennent pas part au vote ou qui s’abstiennent ne sont pas comptabilisés. Ce qui nous ramène à la farce bouffonne jouée par les « frondeurs » à l’occasion de la loi travail, lorsqu’il a manqué deux voix pour déposer la fameuse motion. Ce mécanisme constitutionnel est tellement difficile à mettre en œuvre et à faire aboutir, qu’il n’a débouché qu’une seule fois par la censure du gouvernement. C’était en 1962. L’assemblée avait renversé le gouvernement Pompidou, à la suite de la décision du Général de Gaulle d’instituer l’élection du président de la république au suffrage universel…

Ordonnances : quand le gouvernement légifère en urgence

Alors les ordonnances ? Elles existaient déjà sour la 3e et la 4e république sous le nom de décrets-lois. Selon l'article 38 de la constitution, les ordonnances permettent au gouvernement de « demander au Parlement l'autorisation de prendre par ordonnances, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi ». Avantage ? Ni vote, ni amendement du texte n’est possible. Les ordonnances supposent cependant que le gouvernement obtienne l’autorisation préalable du parlement par le vote d’une loi d’habilitation. Elles entrent en vigueur dès leur publication, sous réserve que le parlement ait voté la loi de ratification prévue par l’article 38 de la constitution. Une simplification considérable par rapport au processus législatif ordinaire, où les projets et propositions de loi font l’objet de navettes entre l’Assemblée nationale et le Sénat, qui en profitent généralement pour modifier les textes proposés et y introduire de nouvelles dispositions.

Un précédent : les ordonnances Juppé

Légiférer par ordonnances suppose donc d’obtenir une majorité solide au parlement. Mais pour ce qui est de la situation créée par l’élection d’Emmanuel Macron, il faut se souvenir qu’un certain nombre de candidats, notamment à droite, avaient déjà inclus dans leur programme le vote d’une loi d’habilitation par ordonnances. C’était le cas de Copé, de Fillon et de Juppé, récidiviste d’ailleurs, puisqu’il s’était déjà attaqué aux retraites et à la Sécurité sociale par ce moyen en 1996. Mais, à l’époque, un mouvement social de grande ampleur avait paralysé le pays pendant des semaines. S’il avait dû reculer sur les retraites, Alain Juppé avait cependant pu légiférer sur la Sécurité sociale avec l’appui de la CFDT. On comprend dès lors que Macron aura tout intérêt à obtenir l’appui de la droite, ne serait-ce qu’au moment de former son gouvernement, mais aussi via des accords locaux aux législatives.

Un « blitzkrieg social » qui ne dit pas son nom

Là encore, l’habitude de légiférer par ordonnances n’a rien d’exceptionnel. De 1984 (sous Mitterrand) à 2013, il y a eu plus de 400 ordonnances ratifiées par le parlement. Hollande ne s’est pas privé non plus de cet expédient législatif. Quant à Macron, on ne s’étonnera pas de son revirement sur le sujet, un de plus. En novembre 2016, il déclarait en effet : « Je ne crois pas une seule seconde aux cent jours et à la réforme par ordonnances. Regardez ce qui vient de se passer quand on réforme en passant par le 49.3, qui est pourtant un article constitutionnel : les gens le prennent très mal ». C’est pourtant ce qu’il s’apprête à faire sur un sujet plus que délicat : la réforme du Code du travail. Fillon avait été assez bête pour annoncer un « blitzkrieg social » devant le MEDEF. Macron est plus adroit, même si on ne peut que constater la similarité de la méthode qu’il compte adopter, en tablant sur une moindre mobilisation pendant l’été. Il avait d’ailleurs reçu le soutien de Pierre Gattaz, patron du MEDEF. Ce dernier avait déclaré le 24 avril dernier : « Nous sommes aujourd'hui derrière le candidat Emmanuel Macron, en tout cas sur le plan économique et social. Il n'y a pas l'ombre d'une hésitation ».

Une loi travail 2

Se targuant d’être le « candidat du travail », comme Nicolas Sarkozy avant lui, Emmanuel Macron veut dynamiter notre modèle social. Pour ce qui est du Code du travail, il veut finir le boulot commencé avec la loi travail. Et cela dès le lendemain des élections législatives. Il fera voter en juillet, c’est-à-dire pendant les vacances été, une loi d’habilitation afin de réformer le Code du travail par ordonnances, une méthode d’ont on a vu qu’elle est bien peu démocratique. Seuls resteraient du domaine de la loi la durée légale du travail, le salaire minimum et quelques grands principes -égalité hommes-femmes, lutte contre les discriminations- qui seront très vite vidés de leur contenu. Tout le reste -conditions et organisation du travail mais aussi rémunérations- serait laissé à la négociation d’entreprise, avec en point d’orgue le référendum d’entreprise pour court-circuiter les syndicats.

Une concertation limitée

Le Code du travail prévoit pourtant, dans son article 1, que « tout projet de réforme envisagé par le Gouvernement qui porte sur les relations individuelles et collectives du travail, l'emploi et la formation professionnelle et qui relève du champ de la négociation nationale et interprofessionnelle fait l'objet d'une concertation préalable avec les organisations syndicales de salariés et d'employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel en vue de l'ouverture éventuelle d'une telle négociation ». Qu’à cela ne tienne, Emmanuel Macron prévoit une concertation accélérée, sur laquelle il reste flou, et table sur la division syndicale. Comme pour la loi travail, qui avait été soutenue par la CFDT. La centrale cédétiste avait été la seule à appeler clairement à voter Macron, ce qui lui avait valu de voir son siège parisien vandalisé le 23 avril dernier. A l’époque, le principal point d’achoppement, pour la CFDT, était déjà le plafonnement des indemnités prudhommales.

Des indemnités plafonnées

Après avoir mis en place un barème indicatif pour les indemnités versées aux prudhommes pour licenciement abusif, avec la loi qui porte son nom, Macron souhaite les plafonner dans la loi travail 2. Une mesure très impopulaire, car, comme le rappelle la cofondatrice de l’institut de sondage Odoxa, qu’on ne peut soupçonner d’être une dangereuse gauchiste, « cette mesure est jugée injuste par les Français, qui ne comprennent pas qu'un employeur ayant commis une faute puisse se voir protéger par un plafonnement ». Quant à la justification avancée par l’ex-banquier, elle ne convainc pas non plus : « les Français ne croient pas du tout que cela va favoriser l'embauche ». Autres mesures antisyndicales portée par le président Macron, la fusion des instances syndicales -CE, CHSCT, délégués du personnel- en une délégation unique du personnel pour les entreprises de toute taille, même les plus grosses. Enfin, la simplification du licenciement économique, déjà acté par la loi El Khomri, sera poursuivie. Rappelons que depuis la loi travail 1, relève du licenciement économique, un plan social dans une entreprise même si les résultats du groupe sont bons à l’international. Or, les entreprises savent très bien organiser des pertes dans une filiale locale dont ils souhaitent se débarrasser…

L’assurance chômage en ligne de mire

Une fois ces « 100 jours » écoulés, le prochain chantier devrait être celui du chômage. Finie l’assurance chômage gérée par les partenaires sociaux, bienvenue à une allocation universelle versée par l’Etat aux salariés, mais aussi aux travailleurs indépendants, aux agriculteurs et aux professions libérales. Pour ceux qui seraient tentés de voir dans cette étatisation de l’indemnisation du chômage une mesure positive, il faut rappeler que ce nouveau chantier consistera surtout à mettre le nouveau régime à la diète. Alors que la nouvelle « allocation chômage » concernerait bien plus de monde que les 3,2 millions de salariés indemnisés au 31 décembre 2016, elle devrait permettre d’économiser 10 milliards d’euros. Ce modèle est déjà en vigueur au Royaume-Uni, où les allocations sont uniformément d’un faible montant. A partir de 25 ans, un chômeur touche 73 livres par semaine, quel que soit son salaire antérieur, nous apprend le quotidien économique La Tribune.

Véronique Valentino le 10 mai 2017